Chronique parue dans L’Express du 20 mai 2021.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur. La tribune ci-dessous a été précédée d’un petit sondage qui posait la question suivante : « Selon vous, est-ce que l’Europe peut conserver une civilisation industrielle et viser l’autonomie énergétique ? » Les réponses possibles étaient : « oui » (57% des réponses), « non » (33% des réponses), « je ne sais pas » (10% des réponses).
L’autonomie, dans le langage courant, est généralement associée à une situation enviable. Un enfant qui devient autonome pour manger, se laver, ou se prendre en charge financièrement, c’est une progression bienvenue pour ses parents, et une personne âgée restant autonome, c’est aussi vu comme souhaitable (à raison) par sa famille. Du coup, n’est-ce pas normal de souhaiter que, pour l’énergie aussi, il faille être « autonome » ?
Un territoire autonome en énergie n’aurait alors plus besoin de dépendre de qui que ce soit pour trouver les moyens d’alimenter le parc de machines qui rend la vie si douce à ses habitants. Peut-on rêver d’y parvenir ?
En France, et en Europe, cela fait très longtemps que nous n’avons plus connu cette situation, qui existait pourtant avant l’ère du pétrole. En effet, au temps du bois, des moulins à eau et à vent, puis des débuts du charbon, toutes les ressources énergétiques étaient essentiellement locales. La musculature des hommes et des animaux de trait était alimentée par la photosynthèse des alentours (il y avait très peu d’échanges à longue distance par voie terrestre) ; les moulins par le vent et l’eau du territoire ; les chaudières et les forges par le bois environnant.
Aux débuts du charbon, l’autonomie est toujours de mise. Ce combustible solide ne se transporte pas facilement loin et en grandes quantités. C’est ce qui explique que l’essor industriel du 18è siècle soit très lié à la présence de charbon sur le territoire national.
C’est le pétrole qui a significativement changé la donne. Se transportant et se stockant très facilement, et disponible dans pays qui pouvaient en produire bien plus que pour leur propre consommation, il a fait l’objet d’échanges internationaux majeurs… en créant des situations de « non autonomie énergétique » à large échelle. Comme ce combustible a permis le transport de masse par voie d’eau et de terre, il a aussi permis les échanges internationaux de charbon (par train ou minéralier) et de gaz (en permettant le transport facile des composants de gazoducs, qui auraient été impossibles à assembler sans pétrole).
Grâce au pétrole importé (aujourd’hui à 99%), puis au gaz importé (à 100%), et à l’uranium importé (100%), la France a ainsi pu accéder à la profusion de machines productives – et donc à la consommation de masse – dans le courant du 20è siècle, alors même que son charbon s’épuisait (il est aujourd’hui 100% importé aussi) et que ses barrages étaient limités. Bien sur, le degré de criticité associé n’est pas le même selon que l’on peut stocker pour plusieurs années de consommation (cas de l’uranium) ou que nos stocks couvrent à peine quelques mois (pétrole).
Revenons aux renouvelables, et nous reviendrons à l’autonomie ! La promesse peut-elle être tenue ? Pour ce qui est du bois et de l’hydroélectricité, la ressource est certes chez nous, mais elle n’est pas extensible à la hauteur des fossiles. Ce n’est pas la dépendance à l’étranger qui pose problème, mais l’approvisionnement physiquement possible.
Mais le solaire et l’éolien ? Le déployer chez nous demande d’autres ressources importées : des métaux. Il peuvent être « courants » (nickel, cuivre, aluminium) ou plus inhabituels (notamment les « terres rares », qui sont en pratique aussi des métaux), en passant par les métaux précieux (or, argent), utilisés dans l’électronique, sans laquelle il est inenvisageable de déployer des modes non pilotables à large échelle. D’autres métaux encore – notamment le lithium – sont également indispensables pour les batteries.
Aucun d’entre eux, actuellement, ne provient d’une mine française, parce que ces ressources n’existent pas ou plus dans l’Hexagone. Est-ce grave ? La seule manière de le savoir est d’aller regarder d’un peu près, mais dans le doute, il serait sage de commencer par déployer les moyens décarbonés qui sont les moins consommateurs de métal par kWh fourni.
Prenant l’avantage sur l’éolien ou le solaire d’un facteur 10 à 100 (stockage inclus), selon une publication toute récente de l’Agence Internationale de l’Energie, le nucléaire apparaît alors comme l’énergie créant la dépendance la plus faible (en quantité) aux métaux non disponibles en France. Il ne faut pas l’oublier dans nos arbitrages.