Tribune parue dans Les Echos du 4 février 2014
300 milliards d’euros, c’est le cout de reconstruction à neuf du parc nucléaire français. C’est aussi ce que les allemands ont investi en 10 ans pour porter les renouvelables de 4% à 22% de leur électricité (20% en France).
Qu’ont-ils gagné à ce prix là ? L’arrêt d’une petite moitié de leurs réacteurs, et c’est tout. Charbon, gaz et pétrole représentent toujours 60% de la production électrique en 2013, comme en 2003. Un allemand importe toujours 1100 dollars de pétrole par an, contre 1000 en France. De 1995 à 2012, les kWh électriques par allemand ont augmenté de 15%, contre 3% par Français.
Leur pays importe plus en panneaux solaires que leur industrie n’exporte [NDR : je voulais dire « plus que leur industrie n’exporte dans le secteur des renouvelables », évidemment]. Les cultures énergétiques mobilisent 1 million d’hectares, soustraits à la production alimentaire. Les mines de lignite continuent de dévorer le paysage et de détruire l’environnement. Et surtout, un allemand émet toujours 10 tonnes de CO2 par an, contre 6 en France. Si leurs 300 milliards avaient servi à remplacer charbon et gaz par du nucléaire, les allemands seraient aussi à 6 tonnes…
Alors, que cherche Hollande en voulant un « Airbus de l’énergie » avec un partenaire aussi peu aligné sur nos intérêts ? A bref délai il vaudrait bien mieux regarder du côté… des anglais. Ces derniers veulent diminuer le CO2 et augmenter le nucléaire, et notre industrie y a intérêt. Après avoir poussé à la « libéralisation » partout pendant 20 ans, ils veulent désormais sortir l’électricité du marché, et notre pays planificateur y a intérêt.
Ils vont investir d’abord là où le capital est le plus efficace pour régler le problème, alors que l’Allemagne a fait l’exact inverse, dépensant ainsi un argent que nous n’aurons pas. Un axe franco-britannique fort sur l’énergie décarbonée aiderait assurément la Grande Bretagne à s’arrimer au continent, alors que son électorat a quelques états d’âme. Et cette initiative révèlerait sûrement que nombre de pays de l’Union – scandinaves ou à l’Est – préfèrent le pragmatisme anglais à l’aventure allemande.
Evidemment, à la fin de l’histoire, le destin de l’Allemagne et celui de la France devront se rejoindre. Mais, parfois, pour convaincre son ami qu’il se trompe, rallier d’abord le reste de son entourage est la meilleure tactique.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais qui sont utiles pour éclairer les propos !
Part de l’énergie fossile en Allemagne depuis 1965 (courbe pointillée tout en haut) et part de chaque énergie dans la consommation totale (courbes de couleur).
On note que le moment où la part fossile a significativement diminué, de 100% à 85% environ, correspond à la montée en charge du nucléaire (courbe jaune clair).
Depuis 2007 cette part n’a quasiment pas varié, alors que les investissements dans les renouvelables en Allemagne se sont surtout concentrés après 2007 (courbe violette). Cela a été « compensé » par la baisse du nucléaire et le total fossile est à peu près identique.
Source : BP Statistical Review 2013 pour les données par énergie, calcul des pourcentages par votre serviteur.
Part de l’énergie fossile en France depuis 1965 (courbe pointillée tout en haut) et part de chaque énergie dans la consommation totale (courbes de couleur).
La décrue de la part fossile en regard de la montée en charge du nucléaire est très visible, et bien plus marquée qu’en Allemagne.
Charbon + nucléaire font environ 40% des deux côtés du Rhin, mais chez nous c’est très peu de charbon, ce qui n’est pas le cas en face !
Source : BP Statistical Review 2013 pour les données par énergie, calcul des pourcentages par votre serviteur.