Tribune parue dans Les Echos du 17 septembre 2019
La lycéenne suédoise Greta Thunberg est devenue notoire en initiant une « grève de l’école pour le climat ». Son raisonnement est le suivant : à cause du changement climatique, mon avenir est bien parti pour être tout autre chose que ce à quoi l’école me prépare. Inutile, donc, de perdre mon temps en classe.
Et, paradoxalement, le temps que cette lycéenne s’est dégagé est consacré à… exhorter les adultes à retourner à l’école ! Se faire faire la leçon par une adolescente est irritant, mais Greta a raison : sans bonne compréhension des enjeux, il n’y aura pas d’action à la hauteur du défi. Au nom de quoi faire confiance à un dirigeant qui affirme agir s’il ignore les ordres de grandeur du problème à traiter ?
Par exemple, qui, parmi les cadres de ce pays, sait quelle est la durée de résidence d’un surplus de CO2 une fois mis dans l’air, et les implications sur la réversibilité des conséquences ? Qui sait pourquoi nous sommes historiquement passés des énergies renouvelables, les seules utilisées il y a 3 siècles, aux énergies fossiles qui dominent aujourd’hui, même en France ? Qui sait à quel horizon de temps le changement climatique fera régulièrement grimper le mercure au delà de 50°C en France, désertifiant alors une partie du pays de façon irréversible ? Qui sait ce qu’a signifié dans le passé une élévation de température de 5°C de la moyenne planétaire ? Qui a bien compris la dépendance systémique de notre société aux énergies fossiles ?
La conséquence de ce défaut d’information, c’est que l’essentiel des cadres pensent l’avenir en supposant deux choses fausses : que nous avons encore le temps pour renverser le problème, et que nous allons conserver des degrés de liberté quoi qu’il arrive sur l’énergie et le climat. Inutile de dire que les « solutions » pensées dans ce cadre sont soit inopérantes, soit aggravent le problème.
De façon très concrète, toute entreprise prétendant être sérieuse sur le climat devrait donc commencer par obliger tous ses cadres à suivre 10h (pour comprendre) à 30h (pour suggérer des solutions) de formation sur les bases physiques et techniques du couple énergie-climat. Ne pas le faire, c’est explicitement afficher que ce sujet n’est pas une priorité.
Il est donc temps de retourner à l’école, même quand on est PDG. Chiche ?
Cadeau bonus : sujet d’examen à Mines ParisTech
Vous trouverez ci-dessous le sujet qui a été donné à mes élèves de Mines ParisTech en 2018 suite au cours qu’ils ont reçu. De mon point de vue, tout décideur économique ou politique prétendant être sérieux sur la question doit être capable d’avoir « tout bon » à chaque question !
Mines Paris Tech – Energie et changement climatique.
Elèves de Première Année, juin 2018
Durée de l’épreuve : 2h30
Documents non autorisés.
NB : il sera accordé une grande importance à la capacité à dire l’essentiel sans se perdre dans les détails. Les affirmations grossièrement farfelues donneront lieu à minoration de la note. Un excès de fautes d’orthographe aussi. Chaque question est notée sur 2 points.
1 – Pourquoi est-il normal que, dans le monde, la production économique, mesurée par le PIB, soit au premier ordre une fonction linéaire de la quantité d’énergie consommée ?
2 – Pourquoi est-il normal que, pour les combustibles fossiles, il y ait un jour – ou déjà eu – un maximum à l’approvisionnement mondial, appelé pic ?
3 – Comment évolue un surplus de CO2 atmosphérique créé aujourd’hui en cas d’arrêt des émissions ? Tirez-en deux conclusions essentielles.
4 – Citez deux processus d’amplification du réchauffement en cours liés à la dynamique interne du système terre, en précisant le mécanisme à l’œuvre
5 – Pourquoi est-il normal que l’inventaire des risques liés au changement climatique soit à jamais impossible à établir précisément ?
6 – Quelles sont les diverses manières d’économiser de l’énergie ?
7 – Pourquoi est-il normal, au regard de la physique, que l’énergie nucléaire soit une énergie à faible teneur en CO2 ?
8 – Pourquoi est-il utile de rajouter une comptabilité carbone, c’est-à-dire une comptabilité physique, en plus de la comptabilité monétaire ?
9 – Selon vous, quels sont les postes d’émission significatifs de l’usage d’Internet et des télécommunications en général ? A quelles conditions peut-on considérer que cela « dématérialise » de passer du papier à l’informatique ?
10 – Pourquoi sommes nous historiquement passés des ENR aux combustibles fossiles ?