Article paru dans l’Expansion de mars 2008
Nombre de personnes qui s’interrogent sur la « durabilité » de notre système socio-économique oublient souvent cette question dépend d’abord de données physiques avant de dépendre de données économiques. En gros, tant que le prélèvement du capital naturel effectué par notre espèce reste inférieur à son renouvellement – par exemple tant que nous utilisons chaque année moins de bois que ce qui a poussé dans l’année – le système est « durable ». En revanche, dès que nous faisons appel à un capital non renouvelable à l’échelle de l’histoire (par exemple à des hydrocarbures, dont la durée de reconstitution se compte en millions d’années), le système ne peut ni durer longtemps ni, a fortiori, croître éternellement.
L’activité humaine est une simple transformation : nous adaptons à notre usage des richesses naturelles préexistantes, généralement en créant des déchets. L’accroissement du capital artificiel s’accompagne donc, inéluctablement, d’une dépréciation du capital naturel.
Au vu de ce tableau, un économiste – qui aurait quelques notions de physique – chargé de bâtir un indicateur de synthèse de notre activité devrait proposer de comptabiliser en positif la création de capital artificiel, et en négatif la disparition concommittante du capital naturel non renouvelé. De plus, il passerait des « provisions pour risque » si les déchets créés sont porteurs d’un inconvénient non négociable mais différé dans le temps (tel le changement climatique qui suit nos émissions de gaz à effet de serre avec 50 à 100 ans de retard).
Or, les économistes évaluent l’activité économique avec un indicateur, le PIB, qui ne mesure qu’une chose : la valorisation du flux annuel qui permet d’aller du stock naturel vers le stock « artificiel ». Notre système macro-économique ne se soucie pas le moins du monde du niveau du stock de départ : il est donc construit pour ne pas voir qu’il va à la faillite. Le grand paradoxe du PIB est que, plus il croît, plus il précipite l’effondrement socio-économique faute de ressources pour alimenter la machine ou de puits pour épurer les déchets. C’était le message du Club de Rome en 1972. C’est celui du rapport Stern, l’an dernier.
A l’issue du Grenelle de l’Environnement, notre président semblait avoir compris que la physique surdétermine l’économie, et qu’il est urgent de disposer d’un indicateur faisant apparaître le capital naturel résiduel dont dépend notre prospérité future. Mais, en applaudissant au rapport Attali, il envoie le signal exactement contraire. Le lundi, il explique qu’il va demander aux prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen de trouver autre chose que le PIB, et le mardi, il affirme qu’il veut faire croître ce même indicateur inadapté. Lundi, il parle de mettre un grand coup de frein aux infrastructures pétro-dépendantes (autoroutes, aéroports), et mardi il envisage – c’est dans les propositions du rapport Attali – de les augmenter.
En 1900, le rapport Attali aurait été parfait. En 2008, en proposant de piocher à vitesse accélérée dans les stocks naturels parce que c’est la seule manière de faire croître le flux macroéconomique que nous mesurons, ce rapport nous propose d’augmenter la probabilité de laisser à nos enfants, en héritage, un monde dont nous ne voudrions pas pour nous-mêmes [NB : dont une possibilité parmi 2492 est par exemple imaginée dans cette autre tribune que j’ai écrite pour l’Expansion].