Tribune parue dans Les Echos du 29 mars 2016
Inédit : voici un adjectif qui correspond parfaitement à la température positive enregistrée au Pôle Nord le 1er janvier dernier, ou à la sécheresse millénaire connue par la Californie en 2015. Pour les urbains que nous sommes devenus, ces épisodes « inédits » restent largement désincarnés : sécheresse ou pas, températures exceptionnelles ou pas, cyclones aux Philippines ou pas, nous ne voyons la différence ni dans notre travail quotidien, ni dans la quantité ou le prix de la nourriture et des vêtements disponibles au magasin. Alors pourquoi s’en faire ?
L’histoire qui commence ne va pourtant ressembler à rien de ce que nous connaissons. Depuis la sédentarisation de notre espèce – 10.000 ans en gros – le climat planétaire était à peu près stable : à cause du changement climatique induit par les hommes il va de plus en plus cesser de l’être.
Depuis 2 siècles, l’approvisionnement de l’humanité en énergie facile d’emploi – les combustibles fossiles – était croissant, nous conférant une capacité à modifier notre environnement à un rythme lui aussi inédit dans l’histoire : la tendance s’est déjà inversée dans les pays de l’OCDE.
Aujourd’hui encore, les kWh domptent les degrés. Si la pluie fait défaut, nous pouvons faire venir de l’eau ou de la nourriture d’ailleurs ; si des logements, des usines ou des ponts sont détruits, nous pouvons les reconstruire rapidement ; si des espèces disparaissent, les produits de notre industrie nous fournissent les mêmes services… et tout cela grâce à l’énergie, qui met en face de toute adversité des machines bien plus puissantes que nos muscles.
Mais la croissance de l’énergie mondiale aura une fin, car 80% provient de stocks finis (pétrole, gaz, charbon). Pour des raisons physiques, les nouvelles énergies renouvelables (moins de 2% aujourd’hui) ne pourront compenser le déclin, loin s’en faut.
Le « business as usual » – comprendre la ligne de pente – ne sera donc pas la perpétuation du monde actuel, mais la conjonction de surprises climatiques – et environnementales – qui iront en croissant, avec en face des moyens décroissants : l’inédit risque de devenir notre pain quotidien. Relever ce défi demande, plus que jamais, de penser l’impensable.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Approvisionnement énergétique de l’OCDE depuis 1965, hors bois.
On voit que cet approvisionnement passe par un maximum en 2007 (2 ans avant la crise de 2009, bien visible avec une indentation vers le bas). Incidemment on voit qu’une hausse, même significative, des « nouvelles renouvelables » (tout sauf bois et hydroélectricité) ne changera pas grand chose face à la baisse imposée des combustibles fossiles et celle, qui ne dépend que de nous, du nucléaire.
L’approvisionnement par personne, lui, est passé par un maximum en 2005, année où la production mondiale de pétrole brut s’arrête plus ou moins de croître.
Source des données : BP Statistical Review ; mise en forme par votre serviteur.
Décomposition de la consommation d’énergie primaire dans le monde en 2014.
Le solaire, c’est peut-être beaucoup d’espoirs, mais pour l’heure c’est 5% de l’hydroélectricité, qui représente elle-même 6% du total mondial…
Source des données : BP Statistical Review & divers ; mise en forme par votre serviteur.