Chronique parue dans L’Express du 24 février 2021.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur. La tribune ci-dessous a été précédée d’un petit sondage qui posait la question suivante : « Selon vous, quelle est la manière la moins chère de produire de l’électricité sans émettre de CO2 ? » Les réponses possibles étaient : « le solaire » (3,5% des réponses), « l’éolien » (7,5% des réponses), « l’hydraulique » (14% des réponses), et « le nucléaire » (75% des réponses). NB : je ne suis pas sur que les personnes qui ont répondu soient très représentatives de la population française !
Depuis que le climat est devenu un sujet important, les partisans du nucléaire et ceux des énergies renouvelables (EnR) se livrent à une joute permanente pour savoir quel type d’électricité est le plus apte à remplacer celle issue du charbon et du gaz. Désormais, les seconds avancent un argument qui semble imparable : l’électricité issue des EnR serait moins chère. De fait, le courant fourni par les EPR en construction en Europe coûtera bien plus que les 10 centimes du kilowattheure qu’affiche le solaire au sol, et le prix de l’énergie éolienne est plutôt moitié moindre. La messe serait-elle dite ?
Commençons par une remarque amusée : il est inattendu que les environnementalistes invoquent un gain économique pour soutenir un arbitrage. En effet, ils ont historiquement critiqué toute décision uniquement basée sur les coûts, arguant, à juste titre, que ces derniers ne prennent pas en compte les dommages causés à l’environnement. Un kilowattheure éolien restant dix fois plus cher qu’un kilowattheure de pétrole, si l’argument du prix prime tous les autres, restons au pétrole !
Admettons que l’arbitrage entre les divers modes décarbonés ne s’effectue pas sur la base d’avantages et inconvénients « physiques », comme l’occupation d’espace, l’atteinte à la biodiversité, les matériaux consommés ou la dangerosité sanitaire, mais sur celle de l’argent. Sur ce critère, le nouveau nucléaire est perdant face au solaire ou à l’éolien en sortie de centrale. Mais l’hydraulique fait mieux : en France, il revient à de 1,5 à 2 centimes le kilowattheure. Eh bien, mettons des barrages partout ! Hélas, il n’y a plus beaucoup de sites éligibles… Cela prouve que le coût observé des installations existantes ne prédit en rien la facilité qu’il y aurait à en construire davantage.
Partons alors sur l’éolien ! Le courant issu d’une future éolienne sera assurément moins onéreux que celui issu des réacteurs nucléaires en cours de construction. Mais un réacteur existant dont on aura allongé la vie de vingt ans – pour passer de quarante à soixante ans, ce que les USA ont autorisé partout –, produira à meilleur marché qu’une éolienne neuve – prévue pour fonctionner vingt ans, elle aussi. Comparons ensuite des installations neuves. Pour le nucléaire comme pour les EnR, l’argent est essentiellement dépensé au moment de la construction. Le taux d’intérêt qui doit être servi aux investisseurs et banquiers est alors déterminant. S’il est de 10 % par an (cas typique en Europe), le kilowattheure issu d’un EPR construit pour 10 milliards d’euros (ce qui est évidemment trop cher) sera à 15 centimes, alors qu’à 2 %, il reviendrait à 5 centimes. Le nucléaire coute avant tout ce qui sera payé aux financiers, lesquels n’aiment pas l’incertitude. Dans un monde où le nucléaire serait aussi désirable que les EnR, il serait moins coûteux que l’éolien en sortie de centrale.
Enfin, et surtout, l’éolien et le solaire ne boxent pas dans la catégorie du nucléaire. Ce dernier, pilotable, produit en fonction de nos envies. Les premiers, dits fatals, le font en fonction des conditions extérieures. Y recourir massivement exige d’abord de renforcer le réseau : les points de raccordement se multiplient, et la puissance totale installée s’accroît sensiblement, car ces dispositifs ne fonctionnent pas souvent à pleine puissance. Les coûts correspondants ne sont pas assumés par le producteur. Il faut ensuite ajouter le stockage (qui a aussi un cout, non payé par le producteur), ou des dispositifs pouvant produire en back-up (les centrales existantes, pas plus à la charge du producteur), ou accepter de perdre des usages quand il n’y a pas assez de vent ou de soleil, et cela a aussi un coût (très élevé !).
Un très récent rapport coproduit par RTE et l’Agence internationale de l’énergie vient de rappeler qu’il n’était pas légitime de comparer le prix d’une source pilotable avec celui d’une source fatale. Dit autrement, on ne peut pas déclarer « mon éolien produit pour moins cher que ton nucléaire » sur la seule base des coûts en sortie de centrale : il faut comparer des systèmes complets. Ça n’empêchera pas de continuer à entendre cette affirmation non valide d’un éolien ou d’un solaire compétitifs sur la seule base des coûts de production, parions-le !