Chronique parue dans L’Express du 30 juin 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, sera « pas évident » pour le lecteur. Pour savoir jusqu’où ce fait sera contre-intuitif, un petit sondage en ligne sera effectué pendant une semaine à 15 jours avant que je ne rédige mon texte, pour demander « l’avis de tou(te)s ». C’est bien entendu votre serviteur qui formule la question ainsi que les réponses possibles.
Pour cette chronique, la question posée était la suivante : « À votre avis, de combien va baisser la concentration atmosphérique en CO2 en 2020 à cause des effets de la crise actuelle ?« . Les réponses possibles étaient « de 0% » (choisie par 27,5% des répondants), « de 2% » (choisie par 30,7%), « de 6% » (choisie par 23,1% des répondants) et « elle va augmenter » (choisie par 18,7%). La bonne réponse est bien entendu fournie et commentée dans ce billet.
Au plus fort du confinement consécutif à la pandémie du covid-19, la production électrique (qui repose à plus de 60% sur charbon et gaz dans le monde) a baissé de 5% à 25% selon le pays, la production industrielle de 25% à 45%, la mobilité terrestre – qui repose à plus de 90% sur le pétrole – de 40% à 65%, et l’aérienne de 75% environ. La consommation de pétrole a plongé de plus de 25% en avril.
Nos principales sources de gaz à effet de serre (hors déforestation et agriculture) ont donc, pendant un temps, bien diminué : le 7 avril 2020, cette baisse a atteint son paroxysme, et 17% des émissions planétaires avaient disparu. Mais… elles ont augmenté tellement vite récemment, que cette baisse de 17% nous a juste ramenés au niveau d’un jour « normal » de 2006 !
Sur l’année, la baisse sera bien évidemment moindre, de l’ordre de 5% à 8%. Mais, si les émissions ont baissé, on peut au moins être en droit d’espérer que la quantité de CO2 dans l’atmosphère évolue à la baisse ? Cette idée semble tellement « naturelle » que, en réponse à la question « À votre avis, de combien va baisser la concentration atmosphérique en CO2 en 2020 à cause des effets de la crise actuelle ? » proposée par l’Express, seulement 19% des répondants ont correctement répondu que… elle allait augmenter quand même.
Pour le comprendre, il faut en revenir à un peu de chimie. Le CO2, ou dioxyde de carbone, ou encore gaz carbonique, est une molécule stable une fois dans l’atmosphère : tant qu’elle est « dans l’air » et loin du sol, elle est indestructible. Son effet sur le climat n’est pas chimique, mais physique : elle opacifie l’atmosphère au rayonnement infrarouge émis par la surface, et cet effet perdure aussi longtemps que notre molécule de gaz carbonique se promène dans l’air.
Notre atmosphère est donc « remplie » ou « vidée » de son CO2 au contact du sol. Côté « bonde », la nature utilise la photosynthèse, pour 440 milliards de tonnes de CO2 par an pour l’ensemble de la planète, et l’absorption par l’eau océanique en cours de refroidissement (car le CO2 se dissout mieux dans l’eau froide que dans l’eau chaude), qui représente environ 255 milliards de tonnes par an.
Côté émissions, on va trouver la restitution du CO2 (préalablement dissout) issu des masses d’eau qui elles se réchauffent (255 milliards de tonnes aussi), et la respiration des plantes (qui respirent !) et des animaux (le carbone du CO2 exhalé vient justement des plantes mangées par les bestioles, des microbes aux éléphants).
Dès que l’homme rajoute ses propres émissions, venant des combustibles fossiles, cela va augmenter la quantité de CO2 dans l’air. Certes, une partie sera reprise par une photosynthèse un peu plus active tant que les conditions climatiques restent favorables (ca commence à ne plus être le cas), ou une absorption océanique un peu favorisée, mais cela ne suffit pas à absorber le surplus d’émissions.
Une partie du surplus reste donc dans l’atmosphère. En 2020, avec juste quelques % de baisse par rapport à 2019, nous allons voir la concentration atmosphérique augmenter « presque normalement », surtout que la variabilité du cycle naturel du CO2 – qui porte, comme nous l’avons vu, sur environ 700 milliards de tonnes annuelles échangées dans chaque sens – masquera probablement la baisse d’environ 2 milliards de tonnes sur nos émissions.
Pour que la concentration atmosphérique en CO2 s’arrête d’augmenter, ce qui est un préalable à la stabilisation du climat (mais le climat restera dans un état inédit, la « remise en état » étant impossible), il faut que nos émissions planétaires… deviennent nulles. Cela passe par une baisse qui serait, chaque année et jusqu’en 2080, de même ampleur que celle expérimentée en 2020 (5% d’émissions en moins par rapport à l’année précédente). Il nous faudra plus que des beaux discours pour y parvenir volontairement.