Tribune parue dans le magazine Décisions Durables en juin 2013
L’économie est en train de faire faillite, et pourtant il va nous falloir plus d’économie. Cette conclusion, qui pourrait sembler tirée tout droit d’une cervelle un peu fatiguée, ne tient en fait qu’à une subtile distinction : celle qui sépare la macroéconomie de la microéconomie. La première a vocation à modéliser l’ensemble du système productif, ou des sous-ensembles significatifs, et c’est elle qui aime tant manipuler cet agrégat dont tout le monde a entendu parler au moins une fois dans sa vie, à savoir le PIB.
Cette économie là a (avait ?) vocation à simuler comment pourrait se déformer le système productif d’ensemble, ou ses composantes (volume de production, taux d’emploi, montant de la rémunération moyenne, taux de prélèvements obligatoires, etc), en fonction d’hypothèses diverses que nous pouvons faire pour l’avenir. C’est sur la base de cette macroéconomie que X avancera que de monter les charges est mauvais pour l’emploi, que Y expliquera que de baisser la TVA fait monter le PIB, ou encore que Z dira que la relance par les investissements est meilleure que celle par la consommation.
Problème : plus le temps passe, et moins les choses se passent comme prévu. Sur la base de cette macroéconomie qui prime – à tort – sur la physique dans les cervelles de nombre de dirigeants, nous avons baissé les dépenses publiques ici, laissé filer la dette là, relancé les investissements encore là, soutenu l’emploi par ici, et opéré encore nombre de mesures diverses dont aucune n’a permis d’aboutir au tiercé gagnant rêvé par tout élu et nombre de dirigeants économiques : PIB en hausse, chômage en baisse, dette en baisse.
Il ne faut que quelques heures à une cervelle à peu près bien constituée pour comprendre pourquoi : malgré sa vocation à représenter un système dans son ensemble, un modèle macroéconomique n’en représente qu’une partie, et oublie l’essentiel : les stocks de ressources qui permettent de créer ce flux annuel qui s’appelle le PIB. De ce fait, ces modèles ne fonctionnent que tant que les stocks de ressources sont sans limites, et quand cela cesse d’être le cas, ils se mettent à dire n’importe quoi. En exagérant à peine, le modèle macroéconomique classique est désormais devenu presque aussi peu fiable que les entrailles de poisson pour lire l’avenir, du moins celui de moyen terme.
Mais si la macroéconomie doit désormais être prise avec des pincettes de plus en plus conséquentes, parce qu’elle ignore le substrat physique nécessaire à notre existence, il se trouve que, en même temps, et paradoxalement, l’environnement souffre de ne pas assez utiliser la micro-économie. Grâce au travail de nombre de scientifiques et d’ingénieurs, nous savons que nous essayons actuellement de faire perdurer des prélèvements qui s’avèreront non tenables sur certaines ressources (par exemple le pétrole, certains minerais, ou encore les thons), et que nous rejetons des quantités excessives de perturbateurs de l’environnement (par exemple des gaz à effet de serre) pour que ce dernier reste stable.
Admettons – ce que l’auteur souhaite pour sa part – que l’on décide de gérer sérieusement le problème. Pour être efficaces, il faut suivre quelques règles simples. La première est d’allouer le capital en priorité dans ce qui est le plus efficace par euro investi. Admettons que nous ayons deux possibilités d’investissement pour ne pas utiliser un litre de pétrole pour un usage donné. La première demande d’investir 10 euros pour y arriver, et la deuxième demande 250 euros. Admettons, enfin, que nous soyons pressés par le temps pour traiter le problème, ce qui équivaut au fait que nous ne pouvons dépenser qu’une quantité limitée de capital avant la survenue des ennuis.
Dans ce cadre, tout individu normalement constitué plaidera pour que l’on commence par déployer la solution 1, et que l’on ne s’intéresse à la solution 2 qu’une fois la 1 parvenue au bout de ses possibilités. Si l’une des deux solutions présente des externalités (elle fait plus de bruit, prend plus de place, engendre une pollution spécifique, etc) et que ces externalités ne sont pas encore matérialisées dans des couts directs, il faut bien sûr vérifier que si cela devient le cas, on ne change pas l’ordre de mérite. Mieux : il faut, en bon gestionnaire de la rareté, plaider pour que ces externalités deviennent de vraies charges d’exploitation en changeant progressivement, et de manière prévisible, la réglementation !
Bref, pour gérer au mieux le problème, il faut faire… de l’économie. Mais en pareil cas il ne s’agit pas de prévoir l’effet d’une mesure globale sur le système global en espérant que le bonheur perpétuel sera préservé, mais plus simplement d’arbitrer entre plusieurs possibilités existantes (et néanmoins susceptibles de s’améliorer) pour gérer un problème existant (et néanmoins susceptible de changer au cours du temps).
Et cette économie-là, celle qui sert à gérer, est insuffisamment présente en matière d’environnement, où les choix sont trop souvent faits de manière sentimentale, avec à l’arrivée des déconvenues hélas prévisibles. Les acteurs historiques de l’environnement, qu’il s’agisse de militants, de politiques, ou parfois de scientifiques, y contribuent hélas – et paradoxalement – largement. Pour eux, le problème étant issu de nos activités productives, l’argent est l’ennemi à abattre, et il ne saurait être question de mettre de la rationalité économique dans la gestion d’un problème qui est présenté avant tout comme une affaire de morale ou d’éthique.
Grave erreur : c’est se priver à nouveau d’une paire de lunettes adaptée pour résoudre au mieux – et donc au plus vite – des problèmes de premier ordre. Moins nous mettrons de micro-économie dans la gestion de nos problèmes d’environnement, plus vite nous aggraverons les ennuis globaux.