Chronique parue dans L’Express du 16 janvier 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle, qui démarre en janvier 2020 dans l’Express, est de commenter un fait (mesurable), qui, le plus souvent, sera « contre-intuitif » pour le lecteur. Pour savoir jusqu’où ce fait sera contre-intuitif, un petit sondage en ligne sera effectué pendant une semaine à 15 jours avant que je ne rédige mon texte, pour demander « l’avis de tou(te)s ». C’est bien entendu votre serviteur qui formule la question ainsi que les réponses possibles.
Pour la première édition de cette chronique, intitulée « pas si simple », la question posée était la suivante : « Depuis la signature des Accords de Paris sur le climat en 2015, quel est, selon vous, le mode de production de l’électricité qui a le plus augmenté dans le monde ? ». Les réponses possibles étaient : solaire, éolien, hydro, nucléaire, charbon, gaz. La bonne réponse est bien entendu fournie et commentée dans ce billet ; celle obtenue par le sondage fournie à la fin du billet.
D’où proviennent les émissions humaines de gaz à effet de serre, qu’il faut faire baisser le plus vite possible si nous voulons éviter que 2019 ne devienne une année « sympathique » au regard de ce que sera l’avenir ? Contrairement à ce que nous pourrions penser en regardant la situation française, où les transports arrivent en tête des émetteurs de CO2, sur l’ensemble de la planète, c’est la production électrique qui occupe la première marche du podium, avec presque 30 % des émissions (contre 15 % pour les transports).
Ce ne sont pas les panaches blancs qui trônent au-dessus des tours de réfrigération de nos réacteurs nucléaires qui sont en cause (ils contiennent de la vapeur d’eau). La production électrique qui engendre du CO2, c’est celle qui demande la combustion du charbon, du gaz ou, plus marginalement, du pétrole pour fournir de la vapeur en grande quantité, qui, via des turbines, fabrique le précieux courant. [NDR : sur la photo de centrale à charbon qui illustre cette page, la fumée de la combustion du charbon sort des hautes cheminées « minces », les grosses tours trapues servant uniquement au refroidissement de la centrale en bord de rivière – il n’y en a pas sur les centrales en bord de mer – en évaporant de l’eau, et ces tours sont présentes que la centrale soit nucléaire ou au charbon].
Plus précisément, 38 % de l’électricité mondiale est produite au charbon, 23 %, au gaz, et 3 %, au pétrole, le total fossile représentant donc à peu près les deux tiers des 27 000 milliards de kWh que les machines électriques terrestres ont utilisés en 2018. Pourquoi cette prédominance du charbon ? Parce qu’il reste peu cher et disponible en abondance dans des pays très peuplés (Chine, Inde, Etats-Unis, Indonésie…). Alors, tant que nous n’avions pas de souci avec le climat, ce ne sont pas les maladies des mineurs et la pollution liée à son utilisation qui nous ont arrêtés : nous en possédions, nous l’avons utilisé.
Oui mais, ça, c’était avant ! Avant l’accord de Paris, par lequel les pays se sont engagés, en 2015, à réduire leurs émissions de telle sorte que le réchauffement climatique soit limité à 2 °C entre 1850 (représentative de ce que l’on appelle « l’ère préindustrielle ») et 2100. Depuis, nul doute que nous sommes passés à l’action.
Avec 20 % des émissions mondiales à elles seules, les quelques milliers de centrales à charbon de la planète devraient donc être l’objet de toute notre attention, pour s’en séparer au plus vite et les remplacer par des modes peu émetteurs de CO2 (hydraulique, nucléaire, géothermie, biogaz, éolien et solaire). Et n’est-ce pas déjà le cas avec les installations de capacités renouvelables, qui se multiplient ?
Malheureusement, sur les trois années qui viennent de s’écouler, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé : quand on regarde quel mode a le plus augmenté sa production, l’électricité au charbon monte toujours sur la plus haute marche du podium, devant celle au gaz. Pour l’électricité au charbon, cette évolution reste cependant très contrastée selon les zones. C’est pour cela que nous autres, Européens, avons cette illusion d’optique : chez nous, le recours au charbon diminue (-20 % en trois ans dans l’Union européenne, et la région où il a le plus baissé est… la Grande-Bretagne), ainsi que chez nos « cousins » des Etats- Unis (-15%).
Mais, en Chine, qui concentre la moitié des centrales à charbon mondiales, l’électricité au charbon a augmenté bien plus vite que toute autre forme de production depuis 2015, malgré les informations qui circulent périodiquement sur Internet concernant l’essor du solaire ou de l’éolien dans l’empire du Milieu. L’électricité au gaz, elle, a augmenté dans toutes les zones. Avec 400 g de CO2 émis par kWh produit, elle demeure certes plus « propre » que celle au charbon (1000 g/kWh), mais on est encore très loin du « zéro émission ». Quelle action réelle l’homme doit-il donc mener en la matière ? Il faut que, au niveau mondial, les productions électriques « bas carbone » remplacent rapidement les modes carbonés. Pour le moment, nous en sommes loin.
NB : seulement 20% des « sondés » ont deviné la bonne réponse, qui était le charbon. La réponse la plus fréquente a été « le solaire » (avec 25% des répondants), dont la croissance a été la moitié de celle du charbon (voir plus bas). Preuve que mon intuition sur la mauvaise perception des faits par une majorité était bonne…
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de cet article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec la chronique, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Variation de la production électrique dans le monde, en milliards de kWh électriques, selon le mode, de 2015 (signature des accords de Paris) à 2018. Le charbon arrive bien en tête…
Données primaires BP Statistical Review
Variation de la production électrique en Chine, en milliards de kWh électriques, selon le mode, de 2015 (signature des accords de Paris) à 2018. No comment.
Données primaires BP Statistical Review
Variation de la production électrique dans l’OCDE, en milliards de kWh électriques, selon le mode, de 2015 (signature des accords de Paris) à 2018. On voit bien que dans cette zone le charbon a diminué dans la production électrique. C’est valable pour l’Europe et pour les USA, par contre au Japon cette production est restée stable sur cette période (par contre elle a augmenté de 2011 à 2018, en conséquence de l’arrêt du nucléaire).
Données primaires BP Statistical Review
Décomposition de la production électrique mondiale en 2018. Données primaires BP Statistical Review
Détention des réserves de charbon en 2018. On constate facilement que parmi les plus gros détenteurs de charbon (qui est par ailleurs une énergie qui s’utilise essentiellement de manière domestique, car il se transporte mal) se trouvent les 2 pays les plus peuplés de la planète (Chine et Inde), la plus grosse puissance économique (les USA), et le premier exportateur mondial (Australie).
Données BP Statistical Review.
Pays les plus consommateurs de charbon dans le monde en 2018. Les 11 premiers détenteurs de réserves (graphique précédent) se trouvent tous dans les 16 premiers consommateurs de charbon de la planète.
Données BP Statistical Review.