Tribune parue dans Les Echos du 21 mai 2019
C’est à Colbert que l’on doit, semble-t-il, la création du premier régime de retraite français , à l’époque pour les marins. Le principe est simple : un prélèvement – donc une contrainte – s’applique aux revenus de l’instant présent, pour se préparer à aborder « plus tard » dans de meilleures conditions.
La retraite a depuis été complétée par bien d’autres causes sociales justifiant de contribuer aujourd’hui pour éviter le dénuement plus tard, notamment la maladie : ceux qui sont en bonne santé – en général les jeunes – fournissent les revenus de ceux qui ne le sont plus – en général les plus âgés.
La contrainte pour les entreprises qui découle de cette solidarité nationale n’est pas mineure, puisque le défaut de paiement des charges sociales est un des motifs possibles de faillite d’une entreprise, avec à la clef la cessation partielle ou totale d’une activité.
La collectivité considère donc comme normal qu’une entreprise puisse faire faillite, donc mourir, parce qu’elle ne peut plus apporter sa part à la solidarité nationale sur le plan social.
Il y a une autre solidarité qui est en train de devenir un enjeu majeur pour notre espèce : celle qui concerne le climat (et l’environnement en général). Comme pour le social, elle demande de donner aujourd’hui pour se garantir demain. Le but ici n’est pas d’éviter de se retrouver sans revenu lorsque l’on sera vieux ou malade, mais « sans environnement » lorsqu’il sera « plus tard ».
Ce transfert-là demande un effort des vieux en faveur des jeunes, alors que le système social s’opère essentiellement en sens inverse.
Comme les émissions de gaz à effet de serre découlent largement de nos activités productives, lutter contre le changement climatique rend inévitable d’ imposer aux acteurs économiques une contrainte forte . « Vous n’y pensez pas, disent les représentants des employeurs, car vous risquez de faire péricliter une partie de nos entreprises. »
Peut-être. Mais, à bien y réfléchir, si nous acceptons que la solidarité nationale sur le plan social justifie que de temps en temps une entreprise n’y survive pas, parce que le bénéfice pour tous est supérieur à l’inconvénient pour certains, en quoi serait-il anormal qu’il en soit de même pour éviter un risque climatique considérablement plus important ?