Tribune parue dans Les Echos du 30 mars 2012
NB : cette page propose le titre original et le texte proposé au journal.
L’année 2010 aura été la plus chaude que la terre ait connue depuis que les hommes disposent de relevés thermométriques à large échelle (c’est-à-dire 1860). Une canicule inédite a alors entraîné l’arrêt des exportations russes de céréales, et, par contrecoup, un doublement du prix de ces dernières en un an, ce qui a probablement joué un rôle déterminant dans le « Printemps Arabe » (les pays du Maghreb sont de gros importateurs de céréales).
Plus généralement, en bon accord avec les simulations climatiques effectuées depuis des décennies, sécheresses et hausses de température ont déjà commencé à limiter les rendements agricoles pour les deux principales céréales mondiales, maïs et blé. L’agriculture, ce n’est certes que 2% du PIB en France. Mais sans nourriture, il sera difficile d’avoir les 98% restants…
Côté ressources, c’est le pétrole qui nous fait souffrir. Le nombre de barils extraits du sol chaque année est quasi-stable depuis 2005. Par effet d’éviction dû aux émergents et aux pays producteurs eux-mêmes (les deux consomment de plus en plus de pétrole), l’approvisionnement des importateurs historiques (dont la France) est déjà parti à la baisse, et cette tendance va s’accélérer. Ce plafonnement de l’approvisionnement mondial en or noir a provoqué la première récession planétaire depuis la Seconde Guerre Mondiale, qui a elle-même créé un choc bancaire et budgétaire majeur dans les pays industriels historiques.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la contrainte pétrolière – qui va s’accroître – provoquera, en « business as usual », une à deux récessions sévères pendant la prochaine mandature, démentant les prévisions de croissance totalement irréalistes sur lesquelles sont bâtis les projets des principaux candidats. 0% de croissance au lieu de 2%, c’est environ 20 milliards de recettes fiscales et sociales qui ne rentrent plus dans l’année. Une paille !
La prise en compte au bon niveau du défi inédit posé par la contrainte énergie-climat fera donc la différence entre un monde se décomposant lentement dans la violence, et un monde qui en sortira par le haut. En 2007, ce constat – déjà connu – fut à l’origine du Pacte Ecologique, qui a contribué à faire de l’environnement un sujet central pendant les 3 premières années du mandat de Sarkozy. Et puis, par une étrange alchimie, le pouvoir en place a du considérer que les problèmes planétaires évoqués ci-dessus, qui demandent à l’évidence une transition massive soutenue sur plusieurs décennies, avaient été réglés par trois ans de discussions – certes fort sympathiques – et deux lois – certes bienvenues – seulement partiellement dotées de décrets d’application, qui au surplus ne sont parfois ni faits ni à faire.
Le salut pourrait-il venir de l’opposition ? François Hollande oscille sur ce sujet entre l’amateurisme et la démagogie. Les Verts, qui prétendent être les plus légitimes sur le sujet parmi les politiques, sont dans les faits tout aussi incapables du moindre projet global cohérent, à tel point qu’ils contribuent parfois à tuer le sujet qu’ils portent. Les centristes sont inaudibles sur ce terrain, alors que Bayrou avait été le premier à signer le pacte en 2007, et les partis extrémistes sont souvent focalisés sur des symptômes jugés insupportables de la maladie, non sur ses causes profondes. Bref, avec le recul du temps, il semble hélas avéré que la période 2007-2009 n’a pas servi à augmenter significativement la clairvoyance de nos politiques pris dans leur ensemble, malgré quelques exceptions bienvenues.
Tout cela serait logique si la société civile n’en avait cure. Mais, alors même qu’il faut déplorer un désintérêt croissant du politique, le Grenelle a créé une population significative de cadres, hauts fonctionnaires, syndicalistes, universitaires, journalistes et dirigeants associatifs, qui partagent désormais le constat d’une nécessité de changer de modèle, et surtout le sentiment à le faire en grand et sans trop tarder si nous voulons éviter des lendemains qui déchantent fortement. Bien entendu, cet accord sur l’objectif n’empêche pas des oppositions frontales sur les moyens, mais c’est un acquis majeur que de s’être déplacé du « pourquoi » au « comment » pour une fraction non nulle des gens qui pèsent sur la décision publique.
Nous avons bien fait quelques erreurs de jeunesse dans ce début de parcours, comme de subventionner massivement le photovoltaïque ou les achats de voitures pas si économes que cela, mais gardons nous de jeter le bébé avec l’eau du bain (dont la température monte !) : en de nombreux endroits, cet exercice inédit de la première partie du mandat a créé un choc salutaire sur l’ampleur du défi, a permis l’apparition de méthodes de gestion et de débats économiques sur les moyens, a conforté des positions et des budgets dans les organigrammes, bref a rendu le sujet environnemental sérieux, et de tout cela il reste assurément quelque chose.
Et c’est au moment où la population de « décideurs ordinaires » – publics ou privés – qui a envie d’entendre parler de la réponse au défi n’a jamais été aussi nombreuse, que le monde politique démissionne. A-t-il pris peur devant ce qu’il a compris, laissant finalement au monde civil le soin d’avoir du courage à sa place ? N’a-t-il rien compris du tout, et confondu la physique éternelle avec un effet de mode ? Est-il persuadé que les problèmes ne commenceront qu’après le décès du dernier d’entre eux ? Alors que nous nous apprêtons à vivre une des dernières élections présidentielles avant le début de la grande contraction énergétique européenne, cette indigence est lourde de menaces.