Tribune parue dans le quotidien La Croix en novembre 2007
Le « développement durable », imparfaite traduction du terme anglais « sustainable development », se définit comme « un développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations futures ».
A l’évidence, cette maxime n’oblige pas à renier la charité chrétienne : le bonheur pour tous, partout et tout le temps, qui sera contre ? Malheureusement, pour passer de la coupe – qui recueille tous les suffrages – aux lèvres, il reste à donner à cette définition une portée pratique, et c’est là que tout se complique. En effet, tant que nous n’avons pas défini les « besoins » des générations présentes – et a fortiori ceux des générations futures – de manière explicite, nul ne peut dire si cet énoncé représente une saine vision de l’avenir, ou… la prise de nos désirs (d’aujourd’hui) pour des réalités (de demain).
Qu’on en juge : avons nous « satisfait nos besoins » depuis que notre espérance de vie a dépassé 40 ans ? (fin du 19è siècle, ce n’est pas si ancien) Ou faudrait-il attendre que chacun d’entre nous vive 120 ans pour que nous nous estimions repus ? Avons-nous « satisfait nos besoins » lorsque nous disposons de 10 m2 habitables par personne, ou tout terrien doit-il disposer de 150 m2 chauffés et climatisés, plus un jacuzzi et un sauna privé par personne ? Avons-nous « besoin » de prendre l’avion une ou vingt fois au cours de notre existence ? Avons-nous « besoin » de manger 20 kg de viande par an (consommation en 1800) ou 100 kg (consommation en 2000) ? Le minimum vital, c’est combien de km en voiture par an ?
Au surplus, « besoins » individuels et « besoins » collectifs sont souvent antagonistes, et la définition du développement durable ne nous offre pas l’ombre d’une aide pour arbitrer entre les deux. Moins d’impôts est un « besoin » individuel de tout contribuable, mais les recettes fiscales sont un « besoin » de la collectivité pour fonctionner. Où est la recette pratique pour arbitrer entre les deux dans l’énoncé du développement durable ?
Enfin, quand nous allons passer aux « besoins » des générations futures, de quel horizon de temps parlons nous ? Le « développement » doit-il être durable (ou soutenable, peu importe) pendant au moins 10 ans ? 50 ? 2 siècles ? 3 millénaires ? Et surtout, comment définir de manière univoque ce que seront les « besoins » de nos descendants ? Si nous avons suffisamment détérioré le monde d’ici là, peut-être que de mourir à 40 ans après avoir eu de quoi manger à sa faim sera le seul niveau d’exigence du terrien de 2150, mais si le miracle énergétique est arrivé, peut-être que le minimum sera de faire le tour du Soleil en navette spatiale pour ses 20 ans….
Si le monde du développement durable est impossible à décrire avec précision, il est par contre possible de démontrer que deux choses au moins ne vont pas durer : disposer d’un approvisionnement perpétuellement croissant – ou même perpétuellement constant – en hydrocarbures (gaz, pétrole, charbon), et émettre des quantités perpétuellement croissantes -ou même perpétuellement constantes – de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La seule question est de savoir quand au plus tard une évolution qui a fondé 2 siècles d’acquis matériels et sociaux va se mettre à aller dans l’autre sens, que cela plaise aux grévistes de Mercredi dernier ou pas. Peu importe, alors, que le développement durable n’ait pas de définition normative : éviter ce qui n’est pas durable représente déjà un tel défi que nous pouvons nous en contenter !