Tribune parue dans Les Echos du 24 septembre 2013.
NB : le titre et le texte sont ceux de la tribune « originelle ».
En proposant que notre consommation d’énergie fossile baisse de 30% d’ici à 2030, Hollande a pris un risque limité. Depuis 2006, cette consommation baisse de 2% par an, ce qui permet par ailleurs aux émissions de CO2 de baisser presque au même rythme. Prolonger cette tendance jusqu’en 2030 nous amènerait directement à l’objectif proposé. Serait-ce à dire que, depuis Kyoto, nos dirigeants (économiques et politiques) auraient enfin mis les actes en accord avec les discours ?
Si cela était le cas, les émissions de CO2 par unité de PIB, qui traduisent directement combien nous brûlons de pétrole, de gaz et de charbon pour obtenir un dollar de valeur ajoutée (que ce soit dans le confort thermique, la mobilité, ou l’appareil productif), devraient baisser plus vite au sein des pays qui déclarent agir que chez ceux qui ont dit que ce n’était pas leur problème. De fait, ce ratio baisse. Entre 1998 – année qui suit le protocole de Kyoto – et 2012, la France a diminué le contenu en CO2 de son PIB de 27%.
Mais, sur la même période, les Etats-Unis – pas écolos du tout comme chacun sait – l’ont baissé de… 28%. L’Allemagne, icône écologiste dans notre pays, affiche -26%, tout comme… l’Australie, pays du charbon par excellence. La Suède, qui a mis en place une taxe carbone dès 1991 (ce qui n’a pas l’air d’avoir mis son économie par terre), termine à -45%, tout comme… la Russie, un des plus gros producteurs mondiaux de pétrole et de gaz !
Alors quoi ? Nous n’avons rien fait de plus que les voisins ? Prenons les transports, pour commencer, qui engendrent un tiers du CO2 hexagonal. La seule mesure efficace pour faire baisser la consommation de pétrole – toutes les statistiques le montrent – est d’en monter le prix, sous une forme ou sous une autre. Or depuis 1998 la vignette (une taxe annuelle proportionnelle à la consommation du véhicule) a été supprimée (en 2000 sous Fabius), le prix réel du carburant a baissé, et le linéaire routier gratuit a augmenté.
Le bonus-malus reste anecdotique : le malus, qui ne s’applique qu’à l’achat et non à la détention, est trop modeste pour décourager l’envie de paraître, et le bonus encourage l’acquisition de voitures encore bien trop gourmandes pour permettre une baisse rapide des émissions du parc en circulation.
Dans le bâtiment, les constructions neuves ont fait l’objet de normes de plus en plus exigeantes depuis 1975. Malheureusement, le neuf sert essentiellement à accroître le parc (10% du neuf remplace une démolition). Sa bonne performance peut limiter la hausse de la consommation d’énergie des bâtiments, mais non faire baisser cette dernière. Pour cela, il faut s’attaquer de manière explicite aux bâtiments déjà construits, ce qui signifie à nouveau monter le prix de l’énergie, et surtout obliger à rénover, idée qui n’a jamais été mise en application depuis le choc pétrolier. Le saupoudrage électoraliste – tel celui annoncé par Hollande Vendredi – de petites aides ici et là n’engendre essentiellement qu’un effet d’aubaine, mais n’a que peu d’effet significatif sur la consommation du parc.
Reste l’industrie, où les axes s’appellent efficacité énergétique et électrification (sans carbone), qui demandent des investissements significatifs. Aides publiques, protection aux frontières et prix prévisibles de l’énergie et du carbone aideraient bien, malheureusement l’obsession libérale a poussé à faire l’inverse sur tous les plans. Ajoutons que, sous la pression des antinucléaires, les milliards sont allés prioritairement aux énergies renouvelables électriques, pour attaquer l’atome dans l’électricité (lequel permet pourtant qu’un français émette 40% de CO2 en moins qu’un allemand), au lieu d’aider à baisser pétrole et gaz dans le chauffage et la mobilité.
Et pourtant, les émissions baissent depuis plusieurs années. C’est que, à force de tergiverser, la contrainte a commencé à faire le travail à notre place. De 2006 à 2012, notre consommation de pétrole a baissé de 13%. Pas par vertu, mais parce que la production mondiale est stable depuis 2005, et comme il y a de plus en plus de consommateurs sur la planète la part qui nous revient baisse.
Pour le gaz, la Mer du Nord (60% du gaz européen) décline depuis 2006, et de ce fait notre consommation de gaz baisse aussi. Pétrole et gaz faisant 90% de nos émissions de CO2, ces dernières baissent en conséquence.
Le hic, c’est que pétrole et gaz représentent aussi les 2/3 de notre énergie finale (celle qui met en mouvement les machines de toute sorte qui permettent à notre monde industriel de se maintenir). Avec moins d’énergie, nous avons moins de transformation, donc moins de PIB, et il n’y a pas de moyen d’y échapper à court terme, puisque nos infrastructures et usines utilisent ça et pas autre chose.
Tous ceux qui ont cru que de ne pas taxer les combustibles fossiles pour limiter le CO2 était rendre service à l’économie se sont trompés : ils ont simplement poussé à ce que la récession, provoquée par la baisse – prévisible – de l’approvisionnement fossile en cours, se charge de faire la même chose, mais dans la douleur.
Notre président a donc raison d’appeler à la décarbonation de l’économie : il ne s’agit que de sauver la stabilité du pays. Mais, pour y arriver, il faudra plus que des paroles, et la taxe carbone, l’obligation de rénovation, et l’arrêt de l’obsession antinucléaire offriront de premiers tests de vérité pour savoir si les actes vont enfin être là.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Consommation d’énergie en France, discriminée par énergie, depuis 1965.
On voit bien la baisse du pétrole depuis la fin des années 1990, l’arrêt de la hausse du gaz en 2005, et la baisse continue du charbon sur toute la période. Depuis 2006, la baisse sur la partie fossile est d’environ 2% par an.
Source des données : BP Statistical Review ; mise en forme par votre serviteur
Evolution du contenu en CO2 du PIB français depuis 1965.
Entre Kyoto (1998) et 2013, cette valeur a baissé d’environ 50 grammes (il faut donc émettre 50 g de CO2 en moins pour faire un dollar de PIB), et en pratique ce pourcentage est exactement de 27%.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Evolution du contenu en CO2 du PIB américain depuis 1965.
Entre Kyoto (1998) et 2013, cette valeur a baissé d’environ 150 grammes, soit 28% de la valeur de départ.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Evolution du contenu en CO2 du PIB allemand depuis 1970 (pas de données avant 1970).
Entre Kyoto (1998) et 2013, cette valeur a baissé d’environ 90 grammes, soit 26% de la valeur de départ.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Evolution du contenu en CO2 du PIB australien depuis 1965.
Entre Kyoto (1998) et 2013, cette valeur a baissé d’environ 100 grammes, soit 26% de la valeur de départ.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Evolution du contenu en CO2 du PIB suédois depuis 1965.
Entre Kyoto (1998) et 2012, cette valeur a baissé d’environ 70 grammes, soit 41% de la valeur de départ.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Evolution du contenu en CO2 du PIB russe depuis 1989 (pas de données avant).
Entre Kyoto (1998) et 2013, cette valeur a baissé d’environ 700 grammes, soit 41% de la valeur de départ.
Source des données : World Bank, 2015, pour le PIB ; BP Statistical Review 2015 pour l’énergie, calculs intermédiaires par votre serviteur.
Emissions de CO2 en France depuis 1965, par énergie et totales.
La baisse depuis les chocs pétroliers de 1974 et 1979 est bien visible, et elle a été due à la poursuite de la baisse des émissions dues au charbon (mouvement engagé dès le début de la période) et surtout à la baisse tendancielle des émissions dues au pétrole après les chocs pétroliers.
Depuis 2006, cette baisse des émissions de CO2 vient pour l’essentiel de la trajectoire sur la consommation de pétrole, qui ne doit rien au Grenelle de l’environnement mais tout à la contrainte d’approvisionnement de l’Europe.
Source des données : BP Statistical Review ; calculs par votre serviteur.
Production mensuelle de pétrole brut (avec condensats mais hors liquides de gaz) dans le monde, en millions de barils par jour.
On note clairement qu’en 2005 la hausse a pratiquement cessé ; la « reprise » en 2011 est surtout due aux condensats (extraits avec le gaz mais comptés avec le pétrole).
Source des données : US Energy Information Agency.
Origine du gaz consommé en Europe (incluant la Norvège), en millions de tonnes équivalent pétrole par an
(en milliards de m³ cela donne presque les mêmes chiffres).
La production domestique de la zone (aire bleue) décline nettement depuis 2005.
Source des données : BP Statistical Review, mise en forme par votre serviteur
Consommation d’énergie finale en France en 2012, par secteur et par origine de cette énergie.
On voit clairement que le nucléaire est très loin de représenter l’essentiel de notre consommation (même si c’est une part importante), et que produits pétroliers et gaziers (donc énergies fossiles) dominent largement avec cette manière de compter.
Graphique Carbone 4, d’après SOeS, Ceren, SBCU, RTE
Evolution par activité des émissions de CO2 seul (en France) depuis 1960, en millions de tonnes équivalent CO2.
(*) le transport aérien international n’est pas pris en compte
On voit très clairement que, depuis les années 1990 (avant le taux de motorisation était plus faible), la trajectoire sur les émissions de CO2 des transports, lesquels ne consomment quasiment que du pétrole, suit assez fidèlement la consommation de pétrole – désormais contrainte – de la France.
L’affirmation souvent entendue que « si on ne fait rien les émissions augmentent » semble donc assez discutable !
Source : CITEPA, 2012