Tribune parue dans Les Echos du 30 janvier 2018
En juin 1992, au Sommet de la Terre à Rio, là où fut lancée la Convention Climat, François Mitterrand qualifia les objectif environnementaux en discussion de « condition de la survie même de l’humanité ». Il y défendit aussi la « stabilisation, d’ici à 10 ans, des rejets de gaz carbonique, au niveau de 1990 ».
En fait de stabilisation, les émissions planétaires ont cru de 40% depuis 1990, alors qu’il leur faudrait avoir déjà baissé de 25% pour être en ligne avec l’objectif « 2°C ». En France, les émissions nationales ont certes baissé de 15% depuis l’année de Rio, mais, avec nos importations, le mode de vie du pays émet en fait 25% de plus qu’en 1992.
La deuxième augmentation a été, à la suite, celle de l’effet de serre, qui a commencé à se traduire par des précipitations extrêmes ici, des sécheresses prolongées là, des ouragans encore jamais vus ici, des feux de forêt inédits… avec à chaque fois des dommages un peu plus prononcés que la fois d’avant.
Tout cela n’a pas empêché une troisième inflation : celle des discours sur la nécessité d’une action forte et immédiate. Pour autant, nous continuons à « regarder ailleurs », comme l’avait si bien formulé Chirac. En fait, depuis deux siècles nous regardons ce que les participants à Davos regardent avant toute chose : notre production économique et notre pouvoir d’achat, le plus étant nécessairement le mieux. Et comme il ne saurait être question de choisir entre croissance et environnement, nous avons inventé la « croissance verte ».
Malheureusement, la physique a ceci de désagréable qu’elle ne se laisse pas modifier par un vote à l’assemblée nationale, un décret ou un discours électoral martial. En physique, la patrouille vous rattrape toujours.
Vous ne voulez pas vous passer volontairement du carbone ? Pas de problème, la nature s’en chargera pour vous, puisque c’est une énergie épuisable. En 2006, la production de brut conventionnel (tout ce qui n’est pas pétrole de schiste et sables bitumineux) est passée par un maximum, et on se souvient de la crise qui a suivi.
Il se pourrait bien que le même épisode soit en train de se rejouer : depuis deux ans, la production mondiale de pétrole stagne [NDR : « pétrole », ici, désigne l’addition du pétrole conventionnel, du pétrole de roche mère (dit « pétrole de schiste »), des sables bitumineux, et des condensats, qui sont produits avec le gaz] et ce n’est probablement qu’une question d’années avant le prochain gros choc dans l’économie. Agir sera difficile. Ne pas agir le sera bien plus encore.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Production mensuelle mondiale de « pétrole » depuis janvier 1994. Données US Energy Information Agency.
Cette statistique agrège le pétrole conventionnel (ce qui sort sous forme de pétrole d’un réservoir « normal »), ce qui vient du « pétrole de schiste » et des sables bitumineux, et les condensats qui sont produits avec le gaz (les données sur la production de « vrai pétrole » seul sont très difficiles à trouver).
On voit clairement une longue pause qui va de mi-2005 à mi-2010, c’est-à-dire pendant l’intervalle qui va du pic de production mondial pour le pétrole conventionnel, au début de l’essor spectaculaire du « pétrole de schiste » aux USA. La pause qui a démarré en 2015 correspond à l’arrêt de la hausse de ce même « pétrole de schiste » américain (graphique ci-dessous).
Production journalière de « pétrole de schiste » (ou shale oil en anglais) aux USA, répartie par bassin, et graduée en milliers de barils par jour. Source US Shale Profile.
L’arrêt de la hausse correspond à la forte baisse du prix du baril, qui a rendu cette industrie encore moins rentable qu’avant (mais, même à 140$ le baril, l’extraction du pétrole de schiste ne dégageait pas de cash-flow positif !).
Prix mensuel du pétrole depuis 1999. Les sources sont sur le graphique.
Emissions mondiales de gaz à effet de serre, tous gaz confondus (CO2, méthane, protoxyde d’azote). Compilation de l’auteur sur sources diverses. On ne voit pas vraiment d’inflexion après le sommet de la Terre à Rio !