Tribune parue dans Sud Ouest Dimanche le 19 février 2006
Il y a de très nombreuses façons de passer pour quelqu’un ayant perdu la raison, mais l’une d’elles fonctionne généralement très bien : annoncer très fort, dans un lieu garni d’une audience suffisante, que vous souhaiteriez voir les taxes sur les carburants progressivement multipliées par trois ou cinq. Et pourtant, sommes nous si sûrs d’avoir raison lorsque nous sommes contre ?
Car un double défi se pose à nous. Le premier concerne l’abondance des hydrocarbures. C’est une évidence mathématique que la production pétrolière ne peut pas croître indéfiniment à partir d’une ressource finie. D’ici 5 à 25 ans, selon l’opérateur pétrolier qui s’exprime, la production mondiale de pétrole atteindra un plafond puis déclinera alors que notre soif de ce précieux liquide ne cesse de grandir.
Nous avons certes du gaz (un peu) et du charbon (beaucoup) pour prendre le relais, mais malgré cela une consommation sans cesse croissante d’hydrocarbures ne pourra durer plus de quelques décennies. Qui peut croire que le monde restera stable si, à intervalles réguliers, le prix de l’énergie explose sans crier gare, engendrant des récessions en comparaison desquelles 1929 sera peut-être une aimable plaisanterie ?
En outre, bien qu’elle soit condamnée d’ici la fin du siècle, notre boulimie énergétique prolongée de quelques décennies aurait le temps de renforcer de manière catastrophique le deuxième problème majeur pour lequel nous n’avons encore rien vu : le changement climatique.
La messe est hélas dite : il va donc falloir nous passer – involontairement et brutalement si ce n’est pas volontaire et progressif – d’une énergie abondante et quasi gratuite. Inimaginable ! Insupportable ! Souvent, nous réagissons face à cette perspective comme un drogué qui ne parvient pas à envisager d’être en état de manque. Comment faire ? L’exemple du tabac est révélateur : à force de sensibilisation, nous avons fini par accepter majoritairement une hausse significative de son prix, laquelle a enclenché la baisse de la consommation.
Alors pourquoi ne pas provoquer de nous-mêmes la hausse du prix de l’énergie, par une hausse continue mais progressive de la fiscalité ? La pilule est certainement plus facile à avaler quand nous comprenons que c’est à nos propres enfants que nous confions aujourd’hui le soin de payer demain le complément de facture de notre soif d’énergie, avec des intérêts de retard qui pourraient être très salés. Ce complément inclura le coût – gérable ou titanesque, nul ne peut dire – de la déstabilisation climatique, et le coût considérable de la déstabilisation sociale si un scénario de type 1929 se réédite.
La taxe, c’est donc la vertu ! En nous touchant au porte-monnaie, elle seule nous ferait changer de comportement, non par morale ou par conviction, mais bien par intérêt économique. C’est équitable : notre voisin participera comme nous à l’effort commun. Elle seule peut pousser les industriels et les ménages à investir dans des technologies alternatives et plus économes en énergie fossile, avec une meilleure visibilité sur le retour financier. Elle rentabilisera d’autres solutions, conduira au développement de nouvelles activités et d’autres modèles d’organisation du territoire. Elle permettra de réduire les importations d’énergie et améliorera la balance commerciale.
Et elle remplira les caisses de l’Etat, qui en aura bien besoin, notamment pour financer le coût monumental de ce qui sera une nouvelle reconstruction, qui pourrait être tout autant porteuse d’espoir pour nos jeunes actuels que l’après-guerre l’a été pour leurs grand-parents. Enfin elle lisse préventivement, pour chacun d’entre nous, des hausses à venir aussi inéluctables que douloureuses, surtout pour les plus modestes, qui devraient – paradoxalement ? – être les premiers à réclamer ce type particulier « d’assurance ».
A nous qui avons toujours connu l’abondance croissante, taxer davantage les énergies fossiles peut sembler une potion un peu amère. Mais si nous réalisons que le monde ne va pas rester longtemps infini, avons nous vraiment le choix ?