Tribune parue dans Les Echos du 23 février 2016
Dans le monde de l’énergie, le long terme est le maître mot. Côté production, un gisement de pétrole, une mine de charbon, ou une centrale électrique sont exploités sur des décennies, et côté consommation, un bâtiment, une route, une usine ou une voiture vont vivre de 2 décennies à des siècles.
De ce fait, dès qu’il s’agit d’énergie, il est utile d’avoir une idée de ce que pourrait être après-demain pour prendre une décision aujourd’hui. Les grands opérateurs du secteur, comme la puissance publique, disposent depuis longtemps de processus de scénarisation sectorielle, destinés par exemple à avoir une idée du trafic futur ou de la consommation électrique à venir.
Tant que nous étions dans un monde sans limites, et donc en expansion « perpétuelle », chacun pouvait scénariser dans son coin sans trop de soucier de ce que faisaient les autres : quand il n’y a pas de limites, il y a par définition de la place pour tout le monde. Mais ce monde en expansion s’est arrêté en 2007 dans l’OCDE, précisément pour des raisons énergétiques.
Et dans le monde fini qui commence, personne ne pourra plus raisonner dans son coin sans se préoccuper de ce que feront les autres. Plus de pétrole pour les avions, ça sera moins de pétrole pour les voitures. Plus d’argent investi dans les éoliennes, ça sera moins d’argent investi dans la rénovation du logement. Plus de terrains dédiés à la construction, ça sera moins de terres pour la production agricole ou forestière.
Dans ce monde là, une vision de long terme demande une scénarisation globale, assurant que les désirs des uns sont compatibles avec les possibilités des autres. Il faut vérifier que, mises bout à bout, les prospectives sectorielles forment bien un ensemble cohérent, et ne conduisent pas à violer la loi de conservation de l’énergie ou la règle de trois.
Malheureusement, nous n’y sommes pas : quand on explicite leurs contreparties, les scénarios énergétiques globaux actuellement disponibles, y compris ceux mis en avant par la puissance publique, ont tous des angles morts qui les rendent irréalistes. Le constater pourrait être un simple regret d’universitaire. Malheureusement, comme l’énergie est à la base de tout dans le monde moderne, il est à craindre que la sanction ne soit bien plus grave.