Chronique parue dans L’Express du 21 avril 2021.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur. La tribune ci-dessous a été précédée d’un petit sondage qui posait la question suivante : « A votre avis, quelle part des étudiants du supérieur sont désormais formés sur le sujet énergie/climat dans le cadre de leur cursus ? » Les réponses possibles étaient : « moins de 5% » (62% des réponses), « environ 25% » (25% des réponses), « environ 50% » (6% des réponses), et « presque tous » (7% des réponses).
Feriez vous confiance, pour poser le bon diagnostic sur votre état de santé, puis vous conseiller la bonne manière de la conserver ou la retrouver, à une personne qui ne saurait pas si un être humain vit un an ou cent, possède deux ou cinq bras, et peut survivre sans foie ou pas ? Bien sur que non.
Feriez vous confiance, pour lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre, à une personne qui ne saurait pas si la longévité d’un surplus de CO2 dans l’atmosphère est de un an ou de dix mille, si la moyenne planétaire a varié de moins d’un degré ou de plus de dix depuis le début de la sédentarisation des hommes, si le numérique c’est 4% ou 0,1% de nos émissions, et si la consommation moyenne par voiture particulière a augmenté, baissé ou stagné sur les 20 dernières années ? La réalité est que la réponse est oui.
Dans une récente analyse effectuée aux USA sur les administrateurs des 100 premières sociétés du pays, il s’est avéré que 1% seulement disposaient de compétences minimales sur les questions énergétiques et climatiques. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en va différemment en Europe, ni que les membres des comités exécutifs sont dans une situation différente.
La raison de cette situation est toute simple : a aucun moment on ne leur a appris « ce qu’il y avait dans la boite ». Pour la quasi-totalité d’entre eux, ils n’ont pas eu de formation pendant leurs études sur le rôle de l’énergie dans le fonctionnement du monde, et combien il est facile ou pas de remplacer une source par une autre. Ils n’ont pas plus eu, avant de rentrer dans la vie active, de formation sur le climat, ou sur les mécanismes planétaires qui régissent notre environnement.
Et rien de tout cela ne s’acquière en dehors d’une formation. En particulier « en entendre parler par la presse » n’est pas un substitut à un enseignement non suivi, sans compter que la majeure partie des journalistes qui prononcent le mot « CO2 » n’ont pas plus appris en cours que leurs lecteurs de quoi il retourne sur le plan physique.
Ce constat ne se limite malheureusement pas à la sphère économique. Il s’applique à l’immense majorité des élus, hauts fonctionnaires, ou même dirigeants d’associations, c’est à dire à toutes les personnes qui doivent, quotidiennement, prendre des décisions qui engagent notre avenir.
Peut-on au moins espérer que les générations montantes sont mieux loties que celles qui les ont précédées ? Malheureusement non. Il y a 2 ans, The Shift Project avait fait l’inventaire des cours obligatoires sur les enjeux énergie et climat au sein de 34 établissements d’enseignement supérieur (12 écoles d’ingénieur, 6 écoles pour fonctionnaires, 6 écoles de commerce, 4 universités et une sélection de 6 autres établissements).
Résultat : 10% environ des cursus de ces établissements demandaient à leurs étudiants d’apprendre « quelque chose » de manière obligatoire dans ce domaine. Et, pour l’essentiel d’entre eux, le volume horaire dispensé était très en-dessous de ce qui est nécessaire pour pouvoir commencer à intégrer le climat dans des actes de gestion, et que l’on peut estimer à quelques dizaines d’heures.
Si un échantillon de 34 établissements, pour une large part des grandes écoles, et pour une large part des formations d’ingénieur, ne fait toucher le sujet du doigt qu’à 10% de ses étudiants, il y a fort à parier que pour l’ensemble des formations du supérieur, en y incluant les langues, la psychologie, le droit, l’histoire, les arts, ou les techniques de vente, ce pourcentage descendra bien en dessous de 5%.
Dans la longue liste de ce que nous n’avons pas commencé à faire pour mettre la société en mouvement vers la décarbonation, il y a donc, en premier lieu, la formation aux enjeux, qui est proche de l’inexistant à la fois chez les gens en place, et chez les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Ces derniers, aujourd’hui, n’apprennent rien de plus que leurs ainés sur le changement climatique et l’énergie dans le cadre de leur formation. Ce qu’ils savent, ou pas, viendra donc des media, et « d’internet », où le meilleur côtoie le pire. C’est bien trop peu pour espérer qu’ils sauront agir en gestionnaires avisés.
Tant que cette étape de la formation suffisante aux enjeux ne sera pas franchie, nous sommes sûrs de nous tromper, un peu ou beaucoup, en passant à l’action. Et changer des cursus n’est pas avant tout une affaire d’argent. C’est avant tout une affaire de volonté. La triste conclusion à tirer de la situation actuelle, c’est que pour le moment cette volonté n’existe pas.