Tribune parue dans le magazine « Investir » du du 17 juillet 2021.
Lorsque Papin puis Watt ont mis la machine à vapeur à disposition de l’humanité, l’atmosphère comportait 280 millilitres de CO2 par mètre cube d’air, soit 0,028% en volume, ou encore 280 ppm. Cette valeur n’avait quasiment pas varié depuis 10.000 ans, stabilité qui est allée de pair avec celle du climat, permettant ainsi l’émergence des civilisations sédentaires dont nous sommes les lointains descendants.
Quand je suis né, cette valeur était passée à 318. Lors de la Conférence des Nations unies sur l’environnement de Stockholm, qui, en 1972, a lancé de premières alertes sur l’environnement, nous étions à 327. Au moment de la création du GIEC, en 1988, le compteur affichait 352. Au moment du Sommet de la Terre, qui a vu la naissance de la Convention Climat, en 1992, nous étions à 356. Au moment du discours de Chirac à Johannesbourg, en 2002, c’était 373. Copenhague, « l’échec », s’est déroulé à 387, et Paris, « le succès », à 401. En 2021, nous sommes à 415.
Ni les objectifs du développement durable, ni l’apparition de la RSE dans les organigrammes ou celle de l’investissement socialement responsable dans la finance, ni la tertiarisation de l’emploi, ni le numérique, ni l’efficacité des voitures, ni quoi que ce soit d’autre n’a infléchi l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis que cette dernière est mesurée. Seule une crise massive – 1929, une destruction de nations – l’Allemagne et le Japon en 1945, ou une pandémie bloquant l’économie ont fait baisser, l’année concernée, les émissions de 5%. 5% de baisse, c’est pourtant ce que nous devrions faire tous les ans pour le demi-siècle à venir si nous voulons respecter l’Accord de Paris.
Faut-il le respecter ? Avec « juste » 1,2 °C d’élévation globale, on enregistre 50°C au Canada et l’inflation alimentaire frappe le Maghreb et la Syrie, les forêts commencent à dépérir, les récoltes françaises peuvent perdre 40% certaines années, et des ouragans inédits surviennent. A 2°C les coraux seront quasiment tous morts, et à 3°C les étés 2018 et 2019 seront devenus frais et humides en comparaison de ce qui nous arrivera. Adieu les forêts, les récoltes stables, et l’absence de réfugiés en masse en provenance d’Afrique du Nord et du Proche Orient, entre autres choses.
Par une curieuse alchimie, les discours volontaristes des entreprises ont augmenté de concert avec les conséquences déjà observables de nos émissions passées, sans que, dans la réalité, le problème ne soit vraiment pris à bras le corps.
L’essentiel des membres de comex des entreprises n’est toujours pas capable de décrire le dossier physique du changement climatique avec précision. Et pourtant tous prétendent être en mesure de régler le problème ! Les budgets dévolus à la comptabilité carbone représentent au mieux de l’ordre du millième des budgets dévolus à la comptabilité tout court. Et, lorsque « quelque chose » est compté, neuf fois sur dix c’est avec une méthode qui n’est pas faite pour nous situer face au problème, mais pour nous rassurer.
Comment peut-on sérieusement prétendre s’attaquer à un problème que l’essentiel des cadres d’entreprise et des hauts fonctionnaires sont incapables d’appréhender, et avec un référentiel qui n’est déployé à peu près nulle part à la bonne échelle ?
Ces quelques considérations amènent à conclure qu’une entreprise qui se veut sérieuse sur la question doit franchir au moins les quelques étapes qui suivent.
L’ensemble de son encadrement a minima, et idéalement tout le monde, doit suivre 10 à 20 heures de formation pour comprendre le problème posé, et comprendre avec quelles méthodes on peut s’y attaquer.
Un système de comptabilité carbone doit être déployé de façon très granulaire, pour pouvoir arbitrer chaque décision unitaire en fonction de ses aspects économiques et carbone. Un tel système coutera probablement de l’ordre de 5% du budget IT, mais ne pas le faire, c’est délibérément choisir de ne pas inclure la question climatique dans les décisions opérationnelles.
L’entreprise doit se fixer un objectif de réduction en valeur absolue, et non en ratios : l’atmosphère ne se soucie pas des émissions par paire de chaussures, mais des émissions totales. Cet objectif doit être compatible avec une baisse de 5% chaque année des émissions planétaires.
Les promesses d’une entreprise qui n’est pas passée par ces étapes devraient tout simplement être ignorées. Les publicités vantant les mérites « climat » d’un produit émanant d’une entreprise qui n’est pas passée par ces étapes devraient être refusées. Si la presse veut faire sa part dans le mouvement d’ensemble, elle pourrait au moins s’astreindre à ces deux règles simples.