Tribune parue dans le magazine Décisions Durables en septembre 2013
Peut-on facilement changer de sources d’énergie une fois que le pays s’est organisé avec celles qu’il utilise, si le président en a décidé ainsi ? Telle était, au fond, la question posée par le « débat national sur la transition énergétique », qui s’est tenu au premier semestre de cette année, et vient de s’achever au cours de l’été.
Présenté – comme il se doit – comme une première par ses promoteurs, ce débat succède en fait à de nombreux exercices sur le même sujet. Sur les 10 dernières années, il y eu d’abord un débat national en 2003, qui fut le préalable à une loi cadre votée en 2005, laquelle contient l’obligation pour le pays de diviser ses émissions de gaz à effet de serre par 4 d’ici à 2050.
En 2007 vint le Grenelle, qui a débouché sur deux lois comprenant de nombreux articles concernant l’énergie, dont les tarifs de rachat pour les énergies renouvelables. En 2009 un débat mené par Rocard et Juppé a précédé une loi de finances qui instituait la taxe carbone (ensuite retoquée par le Conseil constitutionnel), et en 2012 deux commissions ont planché sur les scénarios énergétiques et l’efficacité énergétique.
Y revenir souvent n’est pas illégitime : l’énergie, nourriture des usines, conditionne la productivité industrielle, et donc notre « pouvoir d’achat matériel » ; nourriture des moteurs, elle conditionne la mobilité, et sur le long terme l’urbanisme ; nourriture des tracteurs, elle conditionne le nombre de gens qui seront disponibles pour travailler ailleurs que dans l’agriculture ; nourriture des chaudières et des grues de chantier, l’énergie conditionne la taille et le confort de notre logement ; bref l’énergie est le premier déterminant de nos « modes de consommation et de production », ce que sa part dans nos dépenses ou dans le compte d’exploitation d’une entreprise ne permet absolument pas de réaliser.
Mieux : on pouvait espérer que, grâce à un débat tous les 3 ans, nous étions mûrs, en cette période de début de mandat, pour déboucher sur un grand dessein pour le pays, puisque l’énergie est la transformation de toute chose par définition même en physique. Las, la seule production que ce débat n’aura pas fournie est l’émergence d’un projet consensuel entre patronat, syndicats et société civile, qui aurait permis de mettre l’énergie au cœur de notre objectif de société pour les 50 ans à venir. A qui la faute ? Au gouvernement pour une large part, sans aucun doute, d’abord parce que le chef a toujours tort quand quelque chose ne tourne pas rond, et ensuite parce que ce débat a très fortement souffert de son acte de naissance, à savoir la promesse de campagne de Hollande de baisser le nucléaire à 50% en 2025.
Il est à ce propos savoureux de lire la synthèse du groupe de travail qui a tenté de répondre à la question « comment atteindre le mix énergétique en 2025 ? », qui signifiait en fait « comment atteindre les 50% de nucléaire dans l’électricité promis par Hollande ? ». Il faut à peine lire entre les lignes pour voir que la réponse proposée est « nous n’en avons fichtrement aucune idée » !
A cause de cet angle, ce débat a laissé de côté nombre de sujets essentiels. Alors que tout économiste de l’énergie sait que le prix pour le consommateur final conditionne fortement le niveau de consommation du pays, la réflexion sur les tarifs a été confiée d’entrée de jeu au député François Brottes, pour qu’il légifère avant même les conclusions du débat. Pas de chance, son projet de loi était d’une complexité telle qu’il a fait presque l’unanimité contre lui, et lui a valu in fine une censure du Conseil constitutionnel. Au surplus il était limité à l’électricité et au gaz, en laissant la question centrale des carburants de côté.
La deuxième lacune de ce débat concernait l’absence d’approche sectorielle de la consommation. Si l’on fait simple, l’énergie finale va dans trois secteurs et trois seulement : les bâtiments (résidentiel et tertiaire), les transports, et l’industrie, l’agriculture étant marginale. Pour réfléchir à la manière d’économiser de l’énergie, ce qui passe par un cocktail de fiscalité, de normalisation, d’obligations, et de subventions, il est indispensable de descendre au niveau des usages, et donc du secteur.
Or aucun groupe n’était prévu sur le bâtiment (42% de la consommation d’énergie finale), aucun sur les transports (32% de la consommation d’énergie finale), et la question de l’industrie n’était abordée qu’au travers de la compétitivité, ce qui focalisait la question uniquement sur le prix pour les gros consommateurs d’énergie (et moins sur la manière d’économiser l’énergie ou sur les transformations longues des secteurs industriels). A part quelques incantations appelant à la sobriété, il n’en sort donc rien ou presque d’opérationnel pour s’attaquer à la consommation.
Enfin une troisième erreur majeure a concerné l’annonce d’objectifs antagonistes. En effet, baisser le nucléaire, qui était central dans l’esprit des organisateurs, rend difficile ou impossible la baisse des émissions de CO2 (japonais comme allemands ont augmenté l’appel aux modes fossiles), la baisse des importations (il faudrait importer plus de gaz et de charbon, ou de panneaux solaires !), la réindustrialisation du pays (la filière nucléaire est bien de l’industrie, et fournit d’autres secteurs industriels), ou encore une facture des ménages contenue (les ENR électriques font directement et indirectement monter la facture d’électricité).
Avec un cahier des charges à ce point contradictoire, et au surplus une partie de l’animation laissant plus de place à l’esprit de revanche qu’à l’intérêt supérieur du pays, le résultat ne pouvait être que décevant. Et il l’est…
Et maintenant ? Il faudra quand même écrire une loi programme, alors que l’exercice qui s’achève n’a pas donné de solution évidente. Du coup, le vrai débat commence maintenant. Pour les quelques mois à venir, tous les porteurs d’intérêt vont jouer des coudes dans les cabinets ministériels, en espérant que le sujet qui