Chronique parue dans L’Express du 1er mai 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, sera « pas évident » pour le lecteur. Pour savoir jusqu’où ce fait sera contre-intuitif, un petit sondage en ligne est effectué pendant une semaine à 15 jours avant que je ne rédige mon texte, pour demander « l’avis de tou(te)s ». C’est bien entendu votre serviteur qui formule la question ainsi que les réponses possibles.
Pour cette édition de cette chronique, la question posée était la suivante : « Selon vous, en 1900, quelles étaient les énergies dominantes dans le monde ? ». Les réponses possibles étaient « les énergies fossiles » (choisie par 83% des répondants), « Les énergies renouvelables » (choisie par 9%), et « L’énergie nucléaire » (choisie par 7% des répondants, pour info – car ce n’est pas évoqué dans la chronique – le premier réacteur au monde a été la pile de Fermi en 1942, avec un demi-watt de puissance !).
La bonne réponse est bien entendu fournie et commentée dans ce billet ; celle obtenue par le sondage fournie à la fin du billet.
L’avenir sera renouvelable, c’est une évidence ! Depuis que la question se pose de savoir comment nous allons juguler le changement climatique, toutes les réponses partagent une même conviction : il va falloir plus de renouvelables, jusqu’au moment où nous n’aurons plus que cela.
Et, même dans le contexte actuel, où les « contreparties environnementales » demandées aux entreprises à qui l’Etat tend, légitimement, la main, sont anecdotiques ou inexistantes, la seule politique où il a été dit et répété que les milliards seront bien là est la poursuite du développement des énergies renouvelables.
Mais… ces énergies renouvelables sont pleines de surprises. Tout d’abord, en les regardant on inverse le cours du temps : ce n’est pas tant l’avenir que l’on contemple, mais le passé.
En effet, un monde 100% renouvelable, nous l’avons bien connu. C’est le monde dans lequel l’humanité a vécu depuis ses origines jusqu’à l’apparition des combustibles fossiles, quand le charbon a commencé à remplacer le bois dans les forges, les poêles (pour se chauffer), les fours, et les premières machines à vapeur fournissant de la force mécanique.
Avant cela, c’est le vent et l’eau qui faisaient tourner les moulins (connus depuis l’antiquité, et dont les barrages modernes ne sont qu’une version améliorée) ; c’est l’animal de trait – renouvelable et mangeant de l’herbe qui l’était tout autant – qui fournissait la force mécanique du transport et de l’agriculture ; c’est le vent, la rame (donc le marin ou le galérien, parfaitement renouvelables !) ou le cheval (sur les chemins de halage) qui faisaient avancer le bateau ; c’est le soleil (renouvelable) qui séchait les cultures…
Et en 1900, c’est encore les énergies renouvelables qui dominaient l’approvisionnement mondial, avec notamment le bois qui représentait 55% du total des kWh utilisés sur terre, devant le charbon avec 42%, et le pétrole avec 2,3% seulement. Il faudra attendre 1906 pour voir les fossiles dépasser les renouvelables, pour grimper jusqu’à 80% du total au moment des chocs pétroliers, valeur qui est quasiment toujours la même aujourd’hui, après 2 décennies de discours martiaux sur le climat (« la maison brûle » de Chirac c’était 2002…) qui n’ont rien changé pour l’heure.
Mais, si on y réfléchit bien, « nucléaire » aurait aussi pu être une bonne réponse. Car toutes les énergies que nous utilisons sur terre sont issues de près ou de loin de l’énergie nucléaire. Le soleil – qui nous donne son énergie – n’est rien d’autre qu’un gros réacteur à fusion ! La photosynthèse permise par le rayonnement solaire donne du bois qui peut donc être vu comme un dérivé du nucléaire. La chaleur solaire permet le cycle de l’eau qui permet l’hydroélectricité, et le cycle de l’air qui permet l’énergie éolienne et la marine à voiles…
A l’avenir, abandonner les combustibles fossiles ne sera pas une option : ces derniers mettant des centaines de millions d’années à se former, ils sont épuisables, et nous en aurons de moins en moins à disposition avant la fin de ce siècle, que cela nous plaise ou pas.
Par contre, que nous puissions les remplacer un pour un par des renouvelables est extrêmement peu probable. Si les moulins à vent et à eau, le bois et le rayonnement solaire avaient été suffisants pour permettre le développement industriel que nous avons connu, et à la suite ce monde urbain, avec peu de travail et pléthore d’objets à consommer, plein de temps libre et le déplacement facile, comment expliquer que ce monde ne soit pas survenu avant l’avènement du charbon, puis du pétrole et du gaz, puisque les prédécesseurs étaient connus depuis des millénaires ?
L’avenir sera peut-être un jour à nouveau 100% renouvelable. Mais surement pas dans les conditions figurant actuellement dans les programmes électoraux.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de cet article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec la chronique, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Part de chaque énergie dans l’approvisionnement mondial depuis 1860. On voit bien qu’en 1900 la part des fossiles (double trait moutarde) est encore inférieure à 50%, alors que la biomasse – le bois – fait plus de la moitié, et donc les renouvelables aussi, puisque la biomasse fait partie de cette catégorie. Le vent n’est pas inclus dans les statistiques à l’époque malgré l’importance de la marine à voile et des moulins encore présents.
On constate que sur les 20 dernières années la part des fossiles est à peu près constante.
Données primaires Shilling et al., Smil, BP Statistical Review.
Résultat du sondage effectué avant la publication de l’article. Certes le nombre de répondants est faible, mais je suis prêt à parier que sur un échantillon plus large il aurait été voisin.