Chronique parue dans L’Express du 12 aout 2021.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur. Période estivale oblige, la tribune ci-dessous n’a pas été précédée du traditionnel sondage pour avoir un aperçu sur ce qu’en pensent les lecteurs (ou plus précisément les abonnés au fil twitter) de l’Express.
En cette année 2021, le GIEC fête ses 33 ans. Cet organisme a été créé en 1988, sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement et de l’Organisation météorologique mondiale. Depuis l’origine, son mandat consiste à synthétiser ce que la littérature scientifique à comité de lecture publie sur l’influence des activités humaines sur le système climatique, les conséquences possibles de l’évolution qui en découlent et les marges de manoeuvre pour se comporter autrement.
Peut-être faut-il commencer par préciser ce qu’est une « revue scientifique à comité de lecture », qui n’a rien à voir avec le magazine que vous tenez entre les mains. Dans une revue scientifique, les auteurs sont des chercheurs et les articles sont en fait des comptes rendus de travaux, qui s’adressent avant tout à des scientifiques ou experts du même domaine et de domaines connexes, ou à des journalistes qui pourront en vulgariser le contenu. Ils doivent donc expliquer à un public exigeant comment ils sont parvenus à un résultat digne d’intérêt dans un domaine donné, en détaillant tous les raisonnements intermédiaires, références et données d’observations utilisés.
Avant sa publication, le projet d’article est envoyé à un comité de lecture, composé d’experts du même domaine, qui vont examiner de très près les conclusions proposées ainsi que les raisonnements, faits et données qui les sous-tendent. Ces experts ont plusieurs mois pour faire part de leur avis, qui peut aller d’un accord en l’état au refus pur et simple pour défauts grossiers, en passant par des demandes d’éclaircissements ou de compléments. L’accord engage nécessairement la crédibilité de la personne qui a examiné l’article.
Ce que les auteurs des rapports du Giec synthétisent – en 3 949 pages pour la dernière livraison ! – est donc tout ce qui a été publié dans cette littérature-là sur le sujet du climat, et rien que cela. Les rédacteurs des rapports sont pour l’immense majorité des chercheurs qui font cela dans le cadre de leur travail. Le GIEC ne finance aucune recherche spécifique et ne paie aucun contributeur aux rapports. Les seuls moyens propres du GIEC consistent en une équipe d’une dizaine de personnes qui gère la logistique d’ensemble.
Le GIEC est divisé en trois groupes qui traitent respectivement du fonctionnement du système climatique et sa modification sous l’impact des activités humaines (groupe 1), des conséquences du changement climatique sur l’environnement et les hommes (groupe 2) et enfin des marges de manoeuvre pour décarboner les activités humaines (groupe 3). Le groupe 1 vient de publier son rapport, les deux autres paraîtront dans les mois à venir.
Comme pour toute instance onusienne, car c’en est une, les membres du GIEC sont des pays, non des individus. En pratique, chaque pays membre des Nations unies dispose donc d’un représentant à l’assemblée du GIEC, et cette assemblée désigne un bureau dont la fonction essentielle est de proposer un plan de travail, puis de le mettre en oeuvre. Cette même assemblée devra aussi approuver, mot à mot, les résumés pour décideurs des volumineux rapports que produit cet organisme. Ces résumés ont donc un double statut, scientifique et politique, et ce sont les seuls dans ce cas.
Le GIEC a pour mandat de produire des documents permettant d’éclairer la prise de décision, mais non de préconiser cette dernière. C’est dans le groupe 3, qui traite d’économie ou de scénarisation de l’avenir, que la différence entre éclairer et préconiser est la plus difficile à respecter. En effet, quand il y a une infinité de possibilités pour l’action, mais que seule une fraction est étudiée ou décrite dans la littérature à comité de lecture, la nature humaine fait que nous considérerons que nous avons là les seuls choix possibles.
Il n’en reste pas moins que cet organisme a effectué le tour de force de créer un guichet unique de mise à disposition de l’information sur la question climatique, alors que de très nombreuses disciplines scientifiques, qui habituellement travaillent chacune dans leur coin, sont concernées. Il ne reste plus qu’à chacun d’entre nous, et aux organismes – entreprises, associations, états… – que nous influençons par nos votes, nos achats ou notre travail, de réussir le tour de force d’en tenir compte.