Texte publié dans Le Nouvel Economiste du 24 octobre 2003.
NB : Le titre et le texte sont ceux envoyés au journal.
Que voilà une interrogation qui est souvent revenue sur le tapis ces derniers mois !
Comme souvent, il y a plusieurs niveaux d’interprétation possibles pour cette question. On peut d’abord se demander : « faut-il être pour le nucléaire civil ? ». A mon sens, la réponse à cette première question est nécessairement oui face au péril climatique. Notre boulimie de combustibles fossiles menace aujourd’hui d’enclencher un changement d’ère climatique, une évolution comparable en amplitude à ce que la planète a connu en passant d’une ère glaciaire à la période actuelle, mais 50 à 100 fois plus brusque que le passé ne l’a été.
Un kWh « nucléaire », c’est 10 grammes de gaz carbonique émis dans l’atmosphère (en anlyse de cycle de vie), quand un kWh au gaz en émet 400, et un kWh au charbon 1000. En France, même en gardant le nucléaire, résoudre le problème du changement climatique sera une entreprise en comparaison de laquelle la conquête de la Lune était une aimable plaisanterie : cela requiert de diviser par 4, en quelques décennies, notre consommation de gaz, de pétrole, et de charbon. Dès lors, tenter de résoudre ce problème en se privant en même temps du nucléaire civil fait à mon avis passer le défi de « très difficile » à « totalement impossible », les renouvelables étant incapables – pour des raisons physiques, non économiques – d’assurer la relève à elles seules.
Si nous nous tournons maintenant vers les chercheurs du nucléaire, pour lesquels le premier niveau de la question est de fait évacué, ils auront plutôt envie de répondre à : « faut-il (ou fallait-il) mettre de l’argent public dans la filière EPR plutôt que dans une autre ? ». En effet, il n’y a pas « un » nucléaire, mais « des » nucléaires : il existe une large variété de « technologies atomiques ». Ce qui sera alors examiné, ce sera les horizons de ressources, la sécurité, les possibilités d’usages militaires, la gestion des déchets produits, la date probable d’achèvement du prototype, etc. Et là, il eut mieux valu, de mon point de vue, persévérer il y a 20 ans dans la surgénération, alors abandonnée pour des raisons politiques et non techniques. Car l’EPR est encore un réacteur fonctionnant à l’uranium 235, combustible qui dispose de réserves du même ordre de grandeur que celles d’hydrocarbures. Seule la surgénération, permettant de « brûler » aussi l’uranium 238, 200 fois plus abondant, ou du thorium, environ 1000 fois plus abondant, permettra de franchir cet obstacle.
Enfin, pour l’industriel qu’est Framatome, la seule question intéressante – car son chiffre d’affaires en dépend – sera : « Quand faisons-nous l’EPR ? ». Faut-il lui répondre oui tout de suite ? Le faire offre deux bénéfices. C’est d’une part s’assurer d’être prêt à temps s’il fallait effectivement remplacer des centrales françaises à partir de 2020, malgré qu’il semble possible de les prolonger au-delà de cette date. Car que faisons nous si ce pari de la prolongation s’avère impossible à tenir, à une époque à laquelle les hydrocarbures seront peut-être devenus bien plus chers qu’aujourd’hui, les émissions de CO2 bien plus taxées, et le changement climatique bien plus présent dans les esprits, si nous n’avons pas de filière nucléaire prête ?
Dire oui est aussi, assurément, utiliser les deniers de l’Etat pour préserver une filière industrielle que l’on juge utile pour l’avenir. Est-ce condamnable ? En tant que citoyen (je ne suis pas salarié ou fournisseur du nucléaire), et en tant que père de famille, je préfère de beaucoup voir mes impôts investis dans le nucléaire civil, qui concourt à résoudre partiellement le problème du changement climatique, que dans les (auto)routes ou les aéroports, toutes choses qui le feront empirer.