Chronique parue dans L’Express du 10 mars 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, sera « pas évident » pour le lecteur. Pour savoir jusqu’où ce fait sera contre-intuitif, un petit sondage en ligne est effectué pendant une semaine à 15 jours avant que je ne rédige mon texte, pour demander « l’avis de tou(te)s ». C’est bien entendu votre serviteur qui formule la question ainsi que les réponses possibles.
Pour cette édition de cette chronique, la question posée était la suivante : « Si nous arrêtions nos émissions de CO2 aujourd’hui, combien de temps faudrait-il pour que le surplus que nous avons créé (par rapport à 1750) disparaisse totalement de l’atmosphère ? ». Les réponses possibles étaient « 1 an » (choisie par 8,6% des répondants), « 100 ans » (choisie par 32,7%), et « 1000 ans » (choisie par 36,5% des répondants) et « plus de 10.000 ans » (choisie par 22,1%)
La bonne réponse est bien entendu fournie et commentée dans ce billet.
1 an, ou plus de 10.000 ? Quel est le temps qu’il faut attendre après arrêt des émissions de CO2 d’origine humaine pour que le surplus que nous avons ainsi créé disparaisse de l’atmosphère ?
La bonne réponse, malheureusement, est… plus de 10.000 ans. Vous avez bien lu : si nous arrêtons les émissions de CO2 demain matin, dans 10.000 ans la concentration atmosphérique ne sera toujours pas redescendue au niveau auquel elle était en 1750, avant que notre espèce ne commence à couper massivement les forêts, et à faire joujou avec la machine à vapeur, puis le moteur à combustion interne et les chaudières de toute sorte.
Ce fait peu connu, puisque seulement 22% des personnes qui se sont risquées à répondre avaient vu juste, est du à une propriété que le CO2 partage avec tous les oxydes : la stabilité chimique. Une fois arrivé dans l’atmosphère, ce gaz ne fait l’objet d’aucun processus chimique d’épuration, ce qui est par contre le cas de l’essentiel des polluants. L’ozone, par exemple, est un gaz chimiquement très actif, et c’est justement pour cela qu’il est toxique pour les hommes et l’environnement (c’est notamment un inhibiteur de la croissance des plantes).
Avec le CO2, rien de tel. Une fois dans l’air, aucune réaction chimique ne vient transformer cette molécule en autre chose. Pour que ce gaz quitte l’atmosphère, il doit nécessairement se trouver au contact de la surface, où il peut lui arriver l’une des deux choses suivantes : soit il se dissout dans l’océan, soit il est repris par le métabolisme des plantes.
Dans le premier cas de figure, il s’agit d’un simple phénomène de vases communicants. Si la quantité relative de CO2 (on parle de pression partielle) dans l’air est supérieure à ce qu’elle est dans l’eau, le CO2 passe de l’air dans l’eau à l’interface des deux fluides. Mais ce processus est réversible : si, à l’avenir, l’océan a du mal à « contenir » son CO2 parce qu’il se réchauffe (l’eau chaude dissout moins bien le CO2 que l’eau froide), ledit CO2 peut revenir dans l’atmosphère. Aie !
Dans le deuxième, il s’agit de la photosynthèse. Mais le préfixe photo- est là pour rappeler que cette réaction ne peut avoir lieu sans énergie, à savoir celle du « grain de lumière » – le photon – qui est nécessaire pour que la plante parvienne à casser le CO2 en deux, gardant le carbone pour elle (qui lui servira à fabriquer ses hydrates de carbone et autres molécules), et rendant l’oxygène à l’atmosphère.
C’est donc la stabilité éternelle du CO2 tant qu’il est au milieu de l’atmosphère, et la lenteur des processus qui ont lieu au contact de la surface, qui expliquent cette très grande longévité du surplus de CO2 une fois créé.
Deux conséquences particulièrement importantes découlent de cette caractéristique. La première est que l’impact sur le climat futur ne dépend pas du lieu des émissions. En effet, il faut « seulement » de l’ordre de l’année pour les courants atmosphériques répartissent de façon homogène dans l’air, tout autour du globe, le CO2 qui a été émis en n’importe quel point de la surface. C’est beaucoup moins que le temps qu’il faut attendre pour voir ce CO2 évacué de l’atmosphère. Pour que la concentration en CO2 arrête d’augmenter, il faut donc que tous les pays jouent le jeu en même temps : c’est la chimie qui explique la nécessité d’un accord international !
La deuxième conséquence est que, à tout instant, la dérive climatique des 20 années à suivre est déjà totalement embarquée dans les émissions passées. Imaginez une voiture qui, dès lors que l’on appuie sur la pédale de frein, a pour première réaction de continuer à accélérer pendant 20 ans ! C’est exactement ce qui va se passer pour le climat : il ne commencera à voir une baisse des émissions que 20 ans après le début de la baisse en question. Il ne faut donc pas attendre que les conséquences soient insupportables pour agir : à ce moment là, la seule certitude que nous aurons est que la situation sera pire ensuite.