Tribune parue dans Décisions Durables de novembre 2013
L’environnement ne laisse pas les français insensibles. Au gré des sondages, entre la moitié et les deux tiers de nos concitoyens soulignent facilement le caractère « non durable » du monde qui nous entoure, et indiquent que la pollution les préoccupe autant que le chômage. De rapport du GIEC en Grenelle, l’état du monde physique et biologique a gagné ses galons de sujet sérieux dans bon nombre de couches sociales.
Pourquoi, alors, les écologistes politiques ne parviennent-ils jamais à dépasser quelques maigres % dans une élection nationale ? De même, comment expliquer le très faible nombre d’adhérents ou de donateurs des associations environnementales dites « représentatives », dont le discours est souvent un copié-collé de celui des Verts ?
La réponse est peut-être à la fois très simple et… très déconcertante : «les écologistes» ne correspondent pas assez à ce que le bon sens commun attendrait d’une organisation revendiquant cet adjectif. Imaginons deux voisins qui se disputent parce que l’un reproche à l’autre de faire trop de bruit. Qui a raison ? Qui a tort ? Le premier réflexe sera d’en savoir plus. S’agit-il de bruit à midi ou dans la nuit ? D’une chasse d’eau ou de musique poussée à fond ? D’un bruit inhabituel ou quotidien ?
Transposons à l’environnement : avant d’expliquer ce qu’il convient de faire selon lui, un mouvement écologiste « de bon sens » commencerait tout simplement par décrire le problème objet du débat, avec pédagogie et sans déformation des faits, pour que la population puisse ensuite comprendre la mesure proposée. Dit autrement, le premier objectif du monde politique et associatif environnemental devrait être de restituer fidèlement ce que la science sait et ne sait pas sur le sujet discuté.
Le terme « science », ici, ne désigne pas la capacité à créer des objets nouveaux, mais le processus organisé qui pose, après débat contradictoire entre experts, des postulats sur la manière dont fonctionne le monde qui nous entoure. Ce sont des physiciens, et non des militants, qui ont la charge de dire si le CO2 absorbe ou non les infrarouges émis par la terre, et combien cela est susceptible de modifier la température planétaire.
Ce sont des océanographes qui ont la charge de dire si l’océan de surface s’acidifie ou pas, et continuera plus tard et pourquoi. Ce sont des biologistes marins qui diront si la quantité de tels poissons dans tel océan augmente ou pas, et comment cette information est obtenue. Ce sont des agronomes qui diront si le rendement moyen à l’hectare de telle culture dans telle région du monde augmente ou diminue, et comment cette conclusion est obtenue. Dans leur grande majorité, les Français font confiance à cette science-là.
Or cette science n’est malheureusement pas la première chose que les dirigeants des partis et associations écologistes cherchent à respecter, basant trop souvent leur position sur des faits qui n’existent nulle part dans la littérature scientifique. Nos concitoyens, moins idiots qu’on veut bien le dire, y voient alors un premier motif de leur tourner le dos.
Passons maintenant du problème, supposé compris, à la proposition. Nous sommes sensibles à l’environnement, certes, mais nous avons aussi besoin de travailler et de nous loger. Et nous sommes aussi consommateurs, souvent automobilistes, parfois propriétaires, quelques fois jaloux du voisin, et tout cela fait de nous des êtres aux intérêts et points de vue multiples.
De ce fait, toute proposition qui, face à un défi, décrit ce que nous perdons (de l’argent, de la mobilité, du confort, etc), mais n’argumente pas suffisamment ce que nous gagnons – ce que d’aucuns appellent « l’écologie punitive » – ne trouvera toujours qu’un écho très limité dans la population. En conséquence, dans nos démocraties, nécessairement associées à une forme d’économie de marché, une proposition « de bon sens » devra toujours obéir à quelques canons de beauté économiques ou sociaux.
L’emploi y sera toujours central, surtout en période de crise. Il faudra toujours décrire de manière réaliste les projets favorisés, et pas seulement ceux qui sont freinés. De ce fait, il faudra nécessairement faire le jeu de certains acteurs économiques, et donc soutenir quelques affreux capitalistes, fussent-ils maçons ou opérateurs de bus. L’horreur absolue ! Leur répulsion traditionnelle vis-à-vis de l’argent dessert à nouveau les Verts ou les ONG assimilées, qui ont des projets globaux inaboutis sur le plan économique et social. Comme les électeurs ne comprendront pas assez bien où seront les emplois qui les feront vivre et comment dans la solution proposée, ils s’en détourneront une deuxième fois.
Si ce qu’il est convenu d’appeler « les écologistes » ne sont pertinents ni pour définir le problème, ni pour proposer des solutions opérationnelles, alors à quoi servent-ils ? La réponse nous ramène au début de cette chronique : « à rien » pour plus de 95% des électeurs ! La boucle est bouclée. Pourrait-il en être autrement ? A l’évidence oui. Il faut que l’environnement devienne, sous la pression de la société civile, une donnée de réflexion « ordinaire » des partis non contestataires. Cela rendra les partis dits écologistes inutiles, mais n’est-ce pas au fond ce qui serait la meilleure nouvelle qui soit ?