Par suite de la dilatation de l’eau sous l’effet de la chaleur (l’eau chaude occupe un peu plus de volume que l’eau froide) et de la fonte des glaces polaires ou continentales (sous l’effet de la chaleur aussi), il est d’ores et déjà certain que le niveau de l’océan va augmenter. La seule question est de savoir de combien, et par ailleurs comment cela se répartira, car cette élévation de l’océan ne sera pas du tout homogène !
La première cause d’élévation du niveau des mers – la dilatation de l’eau sous l’effet de la chaleur – est la plus facile à prédire dès lors que la température de la surface augmente. En effet, ce n’est un secret pour personne que l’eau océanique de surface (disons les 100 premiers mètres) va globalement se réchauffer en pareil cas, donc se dilater.
L’océan n’étant rien d’autre qu’une grande baignoire, si l’eau se dilate, le niveau monte. Dit comme cela le processus paraît simple, mais en fait il ne l’est pas tant que cela, parce que la baignoire se déforme lentement, sous l’effet de la tectonique des plaques, et si cela agrandit la baignoire la hausse va être localement moins forte, alors que si la baignoire se rétrécit en même temps les deux effets s’ajoutent (mais peuvent être tous deux compensés par autre chose, par exemple l’évaporation dans les mers quasi-fermées situées en zone chaude…).
Il y a un deuxième processus qui peut influer sur le « niveau de la mer » au plan local : l’élévation de la côte. C’est le cas en Scandinavie, qui continue à « décompresser » après la disparition de la calotte glaciaire qui la couvrait il y a 20.000 ans et qui a fini de fondre il y a quelques milliers d’années : le poids de quelques km de glace (en épaisseur) était tel que sa disparition engendre un « rebond » du sol vers le haut.
Enfin une autre cause d’inhomogénéité sera tout simplement que le réchauffement ne sera pas homogène, et donc, « toutes choses égales par ailleurs », la dilatation qui en résultera pas plus.
De tout ce qui est exposé ci-dessus il résulte que l’élévation du niveau de la mer sous l’effet de la hausse des températures, valable globalement, ne fait pas obstacle à ce qu’il existe des endroits sur la planète où le niveau de l’eau baisse, soit dans l’absolu, soit par rapport au trait de côte, exactement comme une baisse locale de la température ne fait en rien obstacle à un réchauffement global.
L’élévation future sera donc plus ou moins rapide selon les endroits, en fonction de la hausse plus ou moins forte des températures, des autres éléments exposés ci-dessus, et du délai laissé à l’océan pour « rattraper » la hausse de température de l’air.
Élévation de température des 100 premiers mètres de l’océan autour du Pôle Sud sur deux périodes différentes :
- à gauche, entre aujourd’hui et il y a 130.000 ans, moment le plus chaud de la dernière ère interglaciaire. Avec le modèle utilisé, cette époque était donc un peu plus chaude qu’aujourd’hui.
- à droite, entre 2100 et aujourd’hui, simulée avec une hypothèse de 850 ppm de CO2 dans l’air en 2100 (soit un triplement du CO2 dans l’air entre 1800 et 2100).
Source : Overpeck et. al, Science, mars 2006
Il y a une deuxième cause possible à l’élévation du niveau des mers : la fonte des glaces continentales, c’est-à-dire tout les morceaux de glace, petits ou gros, qui sont posés sur la terre ferme. En effet, la banquise, qui flotte sur l’eau, ne fait pas plus monter le niveau de la mer quand elle fond que la fonte du glaçon dans un verre ne fait monter le niveau de l’eau (faites l’expérience).
Des morceaux de glace posés sur la terre, nous en avons dans les Alpes : les glaciers, qui ont des petits cousins un peu partout aux moyennes latitudes. Si tous les glaciers de ces moyennes latitudes fondent en totalité, ce qui n’est pas très loin de ce qui devrait finir par arriver avec un réchauffement un peu conséquent, l’océan mondial montera de 30 cm environ.
Evolution de la masse globale des glaciers continentaux depuis 1960, exprimée en contribution cumulée à l’élévation du niveau des océans (moyenne mondiale, en mm, échelle de droite).
Par exemple, les glaciers de l’Alaska ont contribué – à travers leur fonte – à une hausse du niveau de l’océan de 6,5 mm environ depuis 1960.
Source : GIEC, 4th assessment report (working group 1), 2007
Ensuite, il va y avoir les calottes polaires qui vont se mettre de la partie, car il faut se rappeler que l’augmentation de température sera particulièrement forte près des pôles.
Élévation de température des 100 premiers mètres de l’océan autour du Pôle Nord sur deux périodes différentes :
- à gauche, entre aujourd’hui et il y a 130.000 ans, moment le plus chaud de la dernière ère interglaciaire. Avec le modèle utilisé, cette époque était donc un peu plus chaude qu’aujourd’hui, mais nettement moins que ce que nous pourrions connaître avec des émissions fortes.
- à droite, entre 2100 et aujourd’hui, simulée avec une hypothèse de 850 ppm de CO2 dans l’air en 2100 (soit un triplement du CO2 dans l’air entre 1800 et 2100).
Ce résultat (le fait que la température était un peu plus élevée il y a 130.000 ans) est important, parce qu’il semblerait que le niveau de la mer, à ce moment là, ait été de 4 à 6 m plus élevé qu’aujourd’hui, à cause de la fonte partielle du Groenland et de la calotte Antarctique de l’Ouest. Si cette fonte a pu se déclencher avec des élévations de température moindres que celle que nous pourrions connaître en 2100, alors cela renforce l’idée que le Groenland va fondre en totalité ou en partie, selon l’échéance et l’élévation de température effective si cette dernière est suffisante.
Source : Overpeck et. al, Science, mars 2006
Reconstruction (par simulation) de l’étendue et de la hauteur de la calotte du Groenland au moment du dernier maximum interglaciaire, il y a 130.000 ans.
Une forte diminution de la calotte à cette époque est très probable (et a engendré une élévation de 2 à 4 m du niveau de l’océan).
Source : GIEC, 4th assessment report (working group 1), 2007
L’évolution en cours pourrait tout d’abord conduire à la fonte du Groenland d’ici quelques siècles à plus d’un millénaire. Plus exactement, le Groenland pourrait commencer à fondre d’ici peu, et lorsque cette évolution se mettra en route elle sera largement irréversible – car des processus d’amplification importants vont se mettre en route – et aboutira tôt ou tard à la fonte de l’essentiel de la calotte groenlandaise. Une élévation de 7 mètres du niveau de l’océan mondial est en jeu dans cette affaire.
Diverses évaluations du bilan de masse annuel du Groenland sur des périodes récentes, en milliards de tonnes de glace (gagnée ou perdue, selon que la valeur est positive ou négative) par an.
Chaque rectangle correspond à une étude particulière.
Le côté horizontal du rectangle donne la durée de la mesure ou de l’évaluation, la hauteur est centrée sur la valeur la plus probable et donne l’incertitude.
La lettre renvoie à la référence précise de l’étude (pour l’ensemble il y en a une demi-page !).
Les mesures les plus récentes suggèrent une forte accélération (depuis 1995, disons) de la perte de masse.
Source : 4th Assessment Report, GIEC, 2007
Prédictions de l’élévation du niveau de la mer entre 2000 et 3000 en fonction de l’élévation de température à terme au-dessus du Groenland.
Si la température au-dessus du Groenland finit par augmenter de 3°C, nous pourrions en faire fondre un morceau suffisant pour faire monter le niveau des océans de 1 m.
Si la température s’élève de 8°C au-dessus du Groenland, ce dernier pourrait fondre en quasi-totalité, et le niveau des océans monterait alors de 6 m.
Sachant que la température au-dessus du Groenland augmentera probablement 2 fois plus que la moyenne planétaire, et que l’élévation de température planétaire à terme (donc en 3000) sera voisine du double de ce qu’elle est en 2100, le lecteur pourra en déduire que pour « faire » 8°C en plus au-dessus du Groenland en 3000, il « suffit » d’avoir 2° ou 2,5°C de plus en 2100 pour la moyenne planétaire… et nous avons déjà signé pour 1,5 °C.
Source : GIEC, 2001
Un autre amas glaciaire qui pourrait ne pas résister à l’évolution en cours serait la calotte occidentale de l’Antarctique (la fonte totale de l’Antarctique – qui représenterait 60 mètres d’eau en plus – n’est pas à l’ordre du jour à ces échéances), qui a semble-t-il déjà commencé à subir les effets du réchauffement en cours.
Variation annuelle moyenne de l’altitude du sommet de la calotte Antarctique (en cm par an), mesurée par altimétrie radar entre 1992 et 2003 (raison pour laquelle la proximité du pôle Sud n’est pas couverte).
En bleu et violet, l’altitude diminue (il y a donc perte de masse) ; en vert clair, jaune et rouge l’altitude augmente et il y a donc gain de masse.
Les triangles situés près des côtes représentent l’évolution de l’épaisseur des langues de glace qui prolongent la calotte et flottent sur l’eau : en rouge, forte augmentation, en violet, forte diminution.
Le bilan pour la totalité de la calotte Antarctique reste incertain pour la décennie qui vient de s’écouler, mais par contre on note une baisse globale de la masse pour la partie de la calotte qui se trouve à l’intérieur de l’ellipse bleue, et qui s’appelle la Calotte Occidentale de l’Antarctique (en anglais, West Antarctic Ice Sheet, ou WAIS). C’est surtout elle qui est « à risque » dans le cadre du réchauffement climatique en cours et sa fonte ou désintégration totale représente environ 6 mètres d’eau en plus pour l’ensemble des océans du globe.
Source : GIEC, 4th assessment report (working group 1), 2007
Comme pour le Groenland, en effet, l’Antarctique pourrait connaître une élévation de température de l’air supérieure à la moyenne mondiale, et bien supérieure à ce que nous avons connu pendant la dernière ère interglaciaire, il y a 130.000 ans.
Élévation de température des 100 premiers mètres de l’océan autour du Pôle Sud sur deux périodes différentes :
- à gauche, entre aujourd’hui et il y a 130.000 ans, moment le plus chaud de la dernière ère interglaciaire. Avec le modèle utilisé, cette époque était donc un peu plus froide qu’aujourd’hui. Cela suggère que la calotte Antarctique de l’Ouest n’a pas fondu lors de la dernière ère interglaciaire.
- à droite, entre 2100 et aujourd’hui, simulée avec une hypothèse de 850 ppm de CO2 dans l’air en 2100 (soit un triplement du CO2 dans l’air entre 1800 et 2100).
Source : Overpeck et. al, Science, mars 2006
La combinaison d’une eau plus chaude et dont le niveau sera plus élevé, attaquant ainsi plus « vigoureusement » les langues glaciaires qui prolongent les glaciers continentaux et flottent à la surface de l’eau, et d’un air plus chaud, rend possible la « désintégration » de la Calotte Occidentale de l’Antarctique au cours du présent millénaire (avant 3000), sans qu’aucune échéance précise ne puisse néanmoins être évoquée.
Représentation schématique de la calotte occidentale de l’Antarctique, qui repose sur un socle rocheux sous-marin.
Si le vent augmente (plus de vagues/houle) et/ou si la température de l’eau augmente et/ou si le niveau de la mer monte, tout cela concourt à attaquer plus vigoureusement la langue de glace flottante appelée « ice shelf ». Dans le cas de la calotte occidentale de l’Antarctique, il se trouve que cette langue est arc-boutée sur l’autre partie du continent et concourt à stabiliser l’ensemble.
Sa disparition à cause des modifications environnementales pourrait par ricochet entraîner la « désintégration » de cette calotte occidentale de l’Antarctique.
Source : GIEC, 4th assessment report (working group 1), 2007
La combinaison de la dilatation de l’eau océanique, de la fonte partielle ou totale du Groenland, et de la « désintégration » de la Calotte Occidentale de l’Antarctique rend ainsi possible une élévation du niveau des océans dépassant 10 mètres pour le millier d’années qui vient (mais c’est le haut de la fourchette).
A l’échéance de 2100, cependant, c’est pour l’essentiel la dilatation et la fonte des glaciers des moyennes latitudes qui vont dominer l’augmentation du niveau des océans, qui ne sera pas « considérable » : 1 mètre tout au plus, et les évolutions les plus probables seraient plutôt décimétriques (cf. ci-dessous), sachant qu’au 20è siècle l’océan est monté de 20 cm environ.
Prédictions de l’élévation du niveau de la mer entre 1990 et 2100 selon les scénarios et les modèles. Chaque scénario d’émission de gaz à effet de serre (désigné par un sigle) a une couleur différente.
Pour une couleur donnée, donc un scénario donné, la barre à droite de cette couleur donne la fourchette de l’élévation possible du niveau de la mer en 2100, selon les modèles.
Par exemple le scénario A1B, en rouge plein, engendre une élévation du niveau de la mer de 13 à 70 cm selon les modèles. Le scénario B2, en vert, conduit à 10 à 57 cm en plus selon les modèles, etc. La courbe de la couleur correspondante matérialise l’évolution médiane (c’est à dire « au milieu ») pour l’ensemble des modèles.
La zone gris foncé représente l’enveloppe des évolutions médianes tous scénarios confondus, et la zone gris clair montre le surcroît de différence (on parle de « dispersion » des résultats) ajouté par le fait que pour un même scénario les différents modèles donnent des résultats différents.
Source : GIEC, 2001
Une élévation de cet ordre peut cependant déjà poser les problèmes aux zones côtières, près desquelles vit 50% de l’humanité (pour être précis 50% de l’humanité vit à moins de quelques dizaines de km des côtes). On peut ainsi redouter l’invasion par la mer de zones d’estuaires (biologiquement très riches et souvent cultivées), l’augmentation significative des risques d’inondation lors de tempêtes, etc.
Toutefois, sans verser dans le cynisme, les conséquences associées à une élévation de quelques décimètres du niveau de la mer sont probablement moins redoutables que d’autres, car elles restent locales : un virus invincible, le retour vers un âge semi-glaciaire en Europe, ou la désertification des 3/4 de la planète sont un péril pour une large fraction de l’humanité, alors qu’une élévation de quelques décimètres du niveau de la mer est localement très gênante (les Hollandais apprécieront !) mais pas dramatique pour notre espèce : en un siècle on aurait largement le temps de construire les digues appropriées (même à la main, si le pétrole a cessé d’être abondant !) ou de déplacer quelques pâtés de maisons. Le fait que quelques états polynésiens se retrouveraient peut-être sous l’eau ou que les paysans du delta du Bangladesh doivent déménager sera certes une catastrophe locale, mais ne risque pas de déboucher sur une catastrophe globale comme les risques précédemment cités.
Par contre, ce qui est très ennuyeux, c’est que le processus ne va pas s’arrêter au bout d’un siècle : le niveau des océans va continuer à s’élever pendant les siècles à venir, et d’autant plus que l’élévation de température sera forte. Tout d’abord la température va continuer à monter après 2100, à cause de la considérable inertie du réchauffement, et donc la dilatation de l’océan va se poursuivre tant que la température montera, et elle se poursuivra même ensuite pendant des milliers d’années, en réponse à l’augmentation de température de l’air alors que ce dernier se sera stabilisé (car il faut du temps pour que la chaleur se propage dans l’épaisseur de l’océan, même une fois que l’air a chauffé).
Les ressources marines
Il n’y a pas que le niveau de l’océan qui soit susceptible de poser problème : ce qui se passe en son sein pourrait aussi nous causer quelques soucis.
L’évolution climatique pourrait d’abord modifier – ou ralentir, ou arrêter – certains courants marins. Or ces courants jouent un rôle important dans les climats régionaux, ainsi que dans les conditions de vie au large, et leur modification pourrait avoir des répercussions très gênantes à plusieurs titres.
Ensuite les bancs de corail, qui sont un composant clé de la majeure partie des écosystèmes marins côtiers des tropiques, sont très sensibles aux variations de température : quelques degrés en plus leur sont généralement fatals (ils blanchissent puis meurent en pareil cas). Or comme nous aurons beaucoup de mal à éviter que la température planétaire n’augmente de 1,5 à 2 °C au moins, il est légitime de se demander si la majeure partie des coraux ne sont pas d’ores et déjà condamnés à l’horizon d’un siècle ou deux.
Enfin l’océan va s’acidifier en absorbant du CO2, et là aussi il y a un facteur de risque pour la vie marine.
Il est difficile d’imaginer les réactions en chaîne qui pourraient suivre, parce que nos connaissances sur le degré précis d’interdépendante des espèces sont souvent parcellaires, les espèces les plus visibles n’étant pas nécessairement les plus « indispensables ». Par exemple la simple disparition des abeilles sous nos latitudes serait probablement fatale à bon nombre de plantes, alors que la disparition des tigres, qui sera une histoire triste et spectaculaire (et malheureusement vraisemblable), n’est pas susceptible de mettre en péril d’autres espèces. Dans l’océan, que savons nous des valeurs limites que les espèces clé de voûte sont capables de supporter ? Si rien ne permet d’affirmer que la vie dans son ensemble soit menacée, des surprises désagréables ne sont pas à exclure…