Cela est parfaitement possible, et pourrait engendrer des répercussions majeures sur le climat des zones côtières proches des courants concernés. En effet, les « grands » courants océaniques ne sont pas indifférents aux conditions climatiques des zones qu’ils traversent, et nous savons par ailleurs, par l’étude du passé, que certains de ces courants sont bien moins stables qu’il n’y parait : le Gulf Stream, par exemple, a subi d’importantes modifications à de nombreuses reprises durant les 100.000 dernières années.
Il existe deux grandes catégories de courants marins :
- La circulation océanique horizontale, notamment celle à grande échelle, qui est généralement mise en mouvement par les vents (alizés, cinquantièmes hurlants, etc) comme par exemple le Gulf Stream ou le courant du Labrador. C’est celle-là que l’on voit dessinée sur les cartes.
- Les courants qui vont des profondeurs des océans vers la surface puis replongent vers les profondeurs. Ils sont mis en mouvement par des différences de température (l’eau froide est plus dense que l’eau chaude) et/ou de salinité (l’eau salée est plus dense que l’eau douce) entre les différentes couches de l’océan. Lorsque la circulation horizontale amène de l’eau dense au-dessus d’une couche qui l’est moins, l’eau de surface plonge alors vers les profondeurs et met en mouvement une telle circulation « verticale ». Les courants les plus profonds de cette catégorie portent le nom de courants thermohalins (voir ci-dessous), et d’autres, qui vont un peu moins en profondeur, portent le nom de circulation thermocline. Il est facile de voir que l’on retrouve dans ces deux termes la racine « thermo », qui désigne la chaleur.
Panorama simplifié des différents courants se produisant entre la surface et les couches plus ou moins profondes de l’océan, avec les durées de cycle (c’est à dire le temps approximatif qu’il faut à une molécule d’eau pour se retrouver au même endroit, après avoir fait un tour complet).
« Zone Photique » est la zone qui est traversée par la lumière (à peu près les 100 premiers mètres d’épaisseur).
Source : GIEC, 1996
L’un de ces courants est particulièrement important pour l’océan mondial : il s’agit de la plongée des eaux en mer de Norvège et en mer du Labrador, durant l’hiver. Les eaux de surface qui remontent l’Atlantique par le biais du Gulf Stream se chargent en sel, à cause de l’évaporation (une partie de l’eau évaporée retombe sur l’océan, bien sûr, mais une autre partie retombe sur les continents et n’est restituée que « plus tard »), et deviennent plus froides, chacun de ces phénomènes contribuant à les rendre plus denses.
Au moment de l’hiver, près du pôle Nord, une partie du sel contenu dans l’eau de mer qui gèle (pour former la banquise) est expulsé, et renforce encore la salinité de l’eau de mer qui ne gèle pas, laquelle se met alors à être tellement dense qu’elle « plonge » vers les profondeurs. On parle de formation d’eaux profondes pour désigner ce phénomène.
Le point capital, c’est que les courants de surface de l’océan mondial et cette plongée des eaux dans la mer de Norvège sont interconnectés : ce courant thermohalin sert de « moteur » à une partie de la circulation océanique globale, ce qui est illustré par le petit graphique ci-dessous.
Circulation océanique mondiale, qui brasse entre elles les eaux des différents océans du globe et des diverses couches de l’océan.
Il n’y a que deux endroits au monde où s’effectue la formation d’eaux profondes : pour l’essentiel dans la mer de Norvège et la Mer du Labrador, qui encadrent le Groenland, et pour une petite partie près de l’Antarctique, dans un endroit appelé Mer de Wedell.
Image reprise de « Système Terre », d’Ichtiaque RASOOL, Collection Dominos, Flammarion, 1993
Or ces courants verticaux (on parle aussi de courants convectifs) sont très sensibles à des petites variations locales de température. Par exemple, l’une des premières étapes du phénomène El Niño est un réchauffement modeste (2 ou 3°C) de la température de surface du Pacifique Est, et cela suffit pour affecter significativement la circulation thermocline à cet endroit là, avec des répercussions importantes sur les ressources en poissons et des répercussions majeures sur le climat des pays andins.
Incidemment, notons que d’augmenter la température de surface de 2 à 3°C sur une zone du Pacifique suffit aussi pour engendrer des catastrophes diverses à des milliers de km de là, ce qui illustre toute la difficulté qu’il y a à prévoir précisément l’ampleur et la localisation des éventuelles conséquences « catastrophiques » dans le cadre du réchauffement climatique en cours.
Pour en revenir aux courants, une perturbation de la circulation thermohaline, voire son arrêt, pourrait parfaitement se produire à l’avenir. En effet, nous avons vu que:
- le réchauffement sera particulièrement marqué près des pôles, et concernera donc la mer de Norvège de manière significative, or si l’eau s’y réchauffe en surface elle deviendra moins dense,
- il faut que de la banquise se forme pour libérer un surplus de sel augmentant brusquement la densité de l’eau de surface, or si la formation de banquise devient de plus en plus difficile il y aura moins de sel supplémentaire disponible,
- le changement climatique devrait se traduire par une augmentation de la pluviométrie aux hautes latitudes (notamment dans le Nord de l’Europe et du Canada), ce qui va provoquer un apport d’eau douce dans l’Atlantique Nord qui ne sera peut-être pas compensé par l’évaporation supplémentaire, l’ensemble pouvant diminuer la salinité et donc la densité de l’eau de surface sous ces latitudes.
Ces trois phénomènes pourraient atténuer, ou supprimer, la formation d’eaux profondes dans les mers qui bordent le Groenland, et déstabiliser par la suite l’ensemble de la circulation mondiale.
Evolution simulée du flux nord atlantique (« overturning » en anglais, et qui se mesure en Sverdrups), selon les modèles (dont les sigles – barbares ! – sont en légende), avec des émissions de gaz à effet de serre qui doublent jusqu’en 2100 puis une concentration qui reste constante jusqu’en 2200.
Sverdrups est le nom d’un pionnier du domaine, en abrégé Sv ; 1 Sv = 1.000.000 m³/s),
La circulation actuelle est de 12 à 25 Sv (cette fourchette est donnée par les barres noires situées à droite, juste à côté de l’échelle).
Attention ! les simulations partent de 1900, pour voir si elles reflètent correctement les observations entre 1900 et 2000.
Il est facile de constater que les simulations qui prédisent un effondrement de la circulation nord-atlantique avant 2100 sont déjà « hors observations » en 2000. Les simulations les plus pessimistes parmi celles restant compatibles avec les observations en 2000 pronostiquent une diminution de 50% du flux Nord Atlantique, ce qui est déjà considérable, mais pas d’arrêt brutal.
Lorsque la simulation va au-delà de 2100, avec une concentration en gaz à effet de serre qui ne change plus, les évolutions ne sont pas convergentes : certaines simulations « voient » une réversibilité – la circulation Nord-Atlantique augmente à nouveau, alors que d’autres voient l’affaiblissement perdurer.
Source : GIEC, 4è rapport d’évaluation, 2007
Y a-t-il vraiment un risque sérieux de ralentir ou supprimer la circulation dans l’Atlantique Nord ? La raison pour laquelle cette éventualité est si souvent évoquée est tout simplement que de tels phénomènes se sont produits à de très nombreuses reprises durant la dernière ère glaciaire, ainsi que pendant la dernière déglaciation (le dernier épisode de ralentissement de la circulation s’est produit il y a 8.000 ans, quand la déglaciation avait déjà commencé depuis plus de 10.000 ans).
La cause de ces épisodes passés a le plus souvent été une gigantesque débâcle d’icebergs au Groenland et sur la Canada actuel (d’où leur apparition en période glaciaire) qui a amené une quantité considérable d’eau douce dans l’Atlantique, ce qui a arrêté la plongée des eaux de la mer de Norvège pour les raisons exposées plus haut. Le dernier épisode (-8.000 ans) a eu une cause un peu différente : le déversement dans l’Atlantique d’un immense lac d’eau douce situé sur le continent Nord Américain, lac d’eau douce qui contenait probablement une partie des eaux de fonte de la calotte qui recouvrait le Canada lors de la dernière glaciation (calotte appelée Laurentide).
Dans tous les cas de figure l’enchaînement a été le même : un apport d’eau douce supplémentaire sur l’Atlantique Nord empêche la formation d’eaux profondes, ce qui, par contrecoup, provoque un très fort ralentissement du Gulf Stream, car cette circulation thermohaline (la plongée des eaux) sert de « pompe aspirante » et attire les eaux de surface tout au nord du bassin Atlantique. Ce ralentissement du Gulf Stream a à son tour engendré une baisse massive des températures en Europe et sur la côte Est des Etats-Unis (5 à 6°C de baisse de la moyenne annuelle), ainsi qu’une division de la pluviométrie d’un facteur 2 (voire plus en certains endroits), le tout survenant en quelques décennies seulement.
Ces phénomènes ont reçu le nom de « surprises climatiques » et ont profondément déstabilisé les conditions de vie sur les deux rives de l’Atlantique.
Variations rapides de température mises en évidence durant les 100.000 dernières années.
- La première courbe (Johnsen & al., 2001) montre la température moyenne de l’air au Groenland reconstituée à partir de la proportion d’oxygène 18 ou de deutérium dans la glace (des explications peuvent se trouver sur une autre page de ce site web). Elle met en évidence des variations de 15 à 20 °C de la température moyenne au-dessus du Groenland. Les réchauffements brutaux sont appelés événements de Dansgaard-Oeschger, du nom des scientifiques qui les ont découverts.
- La deuxième courbe (Bard & al., 2000 ; Pailler & Bard, 2002) montre qu’au même moment des variations de 5 °C ou plus de la température moyenne de surface de l’Atlantique Nord sont survenues ; les épisodes de refroidissement s’appellent des événements de Heinrich. Les températures sont reconstituées à partir de la conformation de certaines molécules – les alkénones – trouvées dans les sédiments marins, et qui proviennent d’algues ayant vécu en surface. Il se trouve que les liaisons chimiques de ces molécules sont différentes selon la température de l’eau de mer dans laquelle vivaient les algues ; l’analyse de ces liaisons permet donc de reconstruire la température de surface de l’eau dans le passé.
- La troisième courbe (Thouveny & al.) montre que la plupart de ces variations de température sont concomitantes d’une accumulation sur le fond de l’océan de sédiments « détritiques glaciaires » (pics vers le haut), lesquels viennent des continents. Ces sédiments « détritiques glaciaires » sont des petits cailloux qui se sont incrustés sous les glaciers du Groenland ou du Laurentide (une énorme calotte glaciaire qui reposait sur ce qui est maintenant le Canada) et qui sont restés « collés » au moment ou les extrémités de ces glaciers ont expulsé des icebergs vers l’océan. Ces « petits cailloux » sont ensuite tombés sur le fond de l’océan au fur et à mesure que les icebergs fondaient. En dehors des débâcles glaciaires, la quantité d’icebergs expulsés est moindre, et donc cette espèce de sédiments se dépose en moins grandes quantités sur le fond de l’océan.
- La quatrième courbe (Shackelton & al., 2000) montre que la ventilation (c’est à dire l’apport d’oxygène) de l’océan Atlantique profond aux époques de ces débâcles a fortement diminué (pics vers le bas). Cette ventilation est reconstituée en analysant les proportions respectives de carbone 12 et carbone 13 dans les sédiments, sachant qu’en fonction de la teneur en oxygène dans l’eau le métabolisme de petits animaux marins profonds (les foraminifères benthiques) privilégie plus ou moins le carbone 13 dans la formation de leur coquille. Cette diminution de la ventilation suggère un ralentissement de la circulation océanique profonde (celle qui suit la formation d’eaux profondes), précisément à l’origine de l’apport d’oxygène dans les fonds.
Source : E. Bard, Climate Shock: Abrupt Changes over Millennial Time Scales, Physics Today, décembre 2002 (article relativement accessible pour un profane, donc hautement recommandé à toute personne intéressée par le sujet).
Index pollen chaud/froid durant les 50.000 dernières années.
Cette courbe montre que les baisses de température de l’eau de surface, liées aux événements de Heinrich (ceux là qui sont produits par les débâcles massives d’icebergs), se retrouvent aussi sur les continents (par exemple H4 aux alentours de -38.500 ans, ou H5 aux alentours de -48.000 ans, aussi visibles sur la figure précédente). Les pollens de l’époque (trouvés dans les sédiments lacustres, c’est à dire prélevés au fond des lacs) ont très rapidement changé de nature (espèces tempérées espèces « steppiques ») en réponse à ces modifications brusques du climat.
La diminution rapide – pouvant aller jusqu’à la disparition régionale – des espèces tempérées en place est clairement visible à la suite du refroidissement.
Source: Sanchez & al. 2000
La question posée est donc la suivante : est-ce que, à l’avenir, l’augmentation de la pluviométrie et de la température sur l’Atlantique Nord pourrait amener une telle « surprise », avec, dans un contexte de réchauffement global de la planète, une baisse brutale – et peut-être catastrophique – des températures près du lieu de survenance ?
Exemple de conséquence supposée de la déviation d’un courant marin (le Gulf Stream).
La partie bleue foncée représente le courant de surface, et la partie bleue clair le courant profond en retour.
Si un tel épisode survenait à l’avenir, il est difficile de dire si il entraînerait une température plus basse qu’aujourd’hui en Europe (cela dépend du moment auquel il se produit, parce que dans un premier temps la température moyenne en Europe va monter), et surtout il est difficile de savoir ce qu’il adviendrait de la pluviosité par rapport à aujourd’hui. Il est clair que si un tel épisode engendrait une baisse de 30% des précipitations en Europe de l’Ouest, cela ne serait pas sans conséquence sur les ressources alimentaires….
Le Pentagone a-t-il dit que le Gulf Stream allait s’arrêter en 2020 ?
Cette éventualité d’un arrêt du Gulf Stream a servi de base à un « rapport » réalisé pour le Pentagone (le ministère de la Défense des Etats-Unis) et qui a fait grand bruit dans la presse début 2004. Certains journalistes n’ont pas hésité à expliquer que le Pentagone « prévenait » Bush que les perturbations climatiques allaient être terribles dans pas très longtemps, posant à bref délai de redoutables problèmes à la sécurité intérieure des USA.
En fait ce rapport n’est pas un exercice de prévision, mais un exercice de « climat fiction » : il décrit des enchaînements qui pourraient se produire si un tel arrêt de la circulation thermohaline se produisait dès 2020. L’essentiel du document consiste ensuite en une énumération, région par région, des conséquences possibles d’un tél événement. Ce qui est indiqué dans ce papier, à la condition que l’hypothèse de départ soit valable, est alors une description plausible – parmi d’autres – de ce qui pourrait se passer.
Mais la question essentielle, car c’est de là que part tout le reste du document, est la suivante : un tel arrêt de la circulation thermohaline en 2020 est-il possible et/ou probable ? Il y a donc deux manières de discuter l’hypothèse de départ :
Est-ce possible ?
Cet arrêt en 2020 est-il seulement possible ? Les éléments du dossier scientifique, aujourd’hui, ne permettent pas d’exclure totalement que le Gulf Stream commence à s’arrêter d’ici à 2020, mais « ne pas totalement exclure » est bien évidemment très différent de « il est probable que cela arrive » ! Les auteurs du rapport du Pentagone citent notamment deux publications scientifiques dont les résultats sont cohérents avec un ralentissement qui aurait déjà commencé :
- le premier note une diminution de la salinité des eaux profondes de la mer du Labrador – où se forme une partie des eaux profondes – depuis quelques décennies (ci-dessous).
Salinité de l’eau de la partie centrale de la mer du Labrador, en fonction de la profondeur (axe vertical) et du temps (axe horizontal).
La diminution de la salinité dans la partie la plus profonde de la colonne d’eau est bien visible, et l’une des hypothèses possibles est le ralentissement de la formation d’eau profonde, qui est la partie descendante de la circulation thermohaline.
Source : Dickson & al., Nature, 2002.
- La seconde publication souligne que la circulation profonde provenant de la mer de Norvège (où se forme une autre partie des eaux profondes), et qui s’engouffre dans l’Atlantique profond, semble diminuer actuellement :
Flux des eaux profondes en Mer de Norvège
La formation d’eaux profondes se passe pour partie dans la mer de Norvège, qui se trouve entre le Groenland et la Norvège. Les eaux profondes passent alors vers l’Atlantique à travers divers détroits : entre le Groenland et l’Islande, et entre l’Islande et l’Ecosse (SC sur le schéma). On peut mesurer les flux à ces endroits là, ce qu’ont fait les auteurs de la publication.
Source : Hansen & al, Nature, 2001
Débit de l’eau passant à travers le détroit des Féroé (FBC sur la figure de gauche, pour Faroe Bank Chanel) sous l’isotherme 0.3 °C.
La courbe rouge est obtenue avec des mesures directes d’appareils mouillés dans le détroit, et la courbe bleue résulte d’un calcul obtenu avec d’autres données. La largeur de la courbe rouge reflète l’incertitude du résultat obtenu avec les mesures, car il est nécessaire de faire un calcul intermédiaire prenant en compte un paramètre qui présente une petite incertitude.
Le débit montre une tendance à la baisse, estimée entre 2% et 4% par an, selon les suppositions, depuis le milieu des années 1990.
Source : Hansen & al, Nature, 2001
- La troisième publication (Rahmstorf & al., Climatic Change, 1999) présente les résultats d’un modèle qui conduit à un arrêt de la circulation thermohaline (en deux siècles, quand même !) avec un apport supplémentaire relativement modeste d’eau douce dans l’Atlantique Nord.
Est-ce probable ?
la deuxième manière de discuter l’hypothèse du Pentagone, maintenant, est de se demander si l’enclenchement d’un tel arrêt de la circulation thermohaline en 2020 est une éventualité « probable », c’est-à-dire que le risque que cela arrive est élevé.
La réponse est ici moins « pessimiste » : les modèles couplés océan-atmosphère, en 3 dimensions, ne montrent pas d’arrêt de la circulation Nord-Atlantique avec les conditions climatiques que nous aurons en 2020, ou même en 2100 (voir ci-dessus). En d’autres termes, le résultat obtenu par Rahmstorf & al. ne fait pas aujourd’hui consensus dans la communauté scientifique.
Reste que, ici aussi, nous en sommes réduits à discuter sur la base de la modélisation. En effet, les arrêts du Gulf Stream qui se sont produits dans le passé (le dernier il y a 8.000 ans, voir ci-dessus) ont fait suite à de très gros apports d’eau douce à la surface de l’Atlantique Nord, bien plus importants que ce que nous aurons vraisemblablement en 2020. Nous savons donc que le seuil de déclenchement d’un tel événement est « quelque part » entre ce que nous avons aujourd’hui et ce que nous avons eu il y a 8.000 ans, mais la science ne permet pas – et le pourra-t-elle un jour ? – de dire avec précision où se situe ce seuil. En outre, dans le passé l’apport d’eau douce a été la principale modification pour l’Atlantique, qui n’a pas connu par ailleurs un réchauffement climatique préalable comme celui que nous nous apprêtons probablement à connaître.
Pour faire la part des choses à l’avenir, et tenter de préciser le seuil de déclenchement entre les conditions actuelles et des conditions très modifiées (et il n’est pas dit que nous y parvenions suffisamment tôt avant le déclenchement du processus si déclenchement il y a), la modélisation est difficile à remplacer.
En conclusion, le plus probable est que la circulation Nord Atlantique va un peu diminuer d’ici 2020, ce qui est cohérent avec les observations, mais un arrêt brutal semble extrêmement peu probable. Après, un troisième niveau de discussion est de savoir si les conséquences envisagées par le document du Pentagone sont plausibles si le Gulf Stream s’arrête. De ce point de vue, si un tel événement survenait en 2080 ou en 2120 plutôt qu’en 2020, nous aurions probablement droit à un chamboulement planétaire de très grande ampleur, avec une mortalité massive à la clé.
Incidemment, l’élément intéressant de ce rapport est surtout que, émanant d’une administration que Bush respecte énormément, il invite un président qui s’est souvent déclaré sceptique sur le changement climatique à considérer ce processus comme une menace de premier plan pour la sécurité intérieure des USA !
Des conséquences pour le phytoplancton ?
Le ralentissement des courants marins convectifs pourrait avoir une deuxième conséquence désagréable : comme ce sont eux qui ramènent des profondeurs les sels minéraux indispensables à la croissance du plancton végétal (que l’on appelle le phytoplancton), qui démarre la chaîne alimentaire marine, et que ce sont aussi ces courants qui amènent l’oxygène dans les fonds des océans, où ils permettent la vie, leur ralentissement pourrait affaiblir toute la vie marine en général, laquelle n’a pas nécessairement besoin de cette contribution additionnelle de notre part !
Prélèvements (à gauche) et biomasse restante (à droite) dans l’Atlantique Nord, reconstitués pour 1900, 1950 et 1999 à partir de 23 modèles différents.
Sans avoir eu besoin de changer le climat, nous avons divisé la biomasse marine par 10 en un siècle. Pas mal….
Source : Science, 1999