Une des conclusions fortes du dossier climatique est que la température moyenne au niveau du sol va augmenter si la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre augmente. Mais de combien ? On entend parler ici d’une fourchette de 1,5 à 6 °C à l’horizon du siècle, là d’une possibilité que cela gagne plus de 10°C « un jour », là encore que quoi que nous fassions nous allons connaître une hausse de température de 0,5 à 1 °C. Que signifient au juste ces chiffres, et de combien la planète pourrait s’échauffer?
La réponse est que… cela dépend. Cela dépend tout d’abord de ce que nous allons émettre comme gaz à effet de serre à l’avenir. En effet, une simulation climatique est en fait une fusée à 3 étages, dont la partie « climat » n’est que le troisième.
Schéma de principe d’une simulation climatique.
- La première étape est la définition d’hypothèses concernant la démographie, la consommation par personne, l’intensité énergétique de l’économie, la composition de l’énergie consommée, etc. Ces hypothèses conduisent à des scénarios d’émission (qui sont donc eux aussi des hypothèses) et qui définissent le niveau de perturbation apportée par l’homme au système climatique.
- La deuxième étape est le passage de ces scénarios d’émission à l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
- C’est seulement au niveau de la troisième étape qu’intervient le modèle de climat proprement dit, qui va donner la modification du système climatique par rapport à son état « normal ». Notez enfin que, en retour, la modification du climat va agir sur la concentration en gaz à effet de serre (affaiblissement des puits) et sur les émissions, à travers les conséquences sur notre espèce. Le système est donc complètement asservi.
Par la force des choses, le résultat à l’arrivée dépend donc du scénario d’émission : cela n’a pas de sens de mentionner une élévation de température donnée sans faire référence au scénario d’émission qui va avec. C’est peut-être un peu compliqué, mais c’est comme cela !
Avec les modèles utilisés par les physiciens et les scénarios retenus la fourchette des « valeurs les plus probables » est alors de 2 à 4°C, en chiffres ronds, mais il faut bien comprendre ce que cela recouvre.
Prédictions de l’augmentation de la température moyenne de surface entre 1990 et 2100 selon les scénarios. Chaque scénario d’émission de gaz à effet de serre (désigné par un sigle : A1B, B1, etc) a une couleur différente et correspond à des hypothèses différentes.
Pour une couleur donnée, donc un scénario donné, la ligne continue donne la valeur la plus probable de l’élévation de température de 2000 à 2100. Cette « valeur la plus probable » est en fait une moyenne inter-modèles (le nombre de modèles concernés est indiqué avec un nombre de même couleur que la courbe du scénario). Par exemple le scénario A1B, en vert, conduit à une élévation de température de presque 3°C en 2100 en valeur la plus probable.
La zone grise sur la droite, portant le même sigle que la courbe, représente la fourchette possible pour l’élévation de température si on prend en compte tous les modèles. Par exemple le scénario B1 conduit à une élévation « la plus probable » de presque 2°C en 2100, mais la fourchette des valeurs vraisemblables va de 1,2 à 2,9 °C (on parle de « dispersion » des résultats).
Ces valeurs ne font que confirmer celles du rapport de 2001 du GIEC, ce qui est en soi un résultat très fort (hélas serait-on tenté de dire).
Source : GIEC, Summary for Policymakers of the 4th assessment report (working group 1), 2007
En fait, ce que l’on appelle « augmentation de la température moyenne », dans une simulation climatique, n’est que la « valeur la plus probable » de l’élévation de température moyenne au niveau du sol. Plus précisément, quand on augmente délibérément la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère dans un modèle de climat, ce dernier répond – pour les versions les plus avancées – de manière probabiliste. Ce qu’il dit, en clair, est que pour tant de gaz à effet de serre en plus, il y a une probabilité de X% pour que la température moyenne en 2100 augmente de 1°C au moins, une probabilité de Y% pour que la température moyenne en 2100 augmente de 2 °C au moins, etc.
Bien sûr, cette probabilité est de 100% pour une fraction de degré (la probabilité pour que la température moyenne augmente d’au moins 0,5 °C d’ici à 2100 est de 100% : c’est un événement certain dans tous les cas de figure), et devient nulle pour une élévation de température suffisemment élevée (la probabilité pour que la température moyenne augmente d’au moins 10 °C d’ici à 2100 avec le scénario B1 est de 0% : c’est un événement impossible dans tous les cas de figure). L’encadré ci-dessous précise un peu cette approche (pardon pour ceux que le terme « distribution des probabilités rebute !).
Distributions de probabilité pour 2 scénarii (B1, A1B), fournies par les modèles pris en compte pour l’élévation de température moyenne à l’avenir. Les courbes oranges de gauche (une courbe par modèle) concernent l’élévation de température en 2020-2029 par rapport à 1980-1999, les courbes rouges de droite (une courbe par modèle) concernent l’élévation de température en 2090-2099 par rapport à 1980-1999.
Ces courbes s’interprètent de la manière suivante:
- pour chaque modèle (une courbe) l’élévation de température la plus probable est celle du sommet de la courbe,
- quand la courbe touche le zéro c’est que l’événement devient impossible (par exemple aucun modèle n’envisage une élévation de température moyenne supérieure à 5°C en 2100 pour le scénario B1),
- pour chaque valeur T de l’axe horizontal, la surface sous la courbe jusqu’à la valeur en question donne la probabilité que la température moyenne soit au plus T.
- ainsi, pour le même scénario B1, l’élévation la plus probable est d’environ 2 °C, mais il y a une probabilité non nulle que ce soit 3 °C pour un certain nombre de modèles, et même 4°C supplémentaires restent possibles pour l’un d’entre eux.
NB: aucune de ces simulations ne sont couplées avec le cycle du carbone.
Source: GIEC, Summary for Policymakers of the 4th assessment report (working group 1), 2007
Si nous mettons cette élévation possible au 21è siècle avec les températures du passé proche, une chose est manifeste : dans tous les cas de figure l’évolution de la température est extrêmement brusque, voire brutale (ci-dessous), par rapport aux évolutions naturelles, et au 21è siècle nous aurions une élévation très largement supérieure à celle du 20è siècle. Cela signifie notamment que l’essentiel des conséquences d’un changement climatique amples sont à venir, et non déjà visibles. La question majeure est bien de savoir comment éviter de « prendre » quelques degrés, non de savoir si l’homme est responsable à 23,5% ou à 38,3% de ce qui s’est passé au 20è siècle!
Mise en perspective de la température reconstituée ou mesurée, de l’an 1000 à l’an 2000, et des élévations possibles au 21è siècle. En fait ce qui est représenté n’est pas la température moyenne de la planète, mais la différence de cette température moyenne avec la moyenne de l’année 1990. Par exemple, en l’an 1860, il a fait 0,5 °C de moins (moyenne mondiale) qu’en 1990.
La température des années 1000 à 2000 est matérialisée par la courbe rouge. La zone grisée représente la marge d’incertitude pour les périodes anciennes, pour lesquelles les températures ne sont pas mesurées – il n’y avait pas de thermomètres partout à ces époques! – mais reconstituées à partir de prélèvements, dans la glace, les fonds marins, les coraux, les troncs d’arbre….
Pour les années 2000 et au-delà, le graphique représente la réponse donnée par les modèles, en fonction des scénarios d’émission de gaz à effet de serre pour le 21è siècle . Chaque courbe de couleur correspond à un même scénario, appliqué à un ensemble de 15 modèles différents, et dont on a représenté la moyenne tous modèles confondus. L’enveloppe marron matérialise les extrêmes, c’est à dire l’écart entre la plus petite élévation, pour les émissions les plus faibles et le modèle le moins « réactif », et l’élévation maximale, obtenue avec le scénario « haut » pour les émissions et le modèle le plus « réactif ».
Attention ! Ce graphique date du rapport 2001 du GIEC et les couleurs des scénarios ne sont pas les mêmes que sur les graphiques du rapport 2007 (pas terrible question cohérence!).
Dans tous les cas de figure, l’évolution est beaucoup plus brutale que ce à quoi la variabilité naturelle du climat nous a habitués. Et ces projections ne tiennent pas compte du possible dérèglement du cycle du carbone.
Source: Climate Change 2001, the scientific basis, GIEC, 2001
Et que se passe-t-il au-delà de 100 ans ? Le climat célèbre-t-il l’année 2100 à sa manière en retournant à un état normal ? Malheureusement non : les gaz à effet de serre ont une durée de séjour très longue dans l’atmosphère, et donc la perturbation du climat que nous avons mise en route va se poursuivre pendant des milliers d’années de toute façon, avec, par contre, une ampleur qui dépend encore de ce que nous allons émettre comme gaz à effet de serre au cours du 21è siècle, comme le graphique ci-dessus le montre bien.
Et, hélas, même en cas de suppression totale des émissions demain matin, les concentrations – et donc « l’effet de serre » lié à ces gaz que nous avons mis dans l’atmosphère – ne décroîtraient que très lentement, et même avec une hypothèse aussi extrême nous ne retrouverons pas le niveau « pré-industriel » avant des dizaines de milliers d’années.
En conséquence, le maximum des températures n’est atteint que bien après que le maximum de concentration en gaz le soit, et les valeurs atteintes en 2100 pour les divers scénarios d’évolution ne représentent que 50% environ du maximum absolu à venir ultérieurement (cf. figure ci-dessous).
Fourchette d’élévation de température en 2100 (en vert) comparée à la fourchette « à terme » (en bleue), selon la concentration de l’air en CO2 au moment où cette dernière cessera d’augmenter (nous avons franchi les 400 ppm en 2015 et sommes partis pour bien plus).
Par exemple, si nous parvenons à stabiliser la concentration atmosphérique en CO2 à 750 ppm d’ici quelques siècles (ce qui est énorme), l’élévation de température en 2100 oscillera (avec le modèle utilisé ici) entre 2 et 3,5 °C (attention: ici nous ne sommes pas à 750 ppm en 2100, mais à terme), et celle à terme (quelques siècles plus tard) serait comprise entre 2,7 et 7°C.
On voit donc facilement que la température continue d’augmenter bien après 2100, et que l’augmentation résiduelle est d’autant plus forte que l’augmentation prévue à la fin du 21è siècle (les journaux ne parlent que de celle-là) est déjà importante.
Il est aussi facile de voir que l’élévation de température à terme pourrait être le triple de celle en 2100: les ennuis ne seront pas terminés en 2101…
Source : GIEC, 2001
Si l’on regarde ce que donnent les modèles non plus sur 1 siècle mais sur une durée plus longue (quelques siècles), l’augmentation de température pourrait fort bien dépasser 10°C lorsque le maximum sera atteint (dans l’hypothèse haute où nous émettrions des quantités sans cesse croissantes de gaz à effet de serre pendant le siècle à venir).
Bien sur le modèle ne reste pas forcément valable pendant des siècles, mais on peut alors raisonner de la manière suivante :
soit notre système climatique reste à peu près ce qu’il est avec une telle augmentation de température. La prolongation du modèle, qui représente le système climatique, est donc valide à cette échéance, et un tel maximum n’est pas à exclure. Les conséquences possibles engendrées par une telle augmentation – que la terre n’a probablement jamais connue depuis qu’elle héberge de la vie – en un laps de temps si court ne permettraient vraisemblablement pas le maintien de notre forme actuelle de civilisation et la vie confortable – voire la survie pour une partie – de quelques milliards d’hommes sur la Terre.
soit le système climatique se modifie profondément bien avant, par suite d’une modification brutale d’une de ses composantes (voir risques et puits). Du coup le modèle, qui représente le système actuel, n’est plus valide, et nous entrons alors dans l’inconnu, qui peut être plus agréable, mais aussi… encore plus désagréable que ce que prévoit le modèle.
Il faut rappeler que nous n’avons aucune visibilité historique (donc aucun moyen de savoir ce qui se passe en pareil cas) concernant une élévation rapide de température de quelques degrés au-dessus des températures actuelles.