Un certain nombre de gaz à effet de serre sont, et cela est fort bien connu, présents de longue date dans l’atmosphère. Le CO2, par exemple, cela fait quelques milliards d’années qu’il y en a autour de la terre ! De même, du méthane est émis par les zones humides depuis que des bactéries anaérobies y vivent, et cela doit bien remonter à une paire de centaines de millions d’années. Dès lors, qu’est-ce qui permet de dire que l’homme est bien pour quelque chose dans l’augmentation – non contestée, elle – qui est actuellement observée ? Dans cette affaire, les scientifiques travaillent comme un (bon) magistrat : ils se basent sur « un faisceau d’indices concordants », en éliminant progressivement toute cause qui ne peut expliquer ce qui est observé.
Même sur une courte période, la concentration en CO2 augmente rapidement
Depuis la fin des années 50, 1957 pour être exact, des mesures systématiques de la quantité de CO2 dans l’atmosphère ont pris place en divers endroits du globe, le premier d’entre eux et encore aujourd’hui le plus célèbre étant Manau Loa, sur l’île d’Hawaï. Pourquoi diantre être allé se mettre là-bas, si ce n’est pour faire du surf ? Tout simplement pour être sûr de ne pas être perturbé par une grosse source d’émission de CO2 telle qu’une ville, une région fortement industrialisée, etc. Les observatoires qui sont venus s’ajouter à Manau Loa sont également situés sur des îles perdues au milieu de l’océan (la France possède ainsi une station de mesure sur l’île d’Amsterdam) ou sur des bateaux.
Depuis le début de ces mesures, les relevés ont montré que la concentration en gaz carbonique dans l’air augmentait un peu chaque année, et récemment d’autres mesures ont permis de voir que la quantité d’oxygène présente dans l’air diminuait de manière remarquablement symétrique (rassurez vous, ça concerne des millionièmes, il en restera bien assez !). Pour une molécule de CO2 apparaissant dans l’atmosphère, il disparaît une molécule d’O2, ce qui accrédite très fortement l’idée que le CO2 injecté provient d’une combustion.
Teneur atmosphérique en C02 et 02 en différents points du globe.
La courbe noire du haut représente la variation de la teneur atmosphérique en CO2 mesurée en parties par million à Mauna Loa, Hawaï (1 partie par million = 0,0001% du volume de l’atmosphère; ppm ou ppmv en abrégé).
La courbe bleu foncé du haut (« imbriquée » dans la courbe noire, et évoluant au même rythme, mais avec une amplitude moindre) représente la même chose, mesurée à Baring Head, New Zealand. La moindre amplitude de la mesure à Baring Head vient de ce que l’essentiel de la biomasse continentale se trouve dans l’hémisphère Nord, où elle engendre une variation de la teneur atmosphérique en CO2 au fil des saisons.
En gros, au printemps et en été, en pleine période de croissance de la végétation, le flux qui domine est l’absorption du CO2 par la végétation (d’où diminution du CO2 atmosphérique), alors qu’en automne et hiver le flux qui domine est celui de la décomposition des végétaux morts (dont les feuilles tombées en automne) et la respiration des plantes et des micro-organismes. Le brassage de l’air entre hémisphères ne se faisant pas en quelques mois mais plutôt en une année, cette amplitude annuelle due au cycle saisonnier de la végétation de l’hémisphère Nord ne se répercute pas sur les deux hémisphères de manière homogène. Au niveau de la moyenne annuelle, la différence entre les deux hémisphères est minime, et de toute façon la tendance est exactement la même : l ‘évolution annuelle est très nettement à la hausse, jusqu’à arriver à 380 parties par million de CO2 en 2006 en moyenne annuelle.
Les courbes bleue et rose du bas représentent la variation de la teneur atmosphérique en oxygène, ou plus exactement l’écart à la normale, en ppm aussi. La courbe rose vient de mesures effectuées à Alert, Canada (82°N) et la courbe bleu clair de mesures effectuées à Cape Grim, Australie (41°S). La corrélation avec la courbe du CO2 est spectaculaire.
Source : GIEC, 4è rapport d’évaluation, 2007
Un deuxième indice intéressant est que non seulement le CO2 atmosphérique augmente, mais il augmente chaque année un peu plus (graphique ci-dessous), exactement comme la combustion des hydrocarbures. Il y a donc une « accélération » de l’augmentation très perceptible sur une échelle de temps – quelques dizaines d’années – qui est ridiculement courte à l’échelle des cycles naturels.
Teneur atmosphérique en C02.
Les barres grises représentent l’augmentation annuelle du CO2 atmosphérique – en ppm – provenant des mesures de la Scripps Institution of Oceanography, qui montre clairement que cette augmentation est plus importante chaque année. L’atmosphère s’enrichissait ainsi de 0,5 partie par million de CO2 tous les ans vers 1960, alors qu’actuellement c’est autour de 2 ppm par an (4 fois plus).
Les courbes en escalier noire et rouge juste au-dessus des barres donnent la moyenne glissante sur 5 ans des valeurs des barres et celle provenant des observations de la NOAA.
La courbe noire du haut (en escalier) représente (en parties par million) l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 que nous aurions eue de 1960 à 2005 si la totalité du CO2 émis au titre des combustibles fossiles restait dans l’atmosphère. La différence avec ce qui est vraiment mesuré correspond à la reprise par les puits.
Source : GIEC, 4è rapport d’évaluation, 2007
Part du CO2 émis chaque année qui reste dans l’atmosphère (0 = 0%, 1 = 100%).
Il est facile de constater que cette fraction reste relativement stable autour de 50%, avec une anomalie au début de la décennie 1990, alors que les émissions de CO2 ont quadruplé entre 1960 et 2005. Cela s’explique par le renforcement des puits, qui pourrait cependant ne pas durer.
Source : GIEC, 4è rapport d’évaluation, 2007
La mesure des gaz à effet de serre sur une longue période
Sur le passé très récent, l’affaire est entendue : le CO2 atmosphérique augmente, augmente même de plus en plus, et il augmente (et l’oxygène diminue) au rythme de la combustion du pétrole, du gaz et du charbon. C’est déjà un sérieux indice, mais pour pouvoir dire avec certitude si la civilisation industrielle y est pour quelque chose ou pas, il faut pouvoir se faire une idée de ce qui se passait avant son début, c’est à dire avant 1750. Or avant 1750 (et même quelques temps après !) il n’y n’avait pas d’instruments permettant de mesurer directement la teneur en CO2 dans l’air, pas plus que la teneur en méthane ou en quoi que ce soit d’autre. Comme aucun de nos lointains ancêtres n’a eu la bonne idée de nous mettre quelques bouteilles d’air de l’époque de coté, comment a-t-on procédé ?
Nous avons la chance d’avoir, au pôle Sud, un dispositif naturel d’archivage de la composition de l’air. Chaque année, il y tombe de la neige, et comme la température de l’Antarctique est très basse et qu’il ne dégèle jamais, chaque année voit de nouvelles chutes de neige qui viennent recouvrir les précédentes. Avec le poids de la neige qui s’accumule au fil des années sans jamais fondre, la neige la plus ancienne finit par se transformer en glace, sous l’effet de la pression, comme cela se passe avec les glaciers de nos Alpes. Au cours de cette transformation de neige en glace, qui dure quelques siècles en général, l’air qui entoure les flocons de neige se retrouve emprisonné dans la glace, sous forme de petites bulles. Ces bulles datent donc de l’époque où la neige est tombée, à quelques siècles près.
Le résultat de tout cela est que la calotte glaciaire de l’Antarctique se compose de glace qui est de plus en plus vieille au fur et à mesure que l’on creuse plus profond, et que, avec chaque couche de glace d’un âge donné, on trouve un peu d’air – sous forme de micro-bulles – qui date de la même époque que la glace.
Cette situation ouvre la voie à une possibilité extraordinaire : retracer la composition de l’atmosphère, pour les gaz chimiquement stables une fois emprisonnés dans la glace (le CO2 en fait partie), jusqu’à l’époque de formation de la glace la plus ancienne de l’Antarctique. Pour cela, il faut :
- creuser et extraire proprement (sans la contaminer avec de l’air ambiant) ce que l’on appelle une « carotte » dans la glace, c’est à dire un grand cylindre de quelques dizaines de centimètres de diamètre et dont la longueur est de quelques kilomètres (de la surface jusqu’au rocher),
- dater la glace tout le long de la carotte,
- analyser la composition des bulles d’air qui s’y trouvent (aussi tout le long), et notamment les concentrations des principaux gaz à effets de serre « naturels » (c’est à dire gaz carbonique, méthane, protoxyde d’azote).
Les couches les plus profondes de l’Antarctique datant d’il y a 800.000 ans, on comprend que l’on peut avoir un bon aperçu – d’autant plus précis que l’on est proche de notre époque, il est vrai – sur ce qui s’est passé pendant cette période. Pour être exact, on peut avoir une représentation très précise de ce qui s’est passé pendant les 100.000 denières années, puis une idée encore très acceptable (c’est à dire encore exploitable) de ce qui s’est passé sur les 700.000 années d’avant (de -100.000 à -800.000 ans).
Les constatations
Si l’on fait la courbe des concentrations dans l’air de gaz à effet de serre « naturels » depuis 1750 (début de l’industrialisation) (graphique ci-dessous), on constate que ces concentrations suivent tous une courbe en très forte croissance (à peu près exponentielle) depuis cette date.
Variation des teneurs de l’atmosphère en gaz à effet de serre depuis l’an mil. (GIEC, 2001). Nitrous Oxide signifie protoxyde d’azote, et carbon dioxide signifie CO2.
Les résultats proviennent de l’analyse des bulles d’air mesurées dans la glace (Blunier et al., 1993 ; Etherigde et al., 1996) et, pour les années postérieures à 1958, de mesures directes.
Rappel : un ppmv signifie une partie par million, c’est à dire 0,0001% ; un ppbv = une partie par billion (en Anglais, un billion = un milliard), c’est à dire 0,0000001% : mille fois moins !
Rappelons que les gaz à effet de serre n’ont pas besoin d’être présents en grande quantité pour avoir un effet déterminant.
Graphique tiré de GIEC, 2001
Le dioxyde de carbone (C02)
Par ailleurs, aux incertitudes de mesure près, les concentrations de CO2 avant 1750 sont constantes sur plus de dix mille ans, et n’ont jamais dépassé la valeur de 1750 (280 ppmv, alors qu’en 2005 nous sommes déjà à 380) pendant les 650.000 ans qui ont précédé 1750.
Variation des teneurs de l’atmosphère en gaz carbonique sur 400.000 ans tirée du forage de Vostok.
L’échelle de gauche donne les concentrations, celle du bas l’âge en années (attention ! Plus on va vers la droite et plus on remonte dans le passé), et celle du haut la profondeur du carottage (en mètre).
On constate aisément que la concentration en CO2 n’a pas dépassé 300 ppmv depuis -400.000 ans, et que les variations les plus brutales sont de l’ordre de 100 ppmv sur quelques milliers d’années.
Source: Petit & al, Nature, Juin 1999
Variation des teneurs de l’atmosphère en gaz carbonique sur 650.000 ans (attention ! on va vers le passé quand on se déplace sur la droite) tirée du forage EPICA.
On constate aisément que de -400.000 ans à -650.000 ans le CO2 n’a pas varié différemment que pendant les 400.000 ans qui ont suivi.
Siegenthaler, Stocker et al., Science, 2005
Si avec tout cela nous ne sommes pas encore coupables, du moins commençons-nous à être fortement suspects. Ce qui va achever de nous confondre, c’est l’analyse isotopique du carbone contenu dans le gaz carbonique atmosphérique.
Analyse isotopique du carbone
L’atome de carbone possède trois isotopes :
- le carbone 12, le plus abondant, possède 6 protons et 6 neutrons.
- Le carbone 13, qui possède 6 protons et 7 neutrons, est un isotope stable (il n’est pas radioactif) et présent à hauteur de 1% du carbone environ, avec toutefois une différence notable entre les milieux océaniques et les milieux continentaux : il est moins abondant dans les milieux continentaux (dans la biomasse et…les combustibles fossiles, qui sont de la biomasse décomposée il y a longtemps) que dans l’océan,
- le carbone 14, qui possède 6 protons et 8 neutrons, est instable (c’est à dire radioactif, de période 5.500 ans environ, c’est à dire qu’au bout de 5.500 ans la moitié d’un stock initial de carbone 14 a disparu) se forme par bombardement, dans la haute atmosphère, de l’azote de l’air par les neutrons du rayonnement cosmique, selon la réaction
N (7,7) + n → N (7,8) → C (6,8) + p
Ce carbone 14 se retrouve ensuite un peu partout, mais comme il se désintègre en quasi totalité au bout de quelques dizaines de milliers d’années, les combustibles fossiles (qui se sont formés il y a des millions d’années au moins) n’en comportent pas.
Nous avons donc des discriminants du CO2 selon sa provenance :
- les émissions de CO2 provenant de l’océan sont relativement riches en carbone 13 et comportent du carbone 14
- les émissions de CO2 provenant de la biomasse continentale sont moins riches en carbone 13 et comportent aussi du carbone 14
- les émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles sont aussi riches en carbone 13 que celles provenant de la biomasse continentale (charbon) ou marine (pétrole et gaz) , mais sont dépourvues de carbone 14
Or on constate que le CO2 atmosphérique s’appauvrit actuellement en carbone 13 et en carbone 14. L’appauvrissement en carbone 13 indique que l’augmentation de ce CO2 atmosphérique ne vient pas de l’océan, et l’appauvrissement en carbone 14 implique – puisque c’est la seule source possible – que les émissions en provenance des combustibles fossiles augmentent.
Pour le CO2, la concentration jamais atteinte depuis 650.000 ans au moins, le rythme inconnu jusqu’alors de l’augmentation de sa concentration, et les confirmations par les analyses isotopiques et la variation anticorrélée de l’oxygène permettent d’affirmer que c’est bien l’homme et en particulier ses activités « modernes » qui est la cause de l’augmentation de ce gaz dans l’atmosphère.
Le méthane (CH4)
Pour le méthane, le passé lointain nous offre aussi une base de comparaison qui permet d’affirmer, sans trop se tromper, que nous sommes bien en cause dans l’élévation récente. En effet, le premier graphique de la page montre que le méthane est actuellement à 1700 parties par milliard, après avoir oscillé entre 350 et 700 parties par milliard sur les 650.000 ans qui viennent de s’écouler.
Concentrations en méthane atmosphérique, protoxyde d’azote, et teneur en deutérium de la glace
Les courbes superposées – bleu et pourpre – du haut : évolution du méthane atmosphérique, en parties par milliard (ppb, pour « parts per billion » en anglais), déduit d’analyses des bulles d’air dans les carottes prélevée en Antarctique (Dome C en pourpre, Vostok en bleu). La concentration atmosphérique naturelle a oscillé entre 400 et 700 ppb sur les 700.000 ans.
La courbe rouge du milieu concerne la concentration en protoxyde d’azote, qui n’a jamais dépassé 280 ppb avant l’ère industrielle.
La courbe du bas en noir donne la teneur la glace en deutérium (hydrogène avec un proton et un neutron), qui est un marqueur de la variation de température de l’Antarctique, et par extension de la température planétaire (avec un facteur 2 environ ; pour 2°C de variation en Antarctique la température planétaire varie d’environ 1 °C) .
Source : Spahni, Chappellaz et al, Science, 2005
Enfin que l’augmentation nous soit imputable est de toute façon une évidence pour les gaz « industriels » qui n’étaient pas présents naturellement dans l’atmosphère (halocarbures) et dont les concentrations augmentent également de manière exponentielle (graphique ci-dessous pour certains d’entre eux ; les halocarbures comportent plusieurs dizaines de représentants dont les noms sont des sigles barbares assez peu parlants pour le profane).
Variation des teneurs de l’atmosphère mesurées directement dans l’air de différents gaz industriels (en parties par trillion): halocarbures HCFC-22, HCFC -141b et HCFC -141b, et hexafluorure de soufre SF6.
Source : GIEC, 1996
Par contre il y a déjà eu des concentrations fortes de CO2 dans l’atmosphère si l’on remonte très loin dans le temps, et donc des températures moyennes un peu supérieures, mais qui n’ont probablement jamais dépassé les températures actuelles de plus de 5 à 10 degrés (rappelons que l’évolution que nous avons mise en route pourrait amener une élévation de température de plus de 10 °C en quelques siècles), car l’activité solaire (c’est-à-dire l’énergie rayonnée par le soleil) était alors bien plus faible. Et de toute façon, nous n’étions pas nés à ce moment-là !
Concentrations de CO2 au cours des âges géologiques récents. RCO2 est le rapport entre la concentration actuelle (en fait 300 ppm, soit 0,03%) et celle existant dans le passé. Par exemple R = 5 signifie que la concentration était de 5*300 = 1500 ppm, ou encore que le CO2 occupait 0,15% de l’atmosphère.
On constate que la tendance de fond de l’ère Quaternaire (débutant il y a 4 millions d’années) et même de l’ère tertiaire (débutant il y a 70 millions d’années, et pendant laquelle les mammifères se sont développés) était plutôt à la baisse.
Source : Berner, Science, 1997