Les négociations internationales prenant place dans le cadre de la convention climat ont conduit certains pays à s’engager à faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre, pour parvenir à l’objectif de cette convention qui est d’éviter un changement climatique dangereux du à l’homme. Mais une fois le principe adopté au niveau d’un état, comment traduire cela en diminution de la part des acteurs concernés, qui sont les entreprises et les particuliers ?
Plusieurs voies s’offrent en théorie à la puissance publique :
- on peut réglementer ou légiférer : chaque acteur, sous peine de sanctions, doit diminuer sa consommation de x%.
- on peut passer des accords négociés : chaque acteur, ou groupe d’acteurs , s’engage sur une réduction en contrepartie d’avantages donnés. Toutefois si des contraintes effectives sont prévues en cas de non respect des engagements, et vu que l’une des parties à l’accord est l’Etat, cela se ramène à un règlement.
- on peut taxer : chaque tonne équivalent carbone émise sera « imposée », de telle sorte que les entreprises auront intérêt, pour payer le moins cher possible, à diminuer leurs émissions le plus possible. Comme elles s’arrêtent dès que le coût de réduction est supérieur à celui de la taxe, en fixant le coût de la taxe on règle le « thermostat » (ou plutôt le « taxostat » !) sur le niveau de réduction souhaité.
Le système des permis d’émission est juste, en théorie, un moyen de « mettre de l’huile dans les rouages » pour permettre à un ensemble d’acteurs d’atteindre un objectif collectif que l’on a fixé par ailleurs (suite à une loi, ou à un accord négocié). Imaginons que l’on demande à toutes les entreprises de diminuer leurs émissions de 10% en 2 ans.
L’entreprise A n’a pas de problème pour cela. En fait, elle pourrait même aller assez facilement jusqu’à 20% de réduction : c’est un fabricant de biscuits et avait décidé de passer du pétrole au gaz pour chauffer ses fours de toute façon.
L’entreprise B va avoir beaucoup de mal à faire mieux que 5%, quels que soient les moyens financiers investis dans l’affaire : c’est un fabricant de verre, et il faudrait pour atteindre son objectif qu’il remplace totalement ses lignes de production, et même en commençant aujourd’hui cela nécessite au moins 3 ans.
L’idée du permis négociable est que l’entreprise A et l’entreprise B puissent « s’arranger entre elles » pour que le résultat de A+B soit effectivement une baisse de 10% de leurs émissions globales. Concrètement, A va « vendre » à B les économies que A peut faire facilement et B très difficilement. Les « permis d’émission » désignent précisément ces économies réalisées au-delà de l’objectif global et que l’on peut vendre à quelqu’un d’autre : on lui vend le « droit d’émettre », ou le « permis d’émettre », au-delà de ce qui devrait normalement être autorisé.
Dans la pratique, A et B ne se connaissent pas nécessairement, de même qu’un acheteur et un vendeur ne se connaissent pas nécessairement avant la vente. Il faut donc organiser un « marché » où les entreprises qui font facilement des économies puissent les vendre à celles qui en font difficilement. C’est ce « marché », avec une description de la manière dont les « économies » peuvent d’échanger, et dans quelles limites, qui s’appelle un système de permis d’émission.
On voit tout de suite que ce système est par nature globalement équilibré : un permis ne peut s’acheter qu’auprès d’une entreprise qui a dépassé ses objectifs et qui vend le « dépassement » à une entreprise qui peine. Ce système n’a pas pour but de permettre à tout le monde de dépasser ses objectifs, et c’est du reste mathématiquement impossible (tant que l’objectif global est atteint, bien sur) : dans un marché, il ne peut y avoir que des acheteurs ! Il n’y a donc rien de fondamentalement immoral dans ce système : c’est un simple moyen, qui peut s’avérer utile, de lisser les disparités. Mettre en place un système de permis ne signifie pas que l’effort collectif de réduction est limité.
On peut aussi organiser un marché entre pays : certains pays vont pouvoir aller au-delà de leurs engagements, d’autres n’y arriveront pas. L’idée est alors de transférer, dans des conditions qui restent à définir, les gains supplémentaires des uns aux autres. Rappelons que le système des permis ne peut se mettre en place qu’entre les pays dits de l’annexe 1 (c’est à dire essentiellement les pays industrialisés) et que ce système ne permet absolument pas aux pays riches d’acheter les éventuelles réductions d’émissions des pays pauvres pour éviter tout effort chez eux.
D’aucuns ont stigmatisé cette idée en parlant de « droits à polluer », qui seraient inacceptables. Il faut bien voir que le « droit à polluer » s’applique déjà partout dans notre vie quotidienne :
- la « redevance pour eaux usées » de nos factures d’eau n’est rien d’autre qu’un « droit à polluer »,
- acheter de l’essence n’est rien d’autre que de payer « un droit à polluer » (l’essence pollue !)
- la taxe pour l’enlèvement des ordures ménagères est un « droit à polluer »
- tout arrêté préfectoral autorisant une installation classée est de fait un droit à polluer dans la limite fixée par l’arrêté,
- plus généralement toute norme est un droit à polluer jusqu’à la norme, toute taxe un droit à polluer jusqu’à la taxe, etc.
Les principaux inconvénients des permis d’émission ne sont pas d’ordre moral mais sont des difficultés pratiques :
- il faut se mettre d’accord sur l’objectif collectif de réduction,
- il faut pouvoir sanctionner le non respect des engagements, donc définir des pénalités et leur montant, ainsi que les entités concernées,
- ces permis ne sont pas adaptés aux « petites » sources individuelles : les moyens à mettre en oeuvre pour mesurer, contrôler et gérer les émissions des chaudières de maison ou des véhicules particuliers seraient colossaux. Or si l’on ne prend pas en compte le transport et le chauffage c’est près de 50% des émissions de CO2 qui « passent à la trappe ».
- et surtout, il faut se mettre d’accord sur la manière dont on répartit les émissions : il faut définir les modalités de passage d’une réduction collective, donc d’une « autorisation » collective à des autorisations individuelles : donne-t-on à chacun au prorata de ses émissions de l’année précédente (ce qui avantage immédiatement les gros émetteurs inefficaces, qui pourront plus facilement réduire par la suite), ou au prorata de l’émission moyenne du secteur par unité de production (ce qui avantage immédiatement ceux qui sont plus performants que la moyenne, donc les plus faibles émetteurs) ?
- Enfin la question suivante reste en suspens : quand une société n’a pu atteindre ses objectifs pour une période donnée qu’en achetant des permis, sur quelle base lui fixe-t-on son objectif de la période suivante ? A partir du niveau qu’elle a réellement atteint, ou a partir du niveau qu’elle aurait du atteindre ?
Par rapport aux permis, la taxe (sur les produits conduisant à des émissions, comme l’essence par exemple, ou sur les émissions elles-mêmes) a l’avantage d’une facilité de gestion bien plus grande :
- elle évite la discussion sur la répartition initiale de l’effort, ou plus exactement elle fait de la négociation individuelle (pour payer moins) un cas particulier et non la règle,
- son coût est immédiatement proportionnel à la nuisance, et elle ne représente donc pas une prime aux mauvais élèves comme l’est un système de permis avec un niveau de référence qui est celui des émissions historiques (quand chacun doit faire l’année suivante -X% par rapport à l’année précédente, sans distinguer entre ceux qui ont déjà un niveau d’émissions très bas et ceux qui ont encore un niveau très élevé),
- les coûts de gestion sont beaucoup plus faibles, car la perception peut se faire de manière très concentrée (chez les pétroliers ou les fournisseurs d’électricité – pour les centrales à gaz et à charbon – par exemple),
- si la taxation se fait sur les précurseurs d’émissions (comme l’essence par exemple) il n’y a pas besoin de mesurer – ou de calculer – les émissions elles-mêmes chez les consommateurs pris un par un.
Par ailleurs, la taxe est perçue sur l’ensemble des émissions, alors que les permis n’ont pour assiette que les quotités échangées.
Mais la taxe – qui serait la chose à faire si nous sommes cohérents entre notre souhait de sauver la planète et ce que nous sommes prêts à supporter personnellement – suppose un contexte un peu harmonisé au niveau mondial, sinon le risque de « dumping fiscal » est grand : les gros émetteurs de gaz à effet de serre pourraient se délocaliser dans des pays peu ou pas taxés, et, comme le lieu d’émission est sans importance pour les gaz à effet de serre, le but recherché – qui est une diminution globale des émissions – pourrait ne pas être atteint.