Combien vaut le CO2 ? Eh bien… ça dépend ! En effet, s’il est un sujet qui se prête particulièrement bien à une réponse de Normand, c’est bien celui-là. Car de fait il n’existe pas un prix du CO2, mais autant de prix que de contextes dans lesquels un acteur donné doit payer quelque chose à quelqu’un d’autre pour avoir le droit de mettre du CO2 – ou un autre gaz à effet de serre – dans l’air.
Une première chose est absolument certaine : ce n’est pas l’atmosphère qui se fait payer quand on parle de « prix du CO2 ». Ce sont des hommes. Il n’y a de prix que quand il y a un échange entre des hommes : les prix ont été créés par nous et pour nous. Dans un contexte marchand, le « prix » d’un objet n’est que la somme des salaires et rentes accumulées pour sa création à partir de ressources naturelles dont personne n’a payé la formation (voir C’est Maintenant pour un développement de ce point de vue en un chapitre complet).
Alors, à quelles occasions des hommes peuvent-ils demander à d’autres hommes de payer pour mettre du CO2 – ou d’autres gaz à effet de serre – dans l’atmosphère ? En pratique, ça peut concerner l’un des trois cas de figure suivants :
- dans le cadre d’un système de limites imposées aux émetteurs (entreprises, administrations, associations ou particuliers) que l’on appelle généralement un système de quotas négociables, et qui en pratique est un système… de tickets de rationnement négociables. A ce moment il n’y a pas nécessairement de prix fixé d’avance, ce dernier se matérialisant à des moments bien précis de la vie du système (toutes les explications plus bas, on y arrive !),
- en donnant explicitement un prix aux émissions : il s’agit alors d’une taxe, payée par tous ceux qui émettent,
- en subissant une hausse du prix de ce qui permet d’émettre : nous parlons alors essentiellement de la hausse du prix de marché du pétrole, du gaz ou du charbon. En pareil cas, on ne paye pas spécifiquement pour avoir le droit d’émettre, mais c’est tout comme !
Dans chacun de ces trois cas de figure, ce ne sont pas – ou pas nécessairement – les mêmes qui vont payer, pas les mêmes qui vont encaisser, et enfin le prix ne sera pas fixé de la même manière ni par les mêmes acteurs. Ouf !
Le prix révélé : les quotas négociables
Le plus souvent, quant la presse parle de « prix du CO2 » elle fait référence à un système dans lequel le prix se « révèle » mais n’est pas fixé d’avance. Il s’agit du prix de la tonne de CO2 sur le marché des quotas. Mais qu’est-ce donc que ce marché des quotas, il se trouve où, et qui peut y vendre et y acheter, et pourquoi diantre voudrait-on acheter du CO2 pour commencer ?
En fait le point de départ de cette affaire est une contrainte réglementaire. Pour aider à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, des pays ou des groupes de pays (par exemple l’Union Européenne) décident de limiter, par voie réglementaire, les émissions qu’une entreprise, un site industriel, ou éventuellement un particulier peut occasionner. Ce système s’appelle un « système de quotas« , parce que les émissions autorisées s’appellent souvent des quotas (ou des permis négociables). On appelle parfois les entités à qui le pouvoir limite les émissions des « assujettis ». Au début de notre affaire il faut donc que la puissance publique définisse de nombreuses règles du jeu, à savoir :
- quelles catégories d’acteurs sont concernés (dans l’Union Européenne, le système en vigueur jusqu’en 2008 concernait les centrales électriques à charbon, à gaz et à fioul, les industries de base comme l’aciérie, la cimenterie, la chimie (pas en totalité) ou la verrerie, les réseaux de chaleur, et encore quelques installations fixes diverses, mais pas les émissions des chaudières individuelles, des avions ou des camions).
- quelles zones géographiques sont concernées : prend-on en compte juste les sites des industriels situés sur le sol du pays ou du groupe de pays qui met en place le système, ou bien prend-on aussi en compte ce qui se passe dans leurs sites « ailleurs », voire dans des sites qui ne leur appartiennent pas mais où ils réalisent des investissements ?
- quels gaz sont concernés, puisqu’il n’y a pas que le CO2 dans les gaz à effet de serre (dans l’Union Européenne, le système en vigueur jusqu’en 2008 concernait uniquement le CO2, mais pas les autres gaz),
- si les autorisations seront gratuites ou payantes (dans l’Union Européenne, le système en vigueur jusqu’en 2012 prévoit une attribution gratuite, mais à partir de 2013 ces autorisations seront payantes ; en pratique on achètera aux enchères une partie des quotas attribués),
- si quelqu’un qui ne fait pas partie des sites assujettis peut ou non acheter un quota (si non, cela interdit à des intermédiaires de spéculer pour leur propre compte, ou à des particuliers ou associations d’acheter des émissions qui ne leur servent à rien, simplement pour « retirer » des autorisations d’émettre du marché, privant ainsi la collectivité des sites assujettis de la possibilité de recourir à ces émissions),
- comment on traite ceux qui ne respectent pas les règles (par exemple émettent plus que leur autorisation, sans acheter les quotas manquants sur le marché),
- pour combien de temps on se met d’accord, (3 ans, 5, 8, 20…),
- etc etc.
Une fois les règles du jeu définies, il reste à mettre le système en route. Dans les systèmes actuellement en vigueur, cela passe par une vaste foire d’empoigne pour l’attribution des autorisations d’émissions, encore appelées allocations ou quotas, entre l’Etat qui a mis le système en place (en Europe, c’est la Commission désormais) et chaque acteur concerné. Les acteurs sont les propriétaires de sites assujettis (un site assujetti = une aciérie, une centrale à charbon ou à gaz, une usine de verre, une raffinerie, une cimenterie, une chaudière de chauffage urbain, etc). Pour le moment, cette allocation est gratuite.
Première étape d’un système de quotas.
L’Etat indique, site par site, quels sont les montants autorisés, et donne – gratuitement – les autorisations correspondantes.
Maintenant, les sites assujettis ont toutes les chances de ne pas émettre exactement le montant qu’on les a autorisé à mettre : certains vont émettre plus, d’autres moins :
Emissions réelles (en pointillés noir) et allocations (barres de couleur pleines).
Le site du milieu a émis moins qu’autorisé, les deux autres plus.
A ce stade, nous avons une situation où globalement les émissions effectives sont à peu près celles autorisées, mais site par site ce n’est pas le cas. Le système autorise alors ceux qui ont trop d’autorisations (trop de quotas) à les vendre à ceux qui n’en ont pas assez :
Echanges commerciaux prenant place pour « rétablir l’équilibre ».
Ceux qui ont émis plus que la limite achètent à ceux qui ont émis moins que la limite. Le « prix du quota » correspond au prix payé par ceux qui achètent à ceux qui vendent.
C’est à l’occasion de cet échange que se matérialise le « prix du CO2 ». Par construction même, ce prix a les caractéristiques suivantes :
- pour un acteur donne, il ne porte jamais sur la totalité des émissions, mais juste sur la différence entre autorisations et émissions réelles,
- il n’a aucune raison d’être constant dans le temps, et encore moins d’être prévisible. En effet, ce prix dépend des quantités à trouver par ceux qui ont émis plus que leurs quotas, et des quantités excédentaires pour les autres. Quand bien même les autorisations sont prévisibles, les émissions réelles ne le sont pas, et puisqu’il s’agit de la différence entre les deux…
- ce prix sur le marché ne rapporte pas de recettes à l’Etat : il s’agit d’une transaction entre acteurs privés, exactement comme l’achat d’une chaussure ou d’une courgette. Pour conserver le même parallèle, le rôle de l’état se borne à obliger les gens à fabriquer et porter des chaussures ou produire et manger des courgettes, mais il n’encaisse pas le produit de la vente.
- Il y a un prix par marché. Si les USA mettent en place un système de quotas, ils auront leur place de marché, et il est toujours possible que des industriels européens ne puissent pas aller y vendre leurs quotas excédentaires. A ce moment il y aura au moins 2 prix du CO2 simultanés, un sur chaque marché ! La notion de prix mondial du CO2 n’existe donc pas nécessairement avec ce système.
Variations du prix de la tonne de CO2 sur le marché européen.
- En rouge il s’agit du prix concernant les quotas attribués pour la période 2005-2007 (on s’est rendu compte au fur et à mesure que l’on allait vers la fin de la période que tout le monde avait trop de quotas, donc personne n’avait envie d’acheter et tout le monde voulait vendre, et les prix se sont effondrés)
- En bleu il s’agit du prix concernant les quotas attribués pour la période 2008-2012 (on pouvait acheter des quotas pour cette période avant 2008). On voit facilement que ce prix peut faire à peu près n’importe quoi entre 30 et 0 € la tonne….
Source : Mission Climat de la Caisse des dépôts
Il est bien sûr possible de perfectionner le système, c’est-à-dire… de le rendre plus contraignant. Un premier raffinement consiste à ne pas attribuer gratuitement les quotas en début de partie, mais à les mettre aux enchères pour que les sites aient à les acheter, ce qui les incite encore plus à émettre moins. L’Etat ou la Commission fixe donc des autorisations, comme avant, puis attribue une partie des quotas gratuitement, et met les autres aux enchères. En gros l’Etat (en Europe, la Commission) fixe une limite à chaque site concerné, leur attribue éventuellement une partie gratuitement, puis fait un pot commun avec le reste et dit « j’ai XXX centaines de millions de tonnes de CO2 à vendre, qui en veut ? ».
On peut aussi fixer un prix minimal aux enchères mais pas de limites en quantités (on est alors proche de la taxe dans l’esprit), fixer à la fois une limite sur les quantités achetables et un prix plancher, etc.
Les sites assujetti font alors des offres pour acheter les autorisations d’émettre qu’ils estiment nécessaires et qui ne leur ont pas été attribuées gratuitement. S’ils ne veulent pas acheter de quotas aux enchères, c’est très simple : ils n’ont le droit d’émettre que les quotas qu’ils ont déjà reçus gratuitement, ou alors… il devront acheter le complément, plus tard, sur le marché (à supposer qu’il y en ait). Il semble probable que les sites qui auront acheté des quotas aux enchères chercheront à les revendre au moins au même prix sur le marché, sauf catastrophe économique bien sûr.
La fraction attribué gratuitement peut être différente selon le secteur, l’époque, ou le pays. C’est le cas dans l’Union Européenne pour la période 2013-2020 : pour certains secteurs (par exemple l’électricité), certaines années (par exemple 2020) et certains pays (par exemple les pays occidentaux), il n’y aura plus d’attribution gratuite (100% aux enchères), et pour d’autres secteurs, pays et années ça sera au contraire une allocation gratuite en totalité ou presque, sans enchères.
Le fait de vendre une partie aux enchères ne modifie pas le niveau d’émission fixé : cela modifie d’abord là où va l’argent. En effet, s’il y a enchères, l’Etat encaisse un argent que les assujettis payent, et s’il n’y a pas d’enchères, c’est l’assujetti qui conserve l’argent en question. De ce fait, on est tenté de penser que plus les émissions autorisées sont basses, plus il est difficile de les mettre aux enchères, parce que l’industriel a besoin de plus en plus d’argent pour financer ses réductions d’émissions.
Dans un tel système, un site assujetti qui achète une partie de ses quotas aux enchères puis se fournit plus tard en complément sur le marché verra donc 3 prix pour le CO2 :
- un prix nul pour la partie attribuée gratuitement,
- un prix payé à l’Etat lors des enchères initiales,
- un prix payé à d’autres sites lors d’achats sur le marché.
Décomposition de ce qui est payé et à qui par un « assujetti » au système des quotas avec allocations gratuites pour partie, enchères initiales pour le reste, puis un peu d’achat sur le marché.
Le « prix moyen du CO2 » est alors la moyenne des 3 prix, pondérée par les émissions concernées.
En pratique, ça fait beaucoup d’argent à dépenser cette affaire ? Regardons ce que donne le système pour des industriels qui feraient un MWh d’électricité au charbon, ou brûleraient une tonne de pétrole, ou produiraient une tonne d’acier, avec les conditions suivantes :
- les quotas sont attribués gratuitement,
- les industriels en question ont reçu trop peu de quotas et doivent acheter 5% de leurs émissions sur le marché,
- le prix moyen d’achat est de 20 euros la tonne de CO2 (rappelons qu’un prix se constate, et ne se prévoit pas toujours facilement !),
- le « coût du CO2 » est réintégré dans le prix de vente.
Le graphique suivant donne les augmentations de prix correspondantes :
« Prix à payer » pour produire un MWh au charbon, brûler une tonne de pétrole ou produire une tonne d’acier avec les conditions ci-dessus.
Pour information :
- un MWh d’électricité coûte de 50 à 100 euros (voire 200 parfois)
- une tonne de pétrole (soit 7,5 barils environ) coûte 300 à 400 euros
- une tonne d’acier 200 à 400 euros.
On voit donc qu’avec des quotas attribués gratuitement et sans nécessité d’acheter une fraction importante sur le marché les hausses de coût sont bien trop faibles pour orienter les comportements (et par anticipation des industriels susciter des offres nouvelles), ce qui reste le but du jeu.
Regardons maintenant ce que donnerait le système si :
- 20% des quotas sont attribués gratuitement,
- les industriels doivent acheter 80% de leurs émissions aux enchères,
- le prix moyen d’achat aux enchères est de 50 euros la tonne de CO2.
« Prix à payer » pour produire un MWh au charbon, brûler une tonne de pétrole ou produire une tonne d’acier avec les conditions ci-dessus.
Le niveau de surcoût est alors suffisamment élevé pour inciter à « faire quelque chose », c’est-à-dire investir pour réduire les émissions.
Un système de quotas peut donc être contraignant, à condition :
- que les émissions autorisées soient significativement décroissantes au cours du temps,
- que la pénalité en cas de non respect soit dissuasive,
- et éventuellement que la perspective d’une mise aux enchères croissante agisse comme une taxe, en incitant les assujettis à réduire le plus possible à l’avance.
Ce système peut aussi contribuer à remplir un peu les caisses de l’Etat – et paradoxalement à diminuer le coût global de l’action – si les quotas sont vendus pour partie ou en totalité aux enchères, mais ce point n’est pas ce qui garantit le résultat : ce qui le garantit, c’est le niveau des autorisations accordées.
Par contre, dans les conditions actuelles, ce système a nécessairement les défauts suivants :
- pour la partie des quotas qui seront éventuellement achetés sur le marché, le prix n’est pas plus prévisible que celui d’une action en bourse (et en fait encore moins), ce qui rend très difficile la planification des investissements. En effet, pour convaincre son banquier de prêter pour investir (pour émettre moins), il faut savoir ce qu’il en coûte de continuer à émettre pareil (sinon le banquier préférera prêter pour continuer à émettre pareil, il sait compter les coquillages le bougre !). Avec le système actuel des quotas, on ne sait pas à l’avance combien coûte l’inaction, et donc combien on peut dépenser plus tard, et c’est bien là son défaut majeur. Ce défaut est certes corrigé pour partie avec des enchères et un prix minimum d’enchère connu très longtemps à l’avance, mais par contre il n’est pas corrigé avec des enchères si le prix minimum est inconnu à l’avance,
- Si les assujettis ne savent à l’avance quel est le coût de l’inaction, ils ne savent pas à l’avance jusqu’où ils peuvent financer des réductions d’émissions, et ils font alors ce qui est classique en pareil cas : raisonner sans investissements supplémentaires (puisque la rentabilité des investissements supplémentaires est incertaine), donc en s’engageant sur des baisses très modestes. On peut bien évidemment leur forcer la main, mais jusuq’à un certain point seulement : en démocratie, le pouvoir n’est jamais absolu.
Par contraste, la taxe a exactement les avantages et inconvénients opposés : on sait à l’avance combien cela coute d’émettre, mais on ne peut pas connaître autrement que de manière approximative le niveau des émissions. On y vient !
Le prix explicite : la taxe
A la différence des permis négociables, la taxe est un système dans lequel on ne met pas de limite sur les émissions, mais on dit à l’avance combien il en coûtera d’émettre. En pareil cas, tout particulier, toute entreprise, ou toute autre entité (association, administration, etc) qui émet des gaz à effet de serre paye quelque chose à due concurrence de ce qu’il émet.
Comme on ne mesure pas les émissions (il n’y a pas un capteur de CO2 sur chaque cheminée de chaudière au gaz ou au fioul !), ce n’est pas le CO2 stricto sensu que l’Etat va taxer, mais ce qui va en engendrer : le charbon, le gaz, les carburants. Pour chaque composé « fossile », il est en effet assez facile de savoir ce qu’il contient comme carbone (par exemple le gaz est constitué presque exclusivement de méthane, dont la molécule comporte un atome de carbone et 4 atomes d’hydrogène ; le carbone pèse donc 750 grammes – en fait un peu plus, il y a aussi des molécules plus carbonées en petite proportion – dans un kilo de méthane).
On va donc asseoir la taxe sur les combustibles, au prorata de leur contenu en carbone. Et pour ne pas se compliquer la vie, l’Etat perçoit la taxe le plus en amont possible, auprès des raffineurs, importateurs, et éventuellement distributeurs, charge à eux de répercuter cette taxe dans le prix final. A ce moment, le système est très simple : la taxe renchérit le prix de tous les combustibles en question, et donc le consommateur ne la paye que s’il en achète.
Ce système peut bien évidemment s’appliquer à tous les consommateurs de combustibles fossiles, gros ou petits, sans coûts de perception exorbitants, puisque cette dernière se fait très en amont, de manière « groupée ». Dans un tel système, tout l’argent va in fine à l’état. A la différence de ce qui se passe avec les échanges sur le marché des quotas, rien ne reste dans la poche d’un acteur privé.
Si tout le monde est assujetti à une telle taxe, cela renchérit bien évidemment les consommations directes d’énergie (c’est le but, pour les faire baisser ou progressivement les remplacer par autre chose), et par ricochet tout objet ou service qui a été produit avec des combustibles fossiles. Et alors, ça fait cher ? Nous donnons ci-dessous quelques exemples d’augmentation de prix pour une taxe qui s’appliquerait de manière uniforme à tout usage de l’énergie fossile, au prorata du contenu en carbone, et valant 200 euros par tonne de CO2 (nous supposons que si la consommation a lieu hors de France la taxe s’applique aussi).
Augmentations de prix « instantanées » résultant de la mise en oeuvre d’une taxe carbone à 200 euros la tonne de CO2.
Calculs Jancovici.
On voit donc qu’à ce niveau de taxe il commence à se passer des choses :
- le MWh au charbon double ou triple, et cela rend tout à fait compétitif la capture et séquestration (dont le coût est estimé inférieur à 100 euros a tonne de CO2),
- le prix de la tonne de pétrole double (une tonne de pétrole = 7,5 barils, donc avec un baril à 100 dollars – 70 euros – en ordre de grandeur le prix de la tonne de pétrole est environ de 500 euros), ce qui rend là aussi rentable des dispositifs permettent d’économiser de l’énergie (et va donc inciter des industriels à faire des recherches en ce sens), notamment dans le bâtiment et les transports,
- le prix d’une tonne d’acier triple ou quadruple, et là aussi ce niveau de prix incitera fortement à s’y prendre autrement pour la production (capture et séquestration, réduction du minerai à l’hydrogène, etc) et les quantités consommées,
- le prix d’un billet transatlantique (environ 12.000 km en avion – attention le graphique est pour 5000 km, et environ 500 euros aller-retour en seconde), prend un peu plus de 300 euros de supplément, ce qui exercera une pression à la baisse sur les flux aériens (c’est le but, il ne faut pas s’en cacher, mais encore une fois tout consommer aujourd’hui sans se soucier de demain garantit juste une fin très désagréable),
- 10.000 km en voiture coûtent 400 euros en plus, soit 80% de hausse sur le poste carburant… mais 15% de hausse seulement sur le budget automobile complet (qui comprend aussi l’achat, l’entretien, l’assurance, et autres bricoles, il ne faut pas l’oublier). Un tel niveau se compensera en levant le pied (15% d’économies !), en prenant un plus petit modèle, et avec des développements techniques des constructeurs (qui ne remplaceront pas demain matin les 30 millions de voiture à pétrole par des voitures électriques)
- 100 m² chauffés au gaz prennent 1600 euros de plus, hors mesure d’isolation. Il est évident que ce montant, très élevé, mais que l’on verrait venir 15 à 30 ans à l’avance avec une taxe, laisserait quand même le loisir de s’organiser, puisque l’on sait que l’on ne voudra pas payer des sommes pareilles sans réagir.
- sur 1000 euros de service, l’augmentation est de quelques dizaines d’euros. Dit autrement, cette taxe ne menace pas une très large partie de l’activité économique, et en fait plus le prix de l’énergie montera plus une partie de notre consommation actuelle sera remplacée par des services… et ça sera logique !
- notons que même sans inclure le méthane dans l’assiette de la taxe, le kg de bœuf sera plus cher : pour produire un kg de bœuf, il faut un kg d’hydrocarbures.
Avec les exemples ci-dessus, on voit qu’en l’état actuel de la technologie et de la consommation les élévations de prix liés à une taxe peuvent être significatives. Mais… à la différence d’un prix sur le marché, ou même d’un prix d’enchères, la taxe est prévisible, et même pilotable. Une taxe, cela ne prend personne par surprise, même si les taux bougent un peu d’une année sur l’autre : rien à voir avec les variations de prix d’un quota sur le marché, qu’il s’agisse du CO2 ou des hydrocarbures qui en permettent l’émission ! (voir plus bas).
Avec un tel système, plus la population comprend qu’il s’agit d’éviter de s’écharper plus tard, et plus elle accepte de mettre un prix élevé à l’énergie fossile pour son propre bien et celui de ses enfants, et plus on peut élever la taxe, et plus les agents économiques développent des produits « propres »…
Bref c’est précisément la visibilité future de la contrainte qui fait la vertu du système, ce qu’aucun système de marché (sauf encadrement très fort des prix) ne sait faire. C’est vrai pour les quotas, et, nous allons le voir maintenant, c’est aussi vrai pour les combustibles fossiles !
Le prix qui s’enfuit ailleurs : la hausse de prix sur le marché pétrolier
Il y a une autre manière de voir le « prix du CO2 » : comme ce fichu CO2 est causé par la combustion des combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz), on peut voir combien on a payé quand on a acheté assez de combustibles fossiles pour émettre une tonne de CO2. Les prix ci-dessous correspondent à des achats sur les marchés de gros, c’est à dire ce que nous payons à l’importation (la France importe 100% de son charbon, 97% de son gaz et 99% de son pétrole). Ce sont des prix à la date de rédaction de cette page, donc susceptibles de varier un brin !
Combustible | Quantité nécessaire pour émettre 1 tonne de CO2 | Prix approximatif à l'importation mi-2009 |
---|---|---|
Gaz | 4 310 kWh | 80 € |
Produits pétroliers | 340 litres | 100 € |
Charbon | 333 kg | 20 € |
Dit autrement, quand nous consommons du pétrole, nous acceptons déjà de payer une forme de « taxe carbone » de l’ordre de 100 euros la tonne de CO2 (il faut 2 barils pour faire 340 litres, à 70 dollars le baril cela fait donc 140 dollars pour émettre une tonne de CO2, soit environ 100 euros), mais… à l’Arabie Saoudite, la Norvège (qui ne fait pas partie de l’Union Européenne), la Libye, la Russie, l’Iran, l’Irak, et d’autres pays qui sont un peu moins soucieux du taux de chômage en France que vous et moi.
Moi je veux bien, mais honnêtement je préférerais de très loin payer un peu moins que ça à mon propre pays si c’est pour aider à passer la transition énergétique inéluctable…. qui permettra justement d’acheter moins de pétrole aux autres. Faut-il rappeler que gaz, pétrole et charbon ne seront pas éternels ? (air connu).
Découvertes et projections de pétrole (en milliards de barils, depuis 1930.
- En vert, découvertes de pétrole récupérable, en milliards de barils (puis pointillés pour les découvertes futures, qui ne vont pas repartir fortement à la hausse)
- En rouge, projection de production en version plutôt optimiste (les investissements sont là à temps, pas d’ouragans ni de guerre pour les détruire, etc).
On voit que le plafonnement de la production, c’est… presque maintenant !
Source : Yves Mathieu, Institut Français du Pétrole, janvier 2009
Qu’à cela ne tienne, il y a le gaz et le charbon ! Oui, mais, comme pour le pétrole, la production monte, mais elle descendra…. c’est mathématique ! (pour ceux que cela intéresse, voir la « démonstration » dans le 2è module de mon cours à Mines ParisTech).
Projections hautes de la production d’énergie, discriminée par énergie, d’ici à 2100, en milliards de tonnes équivalent pétrole par an.
On constate que même en se fichant du climat, la prolongation tendancielle est impossible pour beaucoup plus que 5 à 10 ans sur le pétrole, et pour plus de 50 ans toutes énergies confondues.
Source : Bernard Rogeaux, EDF
Et puis quand on regarde à qui appartient pétrole, gaz et charbon restants, la partie promet d’être intéressante….
Réserves prouvées charbon+gaz+pétrole, en milliards de tonnes équivalent pétrole, classées en partant des principaux détenteurs de réserves cumulées.
Et devinez qui arrive en premier ? En tous cas une chose est sûre : la France n’a rien, l’Europe pas grand chose.
Source : BP Statistical Review, 2009
En clair, en consommant des combustibles fossiles, nous payons une forme de taxe carbone aux pays exportateurs (qui se monte actuellement à la bagatelle de 45 milliards d’euros en importations de gaz et de pétrole), et si nous ne modérons pas notre consommation délibérément, elle augmentera… sans aucun bénéfice pour nous.
Une autre manière de voire le prix du CO2.
Comme les hydrocarbures sont compris dans tout ce que nous consommons aujourd’hui, une hausse du prix du pétrole (qui engendre par contrecoup une hausse du prix de toutes les autres énergies) équivaut à appliquer une taxe carbone à tout ce que nous consommons , mais ce sont les pays producteurs qui reçoivent l’argent, et non l’état des consommateurs.
En bref, quand il s’agit de payer l’Etat français, c’est-à-dire notre cagnotte commune, 30 euros la tonne de CO2 fait sauter tout le monde en l’air, mais quand il s’agit de remplir la poche des pays producteurs de pétrole, nous supportons des montants bien plus élevés sans trop rouspéter ! (graphique ci-dessous).
Prix moyen mensuel (en € de 2008) d’une quantité de pétrole brut dont la combustion émet 1 t de CO2.
Quand le pétrole est monté de 10 à 140 dollars (courants) le baril, nous avons payé une « taxe carbone » qui est passée de 25 à 200 euros (constants) la tonne de CO2…
Source : Richard Lavergne et Yves Martin, juillet 2009
Quelques éléments de conclusion, quand même ?
Que déduire de tout cela ?
- qu’il n’y a pas un prix du CO2 !
- que sans taxe nous n’aurons pas pour autant un prix stable et socialement sympa de l’énergie pendant très longtemps (sauf grippe aviaire zigouillant un consommateur sur deux bientôt), autant se faire à l’idée,
- que le niveau de progression de la taxe est uniquement fonction de l’acceptabilité sociale pour aller le plus vite possible vers une baisse choisie et organisée de la consommation d’hydrocarbures, sans chômage et avec moins de changement climatique plus tard, et surtout qu’il se pilote (le prix du pétrole sur le marché mondial, un peu moins),
- que nous sommes tellement dépendants des hydrocarbures à court terme, que si nous refusons de payer à nous-mêmes – l’Etat – une taxe tout de suite, on paiera plus aux autres – les exportateurs – plus tard, sans compter la facture climatique qui croît avec notre mauvaise volonté (que nos petits enfants considérerons comme criminelle).
On ne le dira jamais assez : in taxe we trust !