Preuve que l’avenir du système Terre chatouille de temps en temps quelques représentants de « la jeunesse », il m’arrive épisodiquement de recevoir un message qui, lu entre les lignes, donne à peu près ceci : « je suis étudiant(e) ou lycéen(ne), je voudrais travailler dans l’environnement, et je voudrais des conseils sur la marche à suivre pour y parvenir ». Une variante peut concerner des gens déjà en activité qui me posent à peu près la même question, à savoir « comment occuper un emploi dans lequel il est question d’environnement ».
Si vous êtes dans ce cas de figure, lisez attentivement ces quelques lignes. Elles vous expliqueront pourquoi, parfois, la réponse n’est pas à la hauteur de l’attente !
- je baigne quotidiennement dans les problèmes liés à l’usage de l’énergie et au changement climatique (deux facettes du même processus, en réalité). Mais je suis nettement moins « dans le vent » sur la gestion des déchets dangereux, la préservation des poissons, l’agriculture raisonnée, les pots catalytiques, les émanations de COV, la toxicité éventuelle du PVC, les procédés d’élimination du SO2 des centrales à charbon, le bruit, et j’en passe. Pour tout ce qui ne concerne pas plus ou moins directement mon domaine d’activité, je peux au mieux revendiquer un vague vernis, mais ma motivation à agir pour le bonheur de ma marmaille ne me confère pas immédiatement tout un bagage de connaissances approfondies dans tous les domaines concernés par l’environnement !
- De ce fait, je ne fréquente que très peu les personnes traitant des problèmes autres que l’énergie et le changement climatique. Je suis donc limité à ce sujet « par construction », qui recrute peu pour le moment, et quand il le fait c’est assez souvent par « conversion » de gens déjà en activité. Il ne représente donc pas un appel d’air significatif pour des jeunes diplômés entrant sur le marché du travail, ou du moins pas comme sujet dominant dans l’activité. Il y a une raison très simple à cela : qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une collectivité ou d’une administration, pour faire le constat comme pour suggérer des pistes pertinentes pour l’action il est préférable d’avoir un minimum de familiarité avec les processus de l’entité dans laquelle on se trouve, parce que rien de significatif ne peut être fait pour la réduction des émissions sans toucher à l’organisation générale.
- Mon pari est donc que le jour où il aura des flux d’embauche massifs pour gérer les questions qui me sont familières, cela commencera par… les sociétés de services recrutant préférentiellement des profils techniques (consultants en organisation, vendeurs de prestations informatiques, bureaux d’études techniques, et… vérificateurs divers des déclarations des entreprises). Du reste c’est exactement ce qui se préfigure aujourd’hui avec les flux d’embauche existants.
- Si je regarde aujourd’hui quelles études ont fait les personnes qui travaillent dans l’environnement, la majorité sont passées par des filières scientifiques ou techniques, et cela vaut qu’il s’agisse de gérer du bruit, des odeurs, des polluants chimiques, des émissions de CO2, etc. Les profils non scientifiques directement impliqués sont souvent supérieurement diplômés quand même : experts comptables, financiers, et autres fonctions « économiques » notamment (qui peuvent cependant dire de grosses bêtises quand ils n’ont jamais ouvert le dossier scientifique du problème qu’ils traitent !),
- Dans les fonctions non techniques (communication par exemple) les places sont très très chères. A titre d’exemple, les journalistes qui s’occupent de thématiques environnementales représentent une infime fraction des journalistes en activité, de même qu’au sein des agences de publicité il y a un(e) « sauveur de la planète » pour des milliers de vendeurs de voitures et de yaourts.
- Il n’y a pas de lien proportionnel immédiat entre la visibilité médiatique d’un sujet et le nombre de postes à pourvoir. Cela vaut pour les entreprises, mais aussi pour les associations : même pour celles qui occupent fréquemment le paysage médiatique, ce sont souvent de toutes petites structures, reposant largement sur le bénévolat, et qui recrutent très peu. En outre, une fois entré dans ce milieu il est difficile d’en sortir, car il y a peu de passerelles avec le monde de l’entreprise. L’engagement associatif qui fait bien sur un CV n’est pas celui qui rémunère, mais le plus souvent celui qui est effectué à titre bénévole en plus de son travail. On peut le regretter, mais c’est ainsi.
Avec tout cela, comment y retrouver ses petits ? Il faut se raccrocher au point commun à l’essentiel des personnes que je connais et qui occupent des fonctions ayant trait à l’environnement : ils et elles ont tâché de ne pas être trop fâchés avec les maths et la physique quand ils et elles étaient petit(e)s. Qu’il s’agisse des salariés des entreprises ou des collectivités locales des directions environnement ou assimilées, de mes interlocuteurs à l’ADEME, des universitaires ou chercheurs (par exemple ceux travaillant sur les divers aspects de l’évolution du climat), ou même des fonctionnaires investis sur les questions d’environnement, rares sont celles et ceux que je connais qui officient dans ce domaine sans avoir jamais vu une intégrale, la loi de Carnot ou quelques réactions chimiques. D’où ce conseil, qui n’est pas du tout une plaisanterie : pour sauver la planète, faites des sciences !
A bien y regarder, ce n’est pas un hasard si les profils scientifiques et techniques sont largement dominants pour ces sujets : l’environnement, c’est avant tout de la science, et non avant tout de beaux discours, et pour passer des intentions à l’action pertinente un petit détour par les chiffres est difficile à éviter :
- le changement climatique, c’est terriblement physique : il s’agit de regarder du rayonnement électromagnétique, des raies d’absorption, des orbites elliptiques et de la mécanique céleste, de la mécanique des fluides, un petit coup de Coriolis, quelques isotopes de l »oxygène, une pincée d’albédo là-dessus, et j’en passe…
- autre exemple, les relations entre l’environnement et les êtres vivants, c’est beaucoup de chimie, car… nous ne sommes que chimie ! Le désir ? Quelques neurotransmetteurs qui se promènent dans nos synapses. Les exploits d’un sauteur à la perche ? Les molécules composant ses fibres musculaires qui savent changer de conformation mieux que chez ses voisins. La digestion ? L’action de molécules acides sur ce que nous avons mangé. Les enzymes ? Des ciseaux moléculaires (bien plus précis que les vrais) qui coupent au bon endroit d’autres molécules. La vision ? des influx se promenant dans des milieux conducteurs : physique et chimie, encore !
- Le fonctionnement de la biosphère, ce sera encore et toujours de la physique, de la chimie, mais aussi de l’écologie (qui à la base n’est pas du tout un mouvement militant, mais la science qui étudie les conditions d’existence d’un être vivant et les rapports qui s’établissent entre cet être et son environnement), de la biologie, de la biogéochimie, et autres plaisanteries de ce genre,
- Plus généralement, quelle que soit la discipline retenue, l’approche scientifique est incontournable pour formuler le problème avant de disserter sur les solutions (encore que d’aucuns ne semblent pas gênés par des idées très fermes sur les solutions sans avoir autre chose qu’une vague idée du problème !). C’est cette approche qui permet de séparer les causes qui valent 1 des causes qui valent 1000, les conséquences qui sont à redouter avant ma mort de celles qui surviendront peut-être dans 5000 ans, etc. Ignorer la science avant d’aller de l’avant, c’est mettre toutes les chances de son côté pour faire des actions secondaires voire contre-productives, déplacer un problème sans le résoudre, et même si l’ambition du lycéen n’est pas de tout comprendre tout le temps et partout (sage décision), on peut raisonnablement affirmer que moins il est fâché avec les chiffres au lycée et plus il sera à l’aise dans les problèmes d’environnement ensuite.
Cela étant toutes les formations ne sont pas équivalentes pour parvenir à occuper un poste dans ce domaine, bien sûr. En outre, il est fréquent que l’environnement ne représente que le 2è ou 3è poste occupé après l’embauche, pour des raisons de connaissance de l’entité qui vous emploie exposées plus haut. Enfin il y a bien sûr des personnes qui travaillent sur des questions d’environnement sans être passées par des filières scientifiques. Rien que de très normal : si la science est omniprésente dans la définition des problèmes, elle est loin d’être suffisante dans l’énoncé des solutions, qui comportent toujours un volet technique, mais aussi un volet psychologique et un volet économico-social majeur.
Mais au risque de paraître affreusement pédant, je confesse que de démarrer par une filière scientifique démultiplie considérablement les possibilités professionnelles par la suite. En particulier, et cela en étonnera peut-être plus d’un, la voie royale pour faire de l’environnement « un jour » est l’école d’ingénieurs, même si tous les ingénieurs ne feront peut-être pas autant d’environnement qu’ils le souhaiteraient. On pourra m’objecter – à bon droit – que les métiers qui touchent à l’environnement sont aussi légion dans l’agriculture, le bâtiment, les transports, etc. On pourra m’objecter – à encore meilleur droit – que l’environnement ne doit pas être confisqué par les ingénieurs (et c’est vrai !). On pourra enfin m’objecter (et c’est toujours recevable) que bien des ingénieurs se ficheront de l’environnement comme d’une guigne (mais les temps vont changer, je veux bien prendre les paris).
Mais même ceux qui ne deviendront pas ingénieurs, chercheurs ou agronomes bénéficieront toute leur vie durant, et quoi qu’ils fassent, de l’habitude de manipuler les nombres et les ordres de grandeur prise au lycée. Vous voulez « sauver la planète » ? Piochez les sciences !