Grâce à la conjonction d’Internet et du caractère intrépide de certains représentants de l’espèce humaine, je reçois de temps à autre un mél de quelqu’un qui se rêve en Don Quichotte des temps modernes, le moulin à vent à combattre s’appelant l’apathie généralisée de notre société face au défi « énergie-climat ». Le message reçu contient alors invariablement cette question évidente, mon cher Watson : que puis-je faire pour que les choses bougent enfin, et que la société réalise sans attendre à quel défi nous devons faire face ? Comment faire prendre conscience aux élus de l’immense défi dont ils semblent complètement ignorants ? Comment faire en sorte que les médias en parlent plus, et surtout mieux ? Bref que faire pour que nous soyons plus proactifs face au problème.
Faut-il noyer les élus sous les lettres les appelant à réagir ? Montrer l’exemple ? Changer de boulot ? Militer pour un changement des programmes éducatifs ? Faire un film ? Partir vivre dans une cabane en rondins au Canada, puisque ces incapables de politiques ne se réveilleront jamais à temps ? A l’heure d’Internet, le plus facile est évidemment d’écrire à « quelqu’un » pour lui faire part de ses états d’âme, et lui faire plein de suggestions. Mais à qui, si on veut vraiment contribuer à changer les choses ? Excellente question, pour laquelle je vous propose ci-dessous quelques réflexions tirées de mes modestes expériences.
Faire la leçon aux politiques
La première chose à laquelle pensent généralement les gens qui m’écrivent est d’asticoter les politiques. Normal : ce sont eux qui sont considérés comme les décideurs in fine, donc autant s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints. Écrivons leur ! Ils liront l’argumentation, se diront « bon sang mais c’est bien sûr », et réorienteront séance tenante leurs prises de position et leurs décisions. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir ? Mais… la réalité n’est pas si simple :
Tout d’abord, dans bon nombre de cas, l’élu à qui vous écrivez… ne lira pas votre lettre ou mél, même si cela arrive à la bonne adresse. Certes, si vous écrivez à l’adjoint au maire dans une commune de 1000 personnes, pas de souci à avoir, c’est bien le destinataire qui se farcira votre prose. Mais son pouvoir pour réorienter la société française dans son ensemble restera un poil limitée !
Mais si vous écrivez au maire d’une grande ville, à un président de conseil régional ou général, à un ministre, à un député en vue, ou à un autre politique de ce calibre, et si bien sûr l’élu(e) en question n’est pas déjà votre cop(a)in(e) d’enfance, votre bafouille partira directement chez un préposé à la lecture des lettres et méls sur le sujet considéré, voire chez l’assistant(e) du conseiller du sous-chef qui est chargé(e) de faire des réponses type expliquant que vous êtes gentil d’avoir pris le temps d’écrire, et que M. Machin ou Mme Truc a bien pris note de vos suggestions et en fera le meilleur usage (j’ai une pleine collection de réponses de ce type, datant de l’époque où j’ai moi aussi fait l’erreur de penser qu’il fallait écrire aux locataires des ministères et aux présidents de partis).
Quand bien même votre interlocuteur – le conseiller ou le conseiller du conseiller, donc – lit, et comprend, ce que vous écrivez (ce deuxième point n’est jamais acquis sur des sujets qui demandent de longues années d’investigation pour commencer à avoir une vue un peu synthétique), si votre envoi n’est pas assorti d’une demande précise il n’aura aucune suite. Avec des demandes générales (genre arrêtez toute nouvelle route, il n’y aura plus de pétrole pour rouler dessus ; fermez toutes les écoles liées au trafic aérien ; les avions ne pourront plus voler ; arrêtez de délivrer des permis de construire qui font de l’étalement urbain, et du patrimoine qui ne vaudra plus un sou dans 40 ans, etc), vous travaillez au mieux pour dans 10 ans et pour l’information du conseiller du conseiller qui lira la lettre, mais je ne crois pas, sauf erreur de ma part, avoir jamais vu ce genre de démarche produire des résultats très probants.
Si vous voulez voir le résultat d’une action, il faut faire des demandes précises (par exemple « votez contre la baisse des taxes sur l’essence prévue dans la prochaine loi de finances », ou bien « arrêtez la consultation préalable pour construire un aéroport à tel endroit »). C’est à l’appui de ces demandes que vous pouvez mettre un blabla général sur l’évolution du monde, mais ce seul exposé (sur l’évolution du monde) n’a quasiment pas d’effet sur les décisions prises.
Cette situation est normale : s’il vous a fallu des semaines, des mois ou des années pour vous forger une conviction sur l’énergie, comment voulez vous qu’un élu s’en forge une après la seule lecture de votre papier, qui devra être d’autant plus court que vous souhaitez être lu haut dans la hiérarchie, et alors qu’il doit décider sur plein de choses et pas juste sur le sujet sur lequel on lui écrit ? (ce qui réduit évidemment son temps d’acquisition de l’information sur chaque sujet pris isolément).
En outre, comme vous peut-être, un(e) élu fait partie d’un système : il a des collaborateurs (qu’il ne va pas tous virer parce qu’ils correspondent soudain à la mauvaise manière de voir le monde), des électeurs qui attendent des bonnes nouvelles (et si votre suggestion comporte une part de potion amère, la probabilité pour que votre point de vue pèse baisse très fortement), des sources de rentrées fiscales (et si votre suggestion les fait baisser, la probabilité pour que votre point de vue pèse baisse aussi très fortement), une préoccupation sur l’emploi (en première approximation, tout ce qui crée des emplois à court terme est prioritaire, même si cela détruit l’environnement, donc la base de l’emploi futur), bref il a des contraintes, et il faut évidemment y songer avant d’écrire.
De mon expérience, la seule chose qui peut réorienter rapidement le comportement d’un élu, ce sont les sondages, les médias (par réaction, si un politique se fait « clouer au pilori », ou par anticipation, pour être encensé), et la peur d’une procédure judiciaire. De mon expérience toujours, la compréhension soudaine de la situation et l’envie de l’expliquer avec pédagogie aux électeurs en font rarement partie, et le grand paradoxe est que la probabilité que cela arrive est d’autant plus forte que l’on a affaire à un autocrate qui ne craint rien ni personne. Tout politique qui aime avant tout le consensus n’osera jamais prendre des positions radicalement différentes de ce qu’il a pu dire avant, car pour cela il faut ne pas avoir peur de braquer, y compris dans son propre camp… et donc ne pas être obsédé par le consensus.
En fait, le principal bénéfice d’écrire à un politique est surtout de vous aider à mettre vos propres idées en ordre. Mais n’en attendez pas grand chose de plus si c’est une vision générale que vous souhaitez faire partager. D’expérience, encore une fois, ce n’est pas par la raison que vous arrivez à convaincre les politiques, c’est par des rapports de force, si vous êtes capable de mobiliser un grand nombre de gens qui pourraient voter contre lui, ou lui causer du tort. Si vous n’avez pas les moyens de provoquer ce rapport de forces, écrire aux politiques fait du bien à ses nerfs, mais n’a aucun effet discernable sur le politique en question.
Les quelques moments où les politiques sont accessibles à la novation, c’est quand une ambition personnelle peut être servie par la novation en question, et par exemple :
- quand une position inédite peut faire émerger une figure à l’occasion d’un événement déjà programmé (congrès de parti, conférence gouvernementale, etc), bref quand les projecteurs des médias sont braqués de manière certaine sur celui qui sortira du lot,
- quand le politique est dans l’opposition et qu’il se dit qu’il faut qu’il change de discours pour retrouver le pouvoir,
- quand il se casse la figure dans les sondages…
Il y a donc de la place pour une idée neuve dans l’entourage d’un politique quand elle est susceptible de servir son ambition personnelle, sinon c’est très difficile.
Un petit bémol : ce qui figure ci-dessus est moins vrai pour les députés européens. Comme l’électeur français ne tient pas compte des positions qui ont été défendues par un député européen sortant pour voter à nouveau pour lui ou pas, l’élu au Parlement européen est plus libre de faire fonctionner sa cervelle car personne n’ira le lui reprocher. Comme par ailleurs l’Europe décide d’énormément de choses en matière d’environnement et d’énergie, si vous tenez absolument à écrire à un élu, écrivez à un parlementaire européen pour commencer.
Faire la leçon aux associations
Vous l’aurez remarqué : certaines associations ont de l’audience auprès du monde politique. Leurs représentants sont des interlocuteurs reconnus des élus, quand il y a un grand raout environnemental ils sont conviés autour de la table, leurs positions sont relayées dans les médias, etc. Du coup, un individu normalement constitué aura envie de se dire qu’il est aussi possible de leur écrire, soit pour leur suggérer un point de vue, soit pour s’opposer à un point de vue que l’association concernée défend déjà, et que si l’argumentation est reçue alors l’association se mettra à défendre cette dernière, ce qui démultipliera fortement l’impact global.
A nouveau, le succès de la démarche va dépendre de l’objectif visé. Commençons par celui qui est d’entrée de jeu peu probable : faire changer l’association de point de vue sur un de ses combats hisotoriques. De même qu’une entreprise a des clients, qui sont prioritaires sur tout, une association a des membres ou des sympathisants, et c’est le nombre de ses derniers qui sous-tend l’importance accordée aux prises de position de l’association en question, et souvent ses finances. Toute nouvelle prise de position des dirigeants qui peut diminuer le nombre de membres ou sympathisants n’a, sauf rarissime exception, aucune chance de voir le jour.
Or, par nature même, une association s’est constituée en réunissant des gens qui sont d’accord sur une position donnée. Comme le financement d’une association dépend directement ou indirectement de son nombre de membres, une association y regardera toujours à deux fois avant de changer de positionnement sur un sujet « coeur de cible ». De ce fait, il est inutile de penser que l’on peut, par la seule force de quelques méls au raisonnement imparable, obtenir rapidement :
- qu’une association d’économistes ultra-libéraux défende des positions en faveur de plus de réglementation dans un dossier particulier,
- qu’une association contre la chasse à la baleine dise que finalement ce n’est pas très grave qu’une espèce disparaisse,
- qu’une association de défense d’un secteur économique propose d’elle-même une réglementation qui coûte au secteur mais qui sert le bien commun,
- qu’une association de consommateurs défende la hausse de prix de quoi que ce soit (et surtout pas de l’essence !),
- qu’une association pour l’amitié franco-américaine vous dise que les Etats Unis ne fera plus rien pour l’harmonie des relations internationales,
- qu’une association constituée pour défendre les énergies renouvelables vous dise que les gaz de schiste c’est mieux,
- ou qu’une association constituée pour lutter contre le nucléaire civil vous dise que finalement ce n’est pas si mal que ca à l’heure du changement climatique !
Vous aurez compris : par construction même, une association ne pourra jamais reprendre un raisonnement défendable « vu de l’extérieur » mais qui conclut à quelque chose de très différent de son point de vue historique. Donc si vous écrivez à l’association des pétroliers pour leur dire que ce n’est pas bien de chercher plus de pétrole parce que ca dégrade le climat, à Greenpeace pour leur dire que le nucléaire civil n’est pas si mal que cela, ou au MEDEF qu’il faut accepter la limitation des bénéfices nets, la probabilité pour que cela change leur comportement est proche de zéro.
Faire la leçon aux associations… en y adhérant
Vous pouvez bien évidemment aussi adhérer à une association. Ou bien vous êtes d’accord avec tout (ou les points avec lesquels vous n’êtes pas d’accord sont des détails), et à ce moment la question devient de savoir comment exister auprès des journalistes pour faire valoir le point de vue (voir plus bas), ou bien vous souhaitez faire bouger les choses de l’intérieur parce que vous n’êtes pas d’accord avec tout, et vous avez adhéré pour que ca change. Dans ce deuxième cas de figure, il n’est pas sûr que ça soit si facile !
A cause de ce qui a été évoqué plus haut, la tête d’une association peut éventuellement changer… mais seulement si la base le souhaite (et encore, il y a souvent un décalage temporel entre les deux). Donc la première étape est d’arriver d’abord à convaincre une majorité d’adhérents que la position défendue n’est pas la bonne, et ensuite seulement la tête embrayera un jour ou l’autre. De ce fait, si vous adhérez à une association avec l’idée d’en convaincre le chef qu’il faut changer de point de vue, le préalable est de commencer par convaincre une majorité d’autres membres. Et si votre point de vue est vraiment très différent de la position « historique », la meilleure méthode est de discuter avec les membres pris un par un : ca peut prendre un certain temps !
Si c’est le dirigeant en direct que vous arrivez à convaincre que le point de vue de son association est erroné, le résultat le plus vraisemblable sera… une démission. En effet, rester à la tête d’un organisme qui défend A, alors que l’on est devenu fermement convaincu qu’il faut faire B, sans pouvoir le mettre en oeuvre puisque tous les membres sont venus pour défendre A, est une situation pour le moins inconfortable. Donc si le but était de faire changer l’association d’avis, et non de dirigeant, c’est raté !
Faire la leçon au monde économique
Après, la troisième cible à laquelle il arrive à mes interlocuteurs de penser (mais très loin derrière les politiques) est le monde économique. Mais là, il s’agit moins d’écrire pour vitupérer contre les personnes en place que de faire l’une des deux choses suivantes :
- Essayer de convaincre son patron de prendre une initiative qui va dans le bon sens,
- ou… changer de métier !
Sur la deuxième idée, je me garderai bien de conseiller quoi que ce soit à qui que ce soit. Disons que si vous avez la possibilité de faire quelque chose de plus en accord avec vos convictions, dont vous êtes sincèrement persuadé que cela aide à aller dans la bonne direction, et qu’il n’est pas évident que l’emploi convoité sera parmi les premiers à disparaître si l’économie commence à tanguer pour de bon, il ne faut surtout pas s’en priver. Si cela ne sauve pas le monde, au moins cela ne devrait pas aggraver sa situation !
Sur la première suggestion, il ne s’agit au fond que d’un cas particulier des relations habituelles patron-employé. La réponse est donc tout aussi habituelle : un patron – j’en suis un à mon modeste niveau – apprécie généralement les suggestions constructives, c’est-à-dire non limitées à « vous ne devriez pas faire cela ». Plus on complète « vous ne devriez pas faire cela » par « voici quelques suggestions pour faire autrement, et elles ne conduisent pas à faire faillite demain matin mais au contraire on y trouverait tel ou tel avantage économique » (rappelons que faire du bénéfice est une obligation légale pour une société commerciale), et plus la probabilité d’être écouté d’une oreille bienveillante augmente.
Faire la leçon aux hauts fonctionnaires
Il n’y a pas que les « politiques » qui participent à la décision publique : une autre population influente est celle des hauts fonctionnaires. On peut mettre dans cette catégorie tous les patrons des services centraux des ministères et leurs collaborateurs directs, les préfets et leurs collaborateurs directs, les directeurs d’administration déconcentrée et leurs fonctionnaires directs, les patrons des services des grosses collectivités locales (régions, départements, grosses villes, etc), les responsables des services de la Commission européenne, les membres des corps d’inspection divers, etc.
Si nous revenons aux choses simples (ce qui est souvent utile !), une première caractéristique, essentielle, du fonctionnaire est qu’il ne craint pas de perdre son poste à la prochaine élection, sauf rarissime exception (les exceptions sont les conseillers techniques de cabinet, qui eux sot sûrs de perdre leur poste quand le ministre change !). Du coup, autant motiver un politique, même de bonne volonté, sur ce qui peut se passer dans 10 ans sans qu’il en tire de bénéfices à court terme, est proche de la mission impossible, autant un fonctionnaire peut réfléchir à cette échéance. Or dans le domaine de l’énergie (et donc des émissions de gaz à effet de serre), le pas de temps pertinent pour commencer à voire les choses bouger significativement est plus proche de la génération que de l’année. Il est donc globalement plus facile de se faire comprendre d’un fonctionnaire que d’un politique quand on argumente sur des modifications à large échelle.
Par ailleurs, une large partie des hauts fonctionnaires – notamment dans les corps qui s’occupent d’industrie, d’aménagement du territoire, d’agriculture, d’environnement, d’infrastructures, de transports, bref de petites choses qui comptent quand on parle d’énergie et de climat – sont issus de formations techniques. Or le but d’une formation technique est généralement de permettre de comprendre plus vite… des informations techniques. Donc autant le politique a du mal à comprendre les raisonnements quantitatifs et rationnels, autant le haut fonctionnaire est généralement plus à l’aise sur cette partie précise. Si vous lui écrivez quelque chose de bien argumenté, en général il comprendra à peu près ce que vous voulez dire. Maintenant, la bonne question est de savoir ce qu’il peut en faire.
Si nous prenons le haut fonctionnaire ministériel, il est dans un rapport avec le politique qui est à la fois clair sur le papier et ambigu dans les faits. Sur le papier, il est aux ordres du politique. Si le politique lui demande de faire une connerie, il doit donc s’exécuter. Il convient du reste de ne jamais l’oublier quand on leur tombe dessus : ils ont aussi des patrons !
Mais, comme tout employé, il a aussi un pouvoir d’initiative. Le premier est tout simplement de faire traîner les choses quand il considère qu’on lui demande de faire une bêtise. Nous avons tous fait cela, de prendre notre temps quand on nous demande une chose qui heurte nos envies ou nos convictions, non ? Certes, traîner les pieds est très différent de faire ce qu’il faut, mais parfois c’est suffisant pour patienter le temps que le patron politique change (élection, remaniement ministériel, démission pour non cumul de mandats, etc) ou… que le contexte change (crise économique, chute dans les sondages, etc) qui remise au placard l’envie de faire une partie de ce qui vous aurait hérissé le poil. Par les temps qui courent, et surtout qui vont courir, le simple fait de se retrouver avec moins d’argent que prévu va souvent rebattre les cartes sans même changer l’équipe en place.
Le second pouvoir du haut fonctionnaire est de rédiger les projets de loi et de décret. Rappelons qu’en France (ce n’est pas vrai dans tous les pays) ce sont les hauts fonctionnaires des ministères qui font à la fois les projets de loi et les décrets d’application. Certes ces textes sont revus par le staff politique (le cabinet du ministre), mais le simple fait d’avoir la charge de la première rédaction peut parfois permettre de changer le cours des choses.
Les décrets, en particulier, qui sont des textes d’application immédiate dès leur parution au journal officiel, permettent de donner à la loi une portée plus ou moins étendue, voire d’en retirer une large partie de la substance (en mettant des seuils très hauts, en faisant une interprétation très restrictive des obligations, en ne mettant aucune sanction en cas de non-respect des obligations, etc), et il arrive fréquemment que le politique fasse voter la loi qui sera finalement de peu d’effet ensuite à cause de – ou grâce à ! – l’absence de décret qui soit en cohérence. Il arrive même que les décrets ne soient jamais rédigés ! (c’est un cas plus fréquent qu’on ne le pense).
Bien sur, le fonctionnaire ne décide pas seul de ces deux points (le texte des lois et des décrets). Mais quand il reçoit une argumentation bien fichue de l’extérieur, lui expliquant qu’il ne devrait pas faire ce qu’il s’apprête à faire, ou mieux qu’il pourrait plutôt faire autre chose, il a plus de mal à ne pas en tenir compte que le politique (qui lui y arrive très bien !).
Et puis il y a une foultitude de sujets opérationnels pour lesquels il n’y a que des fonctionnaires dans la boucle (y compris si l’aval de l’élu est de pure forme). A ce moment c’est bien lui qui doit « savoir » quelque chose qui importe pour la décision à prendre…
Pour écrire à un fonctionnaire ministériel, c’est très simple : leurs méls sont généralement de la forme prenom.nom@ministere.gouv.fr. Ainsi, le mél de Jean Dugenou, travaillant au ministère de l’agriculture, est jean.dugenou@agriculture.gouv.fr (pour Jean-Marie de Trucmuche c’est en général jean-marie.de-trucmuche@agriculture.gouv.fr). Pour certains ministères, le nom de domaine est précédé des initiales de la direction concernée, et c’est notamment le cas à l’économie et aux finances. Si Jean Dugenou travaille à la direction du trésor du ministère de l’économie et des finances, son mél sera jean.dugenou@dgtresor.finances.gouv.fr. Avec un peu de temps, un bon moteur de recherche, et en procédant par analogies, vous arriverez donc à retrouver assez facilement le mél d’un fonctionnaire travaillant dans n’importe quelle direction de l’état.
Quand vous écrivez à ces gens là, rappelez vous (même si ce n’est pas toujours facile) qu’ils sont comme vous : ils ont un patron et parfois plusieurs, et ils n’ont pas toujours la vie facile ! Ils sont parfois sincèrement persuadés que ce qu’ils envisagent est très utile alors que vous pensez que c’est idiot, mais nous avons tous tendance à faire cela quand on nous demande de faire quelque chose d’idiot…. Mais en général ils ont aussi une cervelle, donc si vous faites l’effort d’un raisonnement construit montrant en quoi l’action envisagée est néfaste pour la collectivité, et en ne vous limitant pas à parler des avantages mais en évoquant aussi les inconvénients de ce que vous pouvez proposer en échange (ce qui montre que vous avez bien regardé la chose et que vous n’ignorez pas les difficultés de mise en oeuvre), ils apprécieront.
Faire la leçon aux journalistes
Quand la « grande » presse, celle qui édite les journaux ou magazines lus par des millions de personnes, ou qui produit les émissions d’information écoutées ou regardées par des millions de personnes, évoque une catégorie qui a de l’influence sur l’évolution de la société, elle mentionnera éventuellement la police, les juges, les politiques, les médecins, les automobilistes, les parents d’élève, les industriels, les américains, les chinois, les fumeurs (ou les non-fumeurs, c’est selon), les fonctionnaires, les publicitaires ou les chasseurs, mais la seule profession qu’elle oubliera généralement de mentionner dans l’inventaire est… celle des journalistes. Et ceci a une conséquence directe : rares sont mes interlocuteurs qui pensent spontanément à la presse quand il est question d’écrire à quelqu’un qui exerce le pouvoir.
Or le journaliste ou son rédacteur en chef qui décide, in fine, que des millions de français entendront parler de ceci et pas de cela, verront l’interview de truc et pas de machin, que tel argument sera repris et pas tel autre, que la conclusion sera celle-ci et pas une autre, dispose, en pratique, d’un pouvoir absolument considérable : celui de trier à votre place l’information qui vous sera servie, car l’essentiel du temps vous n’irez pas de vous-même à la pêche aux informations auprès des sources primaires.
En conséquence de quoi, sur l’essentiel des sujets de société (la tabagie, les transports en commun, le prix de l’essence, l’état de l’économie française, etc), l’immense majorité des électeurs ne saura jamais rien de plus que ce qui figure dans le journal (ou vu à la télé, ou entendu à la radio, c’est pareil). Même quand on croit piocher ailleurs (un livre, une conférence, ou… une conversation de bistrot !), il s’avère assez souvent que si l’on remonte un peu la chaine de l’information, on finit par trouver… le journal. Ce dernier a beau être la fin d’un téléphone arabe pour lequel vous ne connaissez ni le nombre d’intermédiaires, ni la fiabilité de chacun d’eux, c’est quand même de là que provient l’information sur laquelle tout un chacun se base pour prendre en compte l’essentiel des sujets de société.
Vous croyez que les politiques consultent de volumineux rapports avant de décider de plans donnés ? Leurs conseillers peut-être, mais eux non : ils n’ont tout simplement pas le temps. La presse joue donc un rôle central dans l’information des électeurs, mais aussi… des élus. En démocratie, les journalistes ont un effet de levier majeur sur la décision (ou l’absence de décision) politique. En disant cela je n’invente rien de neuf : De Tocqueville l’avait déjà pressenti en 1840 !
Evidemment, ce qui suit ne va pas concerner les journalistes qui restituent correctement les faits, et heureusement il en existe. Mais il arrive hélas trop souvent que la presse contribue à ce que le « débat public » se mette à traiter un problème imaginaire, ou très mal situé dans la hiérarchie des choses qui comptent vraiment. En pareil cas, il n’est pas exagéré de dire que cela peut conduire une société à sa propre ruine, ou du moins à des gros gros ennuis qu’elle aurait pu éviter. Quelques exemples ?
Une majorité de journalistes peut par exemple répéter à l’envi que le monde est bien assez vaste pour accueillir encore des décennies de croissance (c’est discutable, précisément pour des raisons physiques), et, si nous les écoutons, nous subirons des chocs bien plus violents que si nous acceptons dès maintenant que le monde est bien fini et que nous nous organisons en conséquence.
De même, il arrive très souvent à la presse de dire que nous avons 40 ans de pétrole (c’est faux au sens où nous croyons être tranquilles pour la même durée), et là aussi « ne rien faire » en prenant cette affirmation pour argent comptant amènera un affaiblissement rapide de la société qui serait évitable en prenant le taureau par les cornes.
Et, bien sûr, dans le domaine énergétique cette déformation dans la restitution de la réalité physique s’applique fréquemment au nucléaire, où il est rarissime que la presse fasse écho aux conclusions des médecins, qui est… que le nucléaire est la meilleure des formes de production d’électricité dans celles qui sont disponibles si nous ramenons les impacts sur l’environnement ou les hommes au kWh produit.
Enfin, quel que soit le sujet, quand un média consacre 2 pages (ou une heure) à raconter des choses fausses, et qu’il s’avère que c’est faux, jamais le même journal ne consacrera à nouveau 2 pages (ou une heure) à expliquer qu’il s’est trompé, et que voici ce qu’il en est vraiment. Le grand public reste donc avec la bêtise, jamais démentie, et vote (ou répond aux sondages) en conséquence.
Ce long préambule débouche sur une conclusion : dans tous les gens à qui ont peut écrire pour « faire quelque chose pour faire avancer le schmilblick », c’est à mon sens les journalistes qui sont prioritaires. Et là, il y a deux possibilités :
- Vous pouvez avoir envie d’écrire à un(e) journaliste qui vous semble avoir basé son raisonnement sur des faits inexacts, inventés, confondant les ordres de grandeur, ou mal compris,
- Mais vous pouvez aussi souhaiter écrire à un(e) journaliste qui sait justement hiérarchiser, ne pas se confondre les militants et les labos de recherche, etc, pour lui proposer des faits ou des rapprochements de faits qui vont lui permettre de gagner du temps dans sa prise de hauteur de vue. N’oubliez pas que même au sein d’une rédaction il n’y a pas d’homogénéité, et donner des billes à ceux qui vous semblent se donner la peine de décrire le monde tel qu’il est avant de le décrire tel qu’il devrait être est utile pour les arbitrages internes.
Dans le premier cas de figure, il est clair que la barrière à franchir est plus élevée (personne n’aime se faire faire la leçon), mais à force de proposer un argumentaire construit pour expliquer que la vision du monde de votre interlocuteur ne correspond pas à l’observation des faits, et pourquoi, ou à force de suggérer une mise en perspective à laquelle il n’avait pas pensé, cela peut finir par avoir un effet réel sur sa manière de comprendre le sujet, et à ce moment vous aurez directement changé l’information disponible (pour le meilleur il faut espérer !) pour des centaines de milliers ou des millions d’électeurs.
En pareil cas, le bon angle d’attaque n’est pas de reprocher des positions « sentimentales », mais de faire remarquer en quoi telle ou telle affirmation ne correspond pas aux données observables, lesquelles et obtenues comment. Comme souvent la conclusion de l’article ou du document audiovisuel concerné dépend du fait énoncé au début, cela remet de fait en question la conclusion qui en découle sans que vous ayez besoin de vous aventurer sur le terrain glissant des intentions.
Qui sont les bonnes cibles pour cela ? Rarement les journalistes de Closer et de Be, mais plutôt :
- Les journalistes environnement des grands médias,
- Les journalistes société, économie, et plus rarement vie quotidienne, international, ou vie locale des grands médias.
- Éventuellement les rédacteurs en chef, directeurs de la rédaction, patrons d’unités de programme, et plus généralement des gens qui arbitrent l’espace accordé à chaque sujet ou la cohérence d’ensemble.
Je ne vous recommande pas de commencer par les journalistes politiques : à force de côtoyer les politiques en vue, ils leur ressemblent trop (du reste ils se font souvent la bise, voire sont mariés ensemble !). D’expérience, les journalistes politiques sont presque aussi peu sensibles aux argumentaires rationnels que les politiques eux-mêmes, et ce sont aussi ceux qui estiment avoir le moins à apprendre, puisque ce sont les « plus importants » des journalistes (ce qui se discute). Après, comme partout, il y a bien sûr quelques exceptions…
A quel moment écrire à un journaliste ? L’idéal est de partir d’un article récent, pour lui envoyer un commentaire apportant des réponses détaillées à ce que vous estimez être inexact ou mal mis en perspective. Encore une fois, plus votre critique se rapproche de la non prise en compte de faits scientifiquement documentés, et plus elle est solide et écoutée. Et si vous savez vous y prendre, au bout de quelques envois il est parfaitement possible que le dialogue s’engage (cela m’est arrivé plus d’une fois).
Comment trouver le mél d’un journaliste ? Plusieurs possibilités :
- Vous avez déjà celui d’un autre journaliste du même médias, et en général ils sont tous faits pareil,
- L’encadré qui mentionne les dirigeants du journal (il y en a toujours un) donne ceux des chefs, et après il suffit d’utiliser la même syntaxe pour les méls des journalistes qui rédigent les articles,
- Vous faites une recherche sur un moteur de recherche connu, pour voir si leur mél ne traîne nulle part sur un descriptif de colloque,
- Et sinon voici quelques recettes utiles :
- Dans les médias de service public (France Television, Radio France, etc), les méls sont toujours du type prenom.nom@nom-de-domaine ; pour France Télévisions le nom de domaine est francetv.fr, pour Radio France radiofrance.com, pour France 24 france24.com, et sinon le nom de domaine correspond en général au site internet du média,
- Pour les médias privés, le nom de domaine est aussi celui du site internet (tf1.fr, bfmtv.fr, lemonde.fr, lefigaro.fr, etc). Par contre pour la syntaxe du mél il y a plusieurs possibilités, qui sont le plus souvent l’une des 4 suivantes : prenom.nom@nom-de-domaine, première-lettre-du-prenom.nom@nom-de-domaine, nom-de-famille-tout-seul@nom-de-domaine, première-lettre-du-prénom-et-nom-collés-ensemble@nom-de-domaine. Pour les prénoms composés et les particules, soit on colle tout, soit on met des tirets, il faut tout essayer !
Essayez tout ! Et si vous avez un message d’erreur, c’est que ce n’était pas la bonne syntaxe, et il faut recommencer. Par contre, si vous n’avez ni message d’erreur ni réponse, c’est que le mél est bien arrivé… mais n’a pas été lu, ou que votre interlocuteur n’a pas souhaité y répondre, soit par manque de temps (mais il a bien assimilé ce que vous lui avez dit), soit par manque d’arguments. Mais comme, si il ne répond pas, vous ne savez justement pas pourquoi il ne répond pas, gardez vous d’en déduire que c’est nécessairement pour ceci ou cela !
Vous pouvez bien sûr mutualiser les envois (ca s’appelle un communiqué de presse) mais le plus efficace est de très loin d’écrire à une personne bien identifiée pour réagir sur un article ou un passage audiovisuel bien identifié. Dernier point : les journalistes reçoivent très peu de méls en direct fournissant un avis critique argumenté sur une de leurs productions. Le gros des commentaires reçus porte sur le fait d’avoir utilisé le mauvais terme pour qualifier les habitants de Bourg en Bresse, ou alors consiste en une insulte ou des félicitations sommaires. Donc si vous leur écrivez des choses argumentées, vous ne serez pas en concurrence avec 267 personnes qui auront fait pareil !
Faire la leçon au « grand public »
Rappelez vous : dans notre pays tout le monde vote, quel que soit son niveau d’instruction ou de compréhension du monde ; c’est même cela le principe de la démocratie. Une autre ambition que vous pouvez nourrir sera alors de toucher en direct vos concitoyens, sans passer par la case « médias », « fonctionnaires » ou « élus ». Il y a 2 moyens pour cela :
- faire un site Internet (ou un livre),
- faire des conférences.
Mais là, on change clairement de registre : sur un site – ou quand on intervient devant un public – on ne peut pas seulement réagir aux propos d’un autre (politique, journaliste ou qui sais-je) sur un point précis, il faut aussi apporter une valeur propre (par l’analyse, par l’explication détaillée de faits essentiels, etc). Si vous ne voulez pas juste faire un défouloir, il faut trouver un angle, et surtout y passer un temps très conséquent. Tous ceux qui se sont essayés à la création et au maintien d’un site Internet le savent déjà !
Là aussi, la première vertu de cette affaire sera souvent de vous aider à mettre vos propres idées en ordre, et cela est un préalable indispensable si vous envisagez un jour de commencer à inonder journalistes et fonctionnaires de vos réflexions (sans compter que de renvoyer sur un site internet qui détaille un raisonnement permet à votre correspondant de s’imprégner du sujet en deux temps).
Il est aussi possible d’envoyer des tribunes pour être publié dans un journal, et à ce moment vous touchez bien plus de monde en passant très peu par la case « journaliste ». Vous y passez quand même : c’est un rédacteur en chef dédié qui décide de ce qui sera publié, et les journaux modifient souvent le titre et le contenu dans la version papier, et ce qui finit par être publié n’est pas exactement ce que vous avez envoyé (et souvent on ne vous fait pas valider la version modifiée). Si vous voulez éviter au maximum cet inconvénient, il faut coller d’entrée de jeu à la bonne longueur (5000 à 6000 signes maxi, espaces compris).
Etre publié dans le journal n’est pas nécessairement réservé aux plumes déjà connues : si l’argumentation est bien faite et en rapport avec un sujet « dans l’air » (et si votre fonction vous donne une légitimité particulière sur le sujet), vous pouvez très bien être publié quand même. Plusieurs médias ont par ailleurs créé des espaces sur leurs sites internet pour multiplier l’espace réservé aux points de vue, mais du coup l’audience diminue en conséquence. Là où un journal radio ou télé – ou papier – touche de l’ordre du million de personnes, une page de tribune sur un site web (même de média) dépasse rarement les quelques milliers de visiteurs. De même, une conférence touche rarement des millions de gens ! Mais faire ce genre de choses si vous en avez la possibilité permet de se roder pour attaquer nos journalistes favoris ensuite.
Et dans tous les cas de figure….
Quel que soit le personnage à qui vous allez finalement écrire (même si personnellement j’ai une préférence…), voici quelques petites choses dont il est préférable de tenir compte, même si parfois votre serviteur ne s’en souvient pas assez !
- Ne soyez jamais insultant. Vous pouvez être taquin, ironique (même d’une ironie mordante), provocateur, caustique, mais ne faites jamais d’attaque personnelle, du genre « vous êtes vraiment le dernier des crétins », ou « qu’est-ce que vous pouvez être con », etc.
- Évitez les procès d’intention (le « vous êtes vendu » par exemple). Si vous attribuez une intention à quelqu’un, il faut que vous soyez absolument sur de votre coup, sinon cela affaiblit le propos au lieu de le renforcer.
- Citez vos sources, et ne prenez jamais une information trouvée dans le journal comme preuve opposable sur les faits eux-mêmes (je sais, c’est difficile !). Dès que cela ne concerne plus une évidence (il y a une maison à tel endroit, un incendie a eu lieu à tel endroit), les preuves opposables sur les faits – et surtout sur les chiffres – se trouvent dans la littérature scientifique et technique à comité de lecture (qui a un gros inconvénient par rapport à la presse « ordinaire » : elle arrive des années plus tard !). Après, on peut aussi retenir l’information de vulgarisateurs quand, 40 fois de suite, on a comparé leur vulgarisation avec l’information primaire sans trouver d’écart sur les faits ou les conclusions tirées par les scientifiques eux-mêmes. Du reste, avec cette définition le vulgarisateur en question peut très bien être… un journaliste qui travaille bien.
- N’écrivez jamais de manière anonyme (avec un mél qui ne dise rien de qui vous êtes et sans signer de votre vrai nom). C’est une excellente manière de vous faire mal voir !