De tous temps, le péché a donné un poil mauvaise conscience à la grande majorité des bipèdes à cervelle que nous sommes, même quand nous nous y vautrons avec délices. Pour la grande masse des individus en porte à faux avec la morale du moment, il y a toujours la petite voix de la conscience qui rappelle que « c’est pas bien ce que vous faites », et qu’il va falloir voir à se racheter à une prochaine occasion.
A moins d’être sourd et aveugle, tout un chacun comprend que la morale du 21è siècle encensera de moins en moins le fait de consommer de l’énergie à tour de bras en se souciant comme d’une guigne des conséquences possibles. Comme nous ne sommes pas à une contradiction près, ce souci croissant de nos rejets ne nous empêche pas de continuer à considérer, dans le même temps, comme socialement désirable et économiquement souhaitable de consommer de plus en plus, et que même notre président a dit que c’était un objectif dans ses vœux aux Français. Avec ou sans président, du reste, le statut se mesure toujours à la taille du logement, à celle du moyen de transport, voire à la distance parcourue entre le domicile et le lieu de vacances : aller loin (aux Tropiques, en Patagonie, etc) c’est quand même plus chic pour épater les cop(a)in(e)s de bureau que d’aller dans le Morvan !
Mais si la morale – se comporter en écolo – et le statut – qui suppose d’avoir toujours plus – deviennent antagonistes, comment gérer cela ? Très simple : on ne change rien chez soi, et on demande aux autres d’être écolo à sa place en leur donnant un petit quelque chose. C’est bête comme chou, il suffisait d’y penser, non ? Cette trouvaille géniale s’appelle…. la « compensation » : à chaque fois que j’émets directement ou indirectement des gaz à effet de serre, par exemple en allumant une chaudière, montant dans une voiture ou un avion, ou même en achetant un téléphone portable (car on émet aussi – indirectement – en achetant un téléphone ou en allant au restaurant !), je paye quelqu’un pour « désémettre » à ma place. Quand la « compensation » porte sur l’ensemble des émissions rattachées à un individu, une entreprise, un produit, etc, on utilise alors le terme de « neutralité » : sur le papier, la totalité des émissions prises en compte sont « annulées » par une réduction effectuée ailleurs. Je consomme, et tu dépollues à ma place sans avoir consommé, telle est la logique de ce miracle.
J’exagère ? Un peu, allez, parce que ce raisonnement suit une logique de type « vases communicants » qui est aussi employé dans le cadre du protocole de Kyoto, pour les « mécanismes de développement propre », et qui n’est pas si stupide que cela vu d’en haut. Le raisonnement proposé est le suivant :
- on prend en considération la somme des émissions de l’entité qui « compense » et d’une autre entité, « ailleurs », que l’on va aider à réduire ses émissions (sur le papier, en fait on va voir plus bas que cette vision est souvent discutable).
Les émissions de l ‘entité qui s’apprête à « compenser » (un individu, une entreprise, ou… le cabinet du ministre de l’écologie) sont illustrées par la barre bleue de gauche, et les émissions de l’entité qui va bénéficier de l’argent de la compensation sont illustrées par la barre rose de droite. Le périmètre des émissions prises en considération est l’ensemble des deux.
- L’entité qui « compense » valorise alors, sur la base d’un coût à la tonne de CO2-équivalent, tout ou partie de ses émissions, et donne le montant ainsi calculé à l’autre entité « ailleurs ».
L’entité qui « compense » paye le plus souvent à travers un intermédiaire, comme par exemple Climat Mundi ou Good Planet, qui collecte l’argent auprès des entités qui « compensent » (particuliers ou entreprises) et le donne à des entités qui ont besoin d’argent pour « réduire » leurs émissions.
- L’entité qui reçoit l’argent utilise ce dernier et fait baisser ses émissions propres… ou moins augmenter ses émissions futures (c’est une des faiblesses du système, voir plus loin).
Après la mise en oeuvre du projet qui a permis de faire baisser les émissions, les émissions de l’entité qui « compense » n’ont physiquement pas changé.
Et le miracle arrive : arithmétiquement, la situation illustrée par le graphique ci-dessus est équivalente à la situation illustrée par le graphique ci-dessous.
Le graphique ci-dessus est « arithmétiquement » équivalent au graphique précédent : vues de l’entité qui a payé, c’est « comme si » les émissions « compensées » avaient « disparu » de son propre inventaire.
Si le terme de « neutralité » est utilisé, l’argumentation va même jusqu’à soutenir que du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, l’entité qui a « compensé » n’émet plus, et est donc devenu un summum de vertu. Mais la suppression d’un flux montant « chez soi » et « chez les autres » sont-elles en tous points équivalentes, notamment au regard de l’inéluctable diminution « un jour » de l’approvisionnement en hydrocarbure ?
C’est quoi le problème, alors ?
Cette « compensation » (ou « neutralité » quand elle concerne la totalité des émissions de l’entité qui paye), telle qu’elle est exposée ci-dessus, semble le bon sens même : si réduire ailleurs s’avère plus facile à faire que réduire chez soi, pour un prix inférieur et pas de changement des habitudes, on aurait bien tort de s’en priver. En effet, en matière de gaz à effet de serre, toute réduction ici est équivalente à une réduction ailleurs, à cause de la très longue durée de résidence dans l’atmosphère de ces gaz. Et de fait, si le bon fonctionnement de ce mécanisme de « compensation » était garanti dans tous les cas de figure, sans limite sur le volume d’émissions concernées, sans effet de report non pris en compte, et sans simple différé dans le temps des émissions concernées, cela serait parfait. Sauf que… quand on passe de la théorie à la pratique, il apparaît qu’il est tout sauf simple de garantir la réponse aux quelques petites questions suivantes :
- Où est la garantie qu’il n’y a pas d’effet de report, qui viendrait annuler le résultat ? Un effet de report survient quand ce qui n’est plus émis ici va être émis « ailleurs », mais n’est pas pris en compte dans le calcul parce que le périmètre est trop étroit.
- Les émissions évitées le sont-elles en même temps que les émissions de l’entité qui compense ? En d’autres termes, l’entité qui paye pour « compenser » achète une réduction qui survient au moment où elle paye, ou qui surviendra « plus tard » ? Si elle survient plus tard, comment être sûr qu’elle arrivera bien ?
- Dans tous les cas de figure, qui vérifie la réalité des émissions évitées, et comment garantir que cette vérification a de la valeur ?
- Comment vérifier que la « compensation » a bien un effet d’entraînement, en préparant l’entité qui paye à réduire ses émissions propres, et non un effet anesthésiant, en lui donnant l’illusion que le problème est sous contrôle et qu’il ne sera pas nécessaire de faire le moindre investissement lourd, alors qu’en fait ces derniers sont indispensables ?
- Cette « compensation » est-elle ouverte à tous, ou les premiers à s’en servir « piquent la place » et il n’y a pas de démultiplication possible ?
- La « compensation » est-elle aussi une bonne réponse à l’inéluctable diminution de l’approvisionnement en pétrole, gaz et charbon qui se produira au cours du 21è siècle ?
Emissions évitées ou émissions transférées ?
La première faiblesse possible du mécanisme va venir du choix du périmètre de calcul, qui peut fortement conditionner le résultat. En effet, dans la vraie vie, ce qui se passe ici est rarement complètement indépendant de ce qui se passe là, de telle sorte que le seul périmètre de calcul qui garantisse que l’on ne va pas passer à côté d’un phénomène de report (ce qui n’est plus consommé ici va être consommé là) est… la planète entière. Dit autrement, pour être rigoureux, il faudrait comparer les émissions de la planète entière si l’argent de la « compensation » existe, avec les émissions si cet argent n’existe pas. C’est bien évidemment impossible de procéder de la sorte pour au moins deux raisons :
- l’histoire ne s’écrit qu’une fois : « ce qui se serait passé si » ne peut être observé, mais simplement proposé,
- le système est bien trop complexe pour avoir une visibilité directe sur l’ensemble des flux, et la limitation à un sous-ensemble de la planète est indispensable.
Avec certains projets, en particulier ceux qui portent sur des gaz hors CO2, cette réduction est assez largement argumentable : si l’argent de la « compensation » sert à financer le captage de méthane d’une décharge, par exemple, et si cet argent était réellement introuvable dans le pays concerné, on peut accepter l’idée que ce qui a été payé a un effet réel sur la baisse des émissions : les émissions qui n’ont plus lieu dans la décharge vont rarement réapparaître ailleurs. Mais… ce genre de projet (les décharges) est une infime partie de ce qui est financé avec l’argent de la « compensation » (voir ci-dessous) et pour la déforestation évitée ou les énergies renouvelables le raisonnement est beaucoup plus discutable.
Répartition par nature de projet de l’argent récolté par les sociétés de « compensation ».
Source : Banque Mondiale
En effet, pour la forêt ou les renouvelables, le calcul de ce qui est « économisé » est en effet aussi fiable que la justification de ce qui s’appelle le scénario de référence, qui est « ce qui se serait passé si je n’avais pas payé ».
Pour les renouvelables, le raisonnement le plus courant part du principe que sans l’argent permettant de faire des renouvelables on aurait fait du fossile « à la place ». Ainsi faute d’éoliennes ou de photovoltaïque on aurait des centrales à charbon (pour une production équivalente), ou tout autre raisonnement équivalent. Mais en pareil cas, il n’est plus question de faire baisser les émissions de l’entité qui a reçu l’argent, mais… de moins les augmenter. Ce la revient à considérer comme comptablement équivalentes les deux situations illustrés par les deux graphiques ci-dessous, alors que physiquement cela n’est pas du tout le cas.
Lorsque l’argent est utilisé pour les énergies renouvelables, on considère le plus souvent que le graphique de droite est équivalent au graphique de gauche, alors que « physiquement » ce n’est bien sûr pas le cas : à droite, rien n’a baissé, alors qu’à gauche il y a baisse effective.
Cette utilisation d’un scénario de référence revient en pratique à « compenser » des émissions actuelles avec un gain futur, et donc à mettre sur un pied d’égalité des émissions passées, parfaitement réelles, avec des « gains » qui ont éventuellement lieu demain, et qui sont par nature spéculatifs. La « compensation » devient ici une « promesse d’évitement plus tard par rapport à un scénario tendanciel de croissance ». En pareil cas on n’a rien fait baisser du tout !
Pour la forêt, nous allons le plus souvent avoir le même genre de faiblesse : pour un certain nombre de projets, le gain est associé à des arbres plantés aujourd’hui et qui absorberont « demain » du CO2 en provenance de l’atmosphère. Ce genre de raisonnement mélange aussi présent et futur, et même à supposer que cela ne soit pas gênant de mélanger présent et futur, il y a d’autres hypothèses implicites qui sont faites en pareil cas :
- Cela suppose que le changement climatique en cours n’handicapera pas la croissance de ce qui est planté, alors que cela se discute à l’échéance de quelques décennies,
- Cela suppose que la surface recouverte par les arbres plantés ne sera plus jamais défrichée, ce qui est là aussi discutable.
En clair, pour 2/3 au moins de l’argent actuellement payé dans des projets actuels de « compensation » (cf. répartition plus haut), il est difficile de justifier de manière irréfutable de ce qui est réellement économisé. Il est certes possible de corriger partiellement cette faiblesse avec une approche statistique, mais par contre cela ne répond pas aux « objections » qui seront formulées plus bas.
Gains vérifiés, ou simplement déclarés ?
Fort bien se dira le lecteur (ou la lectrice, bien sûr) : il n’y a qu’à vérifier, au cas par cas, que le raisonnement se tient ! En pratique, cependant, il n’y a quasiment jamais de vérification par un tiers que le raisonnement proposé se tient, sauf quand la « compensation » sert à acheter des crédits MDP (mécanismes de développement propre, voir informations sur le protocole de Kyoto). Tout repose donc sur l’affirmation de l’entité qui gère la « compensation ».
Compenser, jusqu’où ?
Un autre point faible de ce mécanisme est qu’il est par construction limité à une fraction marginale des émissions mondiales (ça en limite l’intérêt !). En effet, la « compensation » concerne, le plus souvent, des projets qui ont lieu dans des pays dits « en voie de développement », lesquels représentent environ 40% des émissions mondiales. De ce fait le processus de la « compensation » correspond à un flux qui est à peu près le suivant : moi, habitant d’un pays « riche », je paye un habitant d’un pays « pauvre », qui déjà émet moins que moi, pour qu’il émette moins encore. On comprend bien que la portée de ce genre d’action est limitée… Et de fait, il va être difficile de se « débarrasser » de la moitié des émissions mondiales en faisant porter une fraction significative de l’effort à des pays qui émettent 40% de ces mêmes émissions !
Une autre manière de dire la même chose est de souligner que le prix très faible de la « compensation » actuellement (5 à 20 euros la tonne de CO2-équivalent) ne peut s’appliquer qu’à de tous petits volumes. Pour le montrer, admettons que toute émission sur la planète soit « compensable » au prix de 10 euros la tonne de CO2-équivalent, sans limite de volume sur les émissions. Cela signifie que la planète entière peut devenir « neutre en carbone », comme l’affirme implicitement sans rire le site de Climat Mundi (où le 28 décembre 2007 il est écrit que « potentiellement tout peut devenir neutre en carbone », donc pourquoi pas la totalité de la planète ?). Compenser la totalité des émissions mondiales serait alors possible pour 500 milliards d’euros, soit un peu plus de 1% du PIB mondial. Dit autrement, en travaillant 1% du temps (le PIB ne compte que le travail humain, à peu de choses près) on peut faire ce qu’il faut pour « effacer » les émissions qui sont proviennent des 99% de temps de travail restant. Sûr que si c’était possible, ça serait super !
Comme « compenser » à 10 euros la tonne équivalent CO2 ne fonctionne que pour des petits volumes, cela signifie que la compensation à ce prix là ne fonctionne que tant qu’elle est invisible dans les émissions mondiales, ou encore que c’est une mesure du type « le premier qui pique la place empêche les autres d’y avoir accès ». Or cette règle n’est pas vraie tout le temps en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et la plupart du temps c’est même l’inverse qui s’applique: l’essentiel des marges de manœuvre reste accessible à tout le monde même quand certains en ont déjà profité. Il en va ainsi de l’isolation des logements, du remplacement d’une voiture par un vélo ; si un individu A isole son logement ou se met au vélo, cela n’interdit en rien à un individu B de faire de même. Par contre, le simple fait que certains « compensent » supprime la marge de manœuvre pour d’autres (c’est aussi vrai pour l’électricité « verte » : comme notre pays ne peut en faire que 15% – l’éolien est négligeable devant l’hydroélectricité et ça le restera, ceux qui l’achètent empêchent par là même « les autres » d’en consommer ; la « vraie » mesure reproductible est bien de faire baisser la consommation).
Regardons les chiffres, pour finir : en 2006, la « compensation » a porté sur 13 millions de de tonnes équivalent CO2, alors que les émissions mondiales ont été de 50 milliards de tonnes équivalent CO2 la même année (et étaient de 40 milliards de tonnes équivalent CO2 en 1990). La « compensation » porte donc sur 0,03% des émissions mondiales ou encore 2% de l’augmentation annuelle moyenne depuis 1990. Ce n’est pas avec cela que nous allons diviser les émissions par deux d’ici 2050, ce qui est indispensable pour ne pas payer une addition climatique trop salée !
Compenser, quel effet d’entraînement ?
Dès lors que « compenser » est par construction même un « petit geste », cela n’évacue pas pour autant l’intérêt d’y recourir si nous pouvons être sûrs que cela prépare les esprits à effectuer des efforts plus importants ensuite. Mieux, si nous pouvions démontrer que cela constitue le moyen le plus efficace d’avoir rapidement des « gros gestes » derrière, alors la compensation doit devenir obligatoire !
C’est la théorie du « pied dans la porte », qui est à la base de nombre de méthodes d’éducation, de vente, voire d’endoctrinement : visez gros, mais commencez petit. Si cet argument est valable ici, et que « compenser » est un bon moyen d’augmenter l’acceptabilité d’une action plus contraignante « plus tard », et est réellement pris comme la première marche d’un escalier qui en comporte beaucoup plus, alors c’est bien évidemment une bonne idée.
Mais… l’effet inverse existe aussi, quand le petit geste est compris comme le « gros geste » qu’il n’est pas, et du coup inhibe le gros geste au lieu de le provoquer. A ce moment là, au lieu d’avoir l’effet d’entraînement désiré, le « petit geste qui se prenait pour un gros geste » a un effet anesthésiant, en apaisant le sentiment d’urgence alors que rien n’est réglé. Dans le cas qui nous concerne, l’utilisation même des termes « compensation » ou « neutralité » accrédite l’idée que la nuisance n’existe plus. En comptabilité (et même en Français), « compenser » c’est bien annuler l’effet d’un flux par un flux inverse de même ampleur, et « neutralité » est plus explicite encore : si je deviens « neutre en carbone », c’est bien que je cesse d’avoir un effet sur l’environnement, non ? Difficile avec le terme même de « neutralité » d’avoir immédiatement à l’esprit que c’est globalement un geste très insuffisant !
Pour aller plus loin dans ce débat, il serait utile d’avoir la réponse à la question suivante : en matière d’environnement, le « petit geste » est-il un précurseur du « grand geste », ou au contraire son substitut ? Pour le savoir, le mieux serait évidemment de poser la question à tout le monde ! L’Institut Français de l’Environnement ne l’a pas fait, mais a néanmoins récemment effectué une enquête qui va nous servir pour notre débat (« Les pratiques environnementales des Français en 2005 »).
Dans le cadre de cette étude, l’IFEN a réalisé une espèce de nomenclature des Français en fonction de leurs réponses à des questions sur l’état de l’environnement et de l’appréciation qu’ils portent sur leur propre sensibilité environnementale. Cela permet de classifier la population en 6 catégories :
- Les « Plutôt impliqués, pessimistes » estiment que l’état de l’environnement dans le monde est mauvais (56%) et déclarent majoritairement agir pour l’environnement (71% à 76% des individus de la classe). Ils pensent plutôt que la vie moderne nuit à environnement et que les menaces qui pèsent sur l’environnement ne sont pas exagérées.
- Les « Plutôt impliqués, optimistes » pensent plutôt que l’état de l’environnement est bon en France ainsi que dans leur commune (88%) et moyen dans le monde. Ils estiment que la vie moderne ne nuit pas à l’environnement. Ils affirment plutôt agir en faveur de l’environnement même si cela leur prend du temps (à 92 %).
- Les « Pas concernés » sont des individus qui ne se sentent pas réellement concernés par les problèmes d’environnement et déclarent ne pas agir en faveur de l’environnement.
- Les « Intéressés, non impliqués, pessimistes » sont des individus qui ont une vision négative de l’état de l’environnement (pour 91% d’entre eux l’état de l’environnement dans le monde est mauvais) mais déclarent ne rien faire en faveur de l’environnement. Ils estiment que la vie moderne nuit à l’environnement et que les pouvoirs publics devraient plus écouter les associations.
- Les « Très engagés, pessimistes » affirment agir pour l’environnement (90% d’entre eux font ce qui est bon pour l’environnement même si cela leur prend du temps. 74 % d’entre eux pensent que l’état de l’environnement dans le monde est mauvais et trois quarts d’entre eux estiment que les pouvoirs publics devraient davantage écouter les associations pour résoudre les problèmes liés à l’environnement.
- Les « Très engagés, sans opinion, optimistes » sont surtout des individus qui affirment agir pour l’environnement tout en n’ayant pas d’avis sur un certain nombre de questions (par exemple : 30% n’ont pas d’avis sur l’état de l’environnement dans le monde). Ils ont une vision positive quant à l’état de l’environnement : 82% d’entre eux estiment que l’état environnemental de leur commune est bon, la moitié d’entre eux estime que l’état environnemental de la France est bon. La moitié d’entre eux pense que les menaces pesant sur l’environnement sont exagérées.
L’IFEN a ensuite regardé comment, en fonction de leur appartenance à l’une de ces catégories, nos concitoyens se comportaient pour 8 « petits gestes », ou se jugeaient pour 6 façons de porter de l’attention à une partie de leur consommation.
Les 8 « petits gestes » en question sont les suivants (entre parenthèses la fraction de la population qui répond par l’affirmative) :
- Tri régulier du verre usagé pour le recyclage (pratiqué par 77% des Français)
- Tri des piles usagées pour le recyclage (pratiqué par 73% des Français)
- Tri régulier des vieux papiers, journaux et magazines pour le recyclage (pratiqué par 71% des Français)
- Tri régulier des emballages et des plastiques pour le recyclage (pratiqué par 71% des Français)
- Arrêt systématique de la veille de la télévision (pratiqué par 69% des Français)
- Apport d’un cabas à roulettes, d’un panier ou de sacs pour faire les courses (pratiqué par 63% des Français)
- Achat au cours du dernier mois dans un magasin Bio ou dans le rayon Bio d’un supermarché (pratiqué par 21% des Français)
- Équipement d’une part importante des luminaires par des ampoules basse consommation (pratiqué par 15% des Français)
Les 6 manières de porter de l’attention à une partie de sa consommation sont les suivantes (entre parenthèses le pourcentage de la population qui déclare faire attention ou connaître son impact) :
- Attention à la consommation d’électricité (déclaré par 84% des Français)
- Attention à la consommation d’eau (déclaré par 77% des Français)
- Connaissance du montant de la facture d’électricité (déclaré par 70% des Français)
- Attention à la consommation d’énergie lors de l’achat d’un électroménager (déclaré par 59% des Français)
- Connaissance du montant de la dépense annuelle en eau (déclaré par 56% des Français)
- Attention à la quantité de déchets qu’implique l’achat de certains produits (déclaré par 17% des Français)
Tout ça pour quoi ? Tout ça pour un premier résultat : tant que nous sommes dans les petits gestes, tout le monde est vertueux ou presque.
Nombre de pratiques | Plutôt impliqués pessimistes | Plutôt impliqués optimistes | Pas concernés | Préoccupés non impliqués pessimistes | Très engagés pessimistes | Très engagés optimistes |
---|---|---|---|---|---|---|
0 à 3 pratiques | 16,3% | 15,6% | 48,9% | 32,2% | 15,1% | 14,7% |
4 à 6 pratiques | 70,3% | 75,7% | 47,9% | 55,7% | 64,8% | 69,9% |
7 à 8 pratiques | 13,4% | 8,8% | 3,2% | 12,1% | 20,1% | 15,4% |
Total | 100,0% | 100,1% | 100,0% | 100,0% | 100,0% | 100,0% |
Nombre de « petits gestes » (le maximum possible est de 8, cf. liste un peu plus haut) effectués en fonction de la catégorie (plutôt impliqués pessimistes, pas concernés, etc)
Source : Sondage IFEN 2005
Pourcentage du total | Plutôt impliqués pessimistes | Plutôt impliqués optimistes | Pas concernés | Préoccupés non impliqués pessimistes | Très engagés pessimistes | Très engagés optimistes |
---|---|---|---|---|---|---|
0 à 2 pratiques | 12,5% | 18,5% | 26,9% | 16,4% | 10,9% | 15,4% |
3 à 4 pratiques | 50,9% | 51,8% | 51,9% | 49,9% | 47,5% | 47,3% |
5 à 6 pratiques | 36,6% | 29,7% | 21,2% | 33,8% | 41,6% | 37,3% |
Total | 100,0% | 100,0% | 100,0% | 100,1% | 100,0% | 100,0% |
« Attention portée à » (la consommation d’électricité, d’eau, etc), en fonction de la catégorie (plutôt impliqués pessimistes, pas concernés, etc)
Source : Sondage IFEN 2005
Sans surprise, les plus mauvais élèves pour les petits gestes sont les « pas concernés ». Sans grande surprise aussi, les « très engagés », qu’ils soient optimistes ou pessimistes, font partie des pratiquants les plus assidus de ce mêmes « petits gestes ». A l’auto-appréciation sur « je fais attention à », ce sont les mêmes catégories qui se distinguent dans un sens ou dans l’autre.
De tout cela nous ne déduirions rien de particulier, mais il se trouve que l’IFEN a aussi eu l’idée géniale, dans cette même enquête, de regarder quelque chose qui compte beaucoup plus dans les émissions, à savoir l’emploi ou non de la voiture pour aller au travail, objet du tableau ci-dessous. Je laisse le lecteur bien regarder les chiffres, et rendez-vous sous le tableau !
Source : Sondage IFEN 2005
Surprise ! Quand on passe des petits trucs qui ne coûtent rien à un poste qui est bien plus significatif, ce sont les « pas concernés » et « préoccupés non impliqués » qui sont les plus vertueux du lot, pendant que les « très engagés optimistes » sont les plus mauvais élèves, talonnés par les « plutôt impliqués ». Seuls les « très engagés pessimistes » sont aussi vertueux que les j’m’en-foutistes !
Réciproquement, le taux d’utilisation des modes « doux » est maximal chez les « non impliqués », juste avant les « pas concernés ».
En clair le comportement effectif de nos braves sondés, sur la manière de se déplacer, action qui est nettement plus impactante pour l’environnement que les ampoules basses consommation, est sans lien avec la note qu’ils s’attribuent sur leur sensibilité environnementale, voire franchement à l’opposé.
Au vu de ce résultat, certes partiel, reposons nous la question : le « petit geste », dans cette affaire, il prépare le « grand geste », ou au contraire il le remplace, et sert essentiellement à donner bonne conscience à celui ou celle qui n’a que modérément l’intention de faire plus d’efforts ? Si nous sommes dans le deuxième cas, comme les efforts importants ne sont pas négociables, alors la « compensation » n’est pas utile, mais au contraire nuisible, puisqu’elle fait perdre du temps en donnant l’illusion que le problème est sous contrôle alors que ce n’est pas le cas.
Compenser, quel effet sur l’exemplarité ?
Si l’effet négatif ci-dessus est avéré, il justifie à lui tout seul de jeter cette manière d’agir aux oubliettes, et de se dépêcher de commencer à se préoccuper de réductions (qui ne seront jamais plus faciles chez les autres que chez soi-même, il ne faut pas croire que tout le monde sauf soi peut agir les doigts dans le nez…).
Mais il y a un autre effet négatif de la compensation, pour le coup certain, qui est que, « vu de l’extérieur », celui qui « compense » et celui qui ne compense pas se comportent de la même manière. La compensation n’a donc aucun effet d’entrainement sur les habitudes observées par les Chinois, les Brésiliens, ou même mon voisin de palier, qui voient le « compensateur » prendre l’avion après « compensation » même pareil que s’il n’avait rien payé. Quand on réduit, on agit de manière visible : on change la logistique, on change un bâtiment, on change un produit, on se déplace moins ou autrement, bref ça se voit, un peu ou beaucoup ; cela permet de créer – parfois au prix de gros efforts, c’est clair – des méthodes, des objets, des actions qui sont souvent reproductibles. Quand on « compense », rien ne change vu de l’extérieur, et on ne crée rien de reproductible, puisque c’est le premier qui occupe la place qui la prend, comme nous l’avons vu plus haut.
En poussant à la conservation des habitudes, la compensation contribue donc à différer la réalisation des investissements structurants qui sont pourtant indispensables pour faire baisser volontairement les émissions mondiales de manière très significative. Cet effet induit n’interdit peut-être pas de donner de l’argent à autrui pour l’aider à faire baisser ses émissions, mais cela devrait à coup sûr dissuader de sortir tambours et trompettes autour de ce genre de mesure en invoquant sa « neutralité » en carbone !
Compenser, une assurance tous risques pour les ressources aussi ?
Enfin un dernier inconvénient majeur de la compensation est que… elle ne crée pas de pétrole. « Compenser » avant de monter dans sa voiture ou d’allumer sa chaudière permet peut-être de se rassurer pour ce qui concerne son impact environnemental, mais ça ne crée pas une goutte de fioul domestique, d’essence ou de kérosène. Or nos sociétés et notre système socio-économique vont devoir s’adapter à une énergie fossile en baisse, même si nous ne le voulons pas : où est la préparation à cette situation dans la « compensation » ? Il faut bien comprendre que « se préparer » signifie « investir », ce qui ne se fait généralement pas en une seconde quand les ennuis sont là, et cela peut aussi signifier « changer ses habitudes », qui ne seront jamais plus faciles à changer chez soi que chez les autres. Et si le « petit geste » diffère les investissements pour faire face à une évolution certaine pour l’avenir, alors il augmente – faiblement certes, mais il l’augmente – la probabilité d’ennuis futurs faute de s’être adaptés à temps à une situation radicalement nouvelle.
Ce propos va aussi permettre de rappeler qu’il n’existe pas d’émissions « irréductibles », terme évoqué parfois par les « compensateurs ». Comme les mathématiques imposent que les émissions de CO2 d’origine fossile tendront vers zéro avec le temps, aucune réduction n’est impossible : ce n’est qu’une question de temps, et la seule question est de savoir si nous gérerons ou nous subirons une tendance aussi certaine « un jour » que 2 et 2 font 4. En gros, une entité qui « compense » a fait le plus difficile : payer un petit quelque chose, et lui reste à faire le plus facile : fonctionner avec une consommation décroissante de combustibles fossiles. Heu, j’aurais interverti les adjectifs ?
Ne plus compenser, c’est cesser d’aider les autres ?
Evidemment, l’un des arguments massue de la compensation est que l’argent versé aide les autres à faire face à leurs propres émissions. Aider les autres est une excellente idée, et du reste la question des transferts de technologie va probablement devenir un enjeu important des négociations internationales. L’idée plus discutable est d’avoir décidé de baser une telle aide, nécessaire, sur le montant de ses propres émissions, ouvrant ainsi la voie à une « compensation » qui par certains côtés est une vue de l’esprit. Décorréler les deux est parfaitement possible : il « suffit » de dire que l’aide au « développement » se limitera désormais à des projets qui font baisser les émissions tout en améliorant l’ordinaire des destinataires (c’est techniquement possible), et de dire par ailleurs qu’une fraction un peu supérieure de nos impôts (assis sur nos revenus et non sur nos émissions) ira dans l’aide en question.
Conclusion ?
Le seul terme de « compensation » – ou pire encore de « neutralité » – est très souvent compris par les gens peu acculturés au problème (c’est à dire 99,9% des français) comme une vraie solution à un vrai problème. Mais un des vrais problèmes, dans cette affaire de changement climatique et de ressources fossiles, est surtout la résistance au changement, qui, à en croire Jared Diamond, a emporté nombre de civilisations. Nous sommes sous contrainte majeure de temps dans cette histoire, et le danger à éviter n’est pas que vos voisins vous regardent d’un sale œil parce que vous êtes montés dans l’avion sans payer l’indulgence, mais « simplement » l’effondrement du système socio-économique actuel sous les coups de boutoir du manque de ressources et d’une perturbation environnementale croissante.
Dans ce contexte, il importe d’être bien sûr que la « compensation » fait gagner du temps pour éviter une « fin de l’histoire » pas spécialement sympathique, et le moins que l’on puisse dire est que la réponse positive n’est pas évidente…