La première réaction de quelqu’un qui découvre l’ampleur des changements à faire pour apporter une solution volontaire au problème du changement climatique est souvent de penser que « nous n’y arriverons jamais », tellement cela suppose de changements d’habitudes, d’efforts, voire de « renoncements ». Tocqueville lui-même, bien qu’ayant vécu avant l’apparition de la voiture et du chauffage central, pensait que les démocraties étaient myopes, rendaient les hommes (et les femmes) perpétuellement insatisfait(e)s de leur sort, et que, toutes entières consacrées à leur grande affaire, qui est de faire du commerce (donc de gagner de l’argent) et de satisfaire une consommation de masse, ces systèmes politiques sont incapables de prévenir les dangers de long terme.
Une telle conclusion n’incite assurément pas à l’optimisme : si les systèmes démocratiques réagissent toujours « trop tard » face aux problèmes qui sont globaux et inertes (donc irréversibles à bref délai), sans urgence à court terme, alors nous sommes assurément « fichus » face au changement climatique. Toutefois, la conclusion de Tocqueville n’est pas une « loi » : il s’agit plutôt de caractériser un penchant des systèmes démocratiques que d’édicter une règle absolue, et de temps en temps d’autres éléments permettent de faire naître un soudain espoir. Tel le magistrat devant dire qui a raison, est-il possible de faire la part des choses entre les éléments qui incitent à l’optimisme, et ceux qui incitent au pessimisme ?
En fait, le premier d’entre eux est probablement… notre patrimoine génétique ! Il y a en effet des personnalités optimistes, perpétuellement entreprenantes, solidement enracinées dans la vision en rose, parfois tellement que cela en devient de l’inconscience, et la vie permet aussi de croiser des grincheux(ses) professionnel(le)s, trouvant toujours une bonne raison de se plaindre, et pensant systématiquement que les choses vont aller de mal en pis.
Pessimiste ?
Si nous essayons de trouver des raisons de désespérer de l’humanité dans cette affaire, il y en a bien sûr quelques unes :
- le plus frappant pour moi, peut-être, est le fait que bien des individus qui militent en faveur d’une meilleure prise en compte du « danger climatique » (enfin ceux que je connais) sont facilement les premiers à consommer plus d’énergie que la moyenne, alors que certains comportements très « payants » ne devraient pas être un problème pour des gens motivés. L’archétype de cet exemple est l’avion (alors que l’avion démocratique n’est en rien compatible avec une solution au problème) : je me demande si je ne suis pas le seul « militant du climat » à ne pas être monté dans un avion au cours des 2 ou 3 dernières années ! Et les motifs invoqués pour ne rien changer aux habitudes sont très exactement ceux reprochés aux autres : « c’est pour mon boulot, et je ne peux pas faire autrement », « cela coûte trop cher de prendre le train », ou tout simplement « je n’en ai pas envie ». Mais si « ceux qui savent et militent » ne sont pas capables de faire des efforts, au motif que cela ne leur est pas possible et/ou facile et/ou qu’ils n’en ont pas envie, au nom de quoi « les autres » (les industriels, les américains, les chinois, les autres français, etc) le pourraient ? Un tel comportement ne signifie-t-il pas la faillite de tout raisonnement qui voudrait que « lorsque les gens sauront, ils feront des efforts » ?
- Le fait que personne ne considère qu’il gaspille (c’est aussi souvent vrai chez les militants). En effet, la seule définition du gaspillage que j’ai pu trouver à ce jour est : « un(e) gaspilleur(se) est celui(celle) qui consomme plus que moi ». Ce n’est malheureusement pas avec ce genre de définition que nous allons trouver une solution volontaire au problème !
- Le fait que 85% des français sont aujourd’hui opposés à une hausse de la fiscalité sur les carburants (et sur l’énergie en général nous aurons probablement des résultats voisins), alors que sans cela il semble impossible d’envisager une solution volontaire au problème,
- La proportion impressionnante de mes compatriotes qui ne fait même pas l’effort de descendre les marches d’un escalator (ne parlons même pas de les monter !), pour éviter un effort qui est ridicule, ou qui prend l’ascenseur pour descendre 2 étages ou en monter un : quand on voit ce genre de choses, cela rend perplexe quant à la possibilité d’imaginer que ces personnes puissent fournir des efforts significatifs dans un autre contexte…
- Dans le même esprit, la proportion significative de mes compatriotes qui n’envisage même pas de se garer à plus de 10 mètres du lieu de destination lorsqu’ils circulent en voiture, n’hésitant pas à garer leur véhicule sur le trottoir alors que des places autorisées sont libres 30 mètres plus loin.
La majorité des fumeurs(euses) qui n’arrivent pas à cesser de fumer, ou de personnes trop grassouillettes de trop manger, alors que le tabac et l’obésité sont devenues deux causes majeures de mortalité prématurée (aux US ce sont même les deux premières causes de mortalité prématurée). « On » le sait, et pourtant « on » ne parvient pas à – ou ne veut pas – changer d’habitude, combien néfastes ces dernières puissent être. Là aussi, cela rend perplexe sur la possibilité d’un changement volontaire d’habitude dans d’autres domaines…
Causes prématurées de décès aux USA pour l’année 2000.
« Surpoids » correspond à une alimentation excessive ou très déséquilibrée compte tenu du niveau d’activité physique.
- L’incapacité des médias à en parler beaucoup et bien, or comment penser que la population peut être motivée si elle ne sait même pas qu’elle va devoir faire un effort important de manière non négociable ? La meilleure preuve que le rôle des média est essentiel pour « faire » l’opinion est apportée par ce qui se passe lorsqu’un régime totalitaire prend le pouvoir : la première mesure prise est celle de la censure (ou de la prise de contrôle des médias), et la deuxième la nomination d’un ministre de la propagande, preuve s’il en était besoin que le contrôle de l’information est un élément essentiel pour orienter le comportement de la population (ce qui, soit dit en passant, est une forme de réponse à mon interrogation sur l’utilité de la vulgarisation !).
- Le fait que la solution volontaire au problème n’est pas compatible avec une croissance indéfinie de la consommation matérielle, alors que cette recherche de croissance indéfinie est un déterminant perpétuel de l’action humaine.
Optimiste !
Malgré ce qui précède, il existe quand même des éléments qui incitent à l’optimisme :
- Le fait que dans le passé il y ait eu des époques où « les gens » étaient prêts à aller se faire tuer (les guerres), alors que cela représente quand même un niveau de contrainte quelque peu supérieur à celui d’isoler un appartement ou une maison, moins rouler en voiture et dans une voiture plus petite, partir en vacances moins loin, avoir moins la possibilité d’acheter des produits manufacturés de toute sorte, et manger moins de viande !
- Une règle bien connue veut que l’effort soit plus acceptable quand il est partagé par tous : ainsi, certains efforts que personne ne veut faire seul deviennent tolérables quand on demande à tout le monde de s’y coller. Quelques exemples d’une telle évolution peuvent être les suivants :
- le degré d’acceptation d’une contrainte est bien plus élevé dans le milieu professionnel que lorsque chacun est chez soi, parce que la contrainte est immédiatement la même pour tous (il est aussi vrai qu’il est moins facile de ne pas la respecter sans gros risque financier, et que par ailleurs le patron n’est pas élu par ses salariés !). Ainsi, dans le milieu professionnel, on peut imposer de ne plus prendre l’avion – cela a été en vigueur dans certaines sociétés après le 11 septembre 2001 – ou de mettre un uniforme, toutes choses qui y sont acceptées si la raison en est suffisamment explicitée. On pourrait donc imaginer que si la contrainte est bien exposée, par un dirigeant suffisamment « fort », et l’effort instantanément réparti, ce dernier soit accepté…
- A force d’avoir répété que le tabac était mauvais pour la santé, une majorité de français s’est déclarée favorables aux hausses de prix du tabac, ou encore à l’éradication progressive des lieux où il est permis de fumer (entreprises, trains…), et dans le lot il y a bien sûr des fumeurs ! Or autant les discours n’ont eu que peu d’effets, autant la hausse des prix qu’ils préparent est elle efficace,
- toujours dans le même esprit, une majorité de français déclare qu’elle est favorable à un bridage en usine de la vitesse maximale des véhicules automobiles pour favoriser les économies d’énergie,
- Le fait que lorsque l’on prend 4 heures de son temps pour expliquer en long, en large, et sûrement pour partie de travers, les problèmes qui se posent avec le changement climatique et les énergies fossiles (dont le pétrole), alors la taxation des combustibles fossiles devient une conclusion « logique » pour beaucoup (enfin c’est mon expérience de conférencier !). J’ai constaté que la question qui se pose alors est beaucoup moins « faut-il taxer » que « comment taxer de manière équitable ? ». En conclusion de ce qui précède, à supposer que la finalité en soit clairement exposée de manière large (ce qui n’est assurément pas le cas pour l’instant), ne pourrait-on alors se prendre à rêver que les européens (pas seulement les français) acceptent majoritairement une hausse progressive de la fiscalité sur les énergies fossiles ??
Alors, optimiste ou pessimiste ? Eh bien…. ne serait-ce pas essentiellement une affaire de gènes ?