Les suites de la convention de Rio
Des négociations internationales sur les émissions de gaz à effet de serre ont pris place depuis la Convention de Rio sur le climat (dite encore Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique), signée en 1992 par à peu près tous les pays du monde lors du Sommet de la Terre. L’une des conclusions essentielle de cette convention sur le climat était qu’il fallait « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique« .
Entre 1992 et 1994, cette convention de Rio a été ratifiée par 175 Etats (c’est-à-dire à peu près tous les pays du monde, dont les USA) et la Communauté européenne. La Convention Climat ne contient cependant pas d’élément sur ce que devrait être le niveau auquel on stabilise les gaz à effet de serre, le rythme de baisse des émissions pour parvenir à cet objectif, la répartition de l’effort entre les divers pays, et plus généralement ne contient pas de mesures concrètes permettant d’arriver au but fixé. Elle a confié les discussions sur ce genre de « détails » (!) à des négociations ultérieures, devant prendre place lors de réunions périodiques des signataires de la Convention.
Ces réunions de tous les signataires de la Convention Climat s’appellent, dans le jargon de la convention, des « Conferences of the Parties« , ou COP. En pratique il y en a une par an.
COP | Année | Lieu |
---|---|---|
1 | 1995 | Berlin, Allemagne |
2 | 1996 | Geneve, Suisse |
3 | 1997 | Kyoto, Japon |
4 | 1998 | Buenos Aires, Argentine |
5 | 1999 | Bonn, Allemagne |
6 | 2000 | La Hague, Pays Bas |
7 | 2001 | Marrakech, Maroc |
8 | 2002 | New Delhi, Inde |
9 | 2003 | Milan, Italie |
10 | 2004 | Buenos Aires, Argentine |
11 | 2005 | Montréal, Canada |
12 | 2006 | Nairobi, Kenya |
13 | 2007 | Bali, Indonésie |
14 | 2008 | Poznan, Pologne |
15 | 2009 | Copenhague, Danemark |
16 | 2010 | Cancún, Mexique |
17 | 2011 | Durban, Afrique du Sud |
18 | 2012 | Doha, Qatar |
19 | 2013 | Varsovie, Pologne |
20 | 2014 | Lima, Pérou |
21 | 2015 | Paris, France |
22 | 2016 | Marrakech, Maroc |
Dates et lieux des « Conferences of the Parties » depuis 1995.
Si la Convention Climat n’a pas fixé de calendrier précis ou de répartition précise de l’effort, elle a cependant séparé les pays signataires en deux catégories :
- ceux qui sont – au moins officiellement – prêts à s’engager à réduire leurs émissions font partie de « annexe 1 » ; il s’agit essentiellement des pays développés, et des pays dits « en transition » (pays d’Europe de l’Est).
- les autres sont ceux qui ne sont pas prêts à s’engager à réduire leurs émissions ; il s’agit essentiellement des pays « en voie de développement » (mais pas seulement : on y trouve aussi la Corée du Sud, par exemple).
Pour les mesures concrètes, la Convention a renvoyé cela à des « protocoles », c’est-à-dire des annexes à venir, détaillant justement les points laissés de côté au moment de la signature à Rio. La Convention Climat précisait cependant que ces protocoles additionnels pouvaient très bien ne pas être signés par tous les pays. Le protocole de Kyoto, adopté en 1997, et ratifié de 1997 à 2004, est l’un de ces protocoles. Les pays qui ne l’ont pas ratifié, dont les Etats-Unis, se retrouvent alors dans une situation un peu particulière : ils se sont engagés sur l’objectif (de participer à la stabilisation de la concentration en gaz à effet de serre), sans dire comment – et à quelle vitesse – ils allaient le faire !
Un objectif quantitatif inexistant pour le moment
Comme nous l’avons vu plus haut, la convention de Rio ne définit l’objectif à atteindre que de manière qualitative : il s’agit de rester sous le niveau qui « empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Malheureusement, cette formulation n’est pas suffisante pour passer à l’action, car :
- personne ne sait quelle est la concentration de gaz à effet de serre « qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique »,
- les niveaux auxquels nous sommes déjà sont sans précédent dans l’histoire humaine,
- il est donc strictement impossible de s’inspirer du passé pour savoir où est le seuil en dessous duquel nous ne courons aucun danger,
- vu « l’effet retard » du réchauffement par rapport aux concentrations en gaz à effet de serre, nous avons peut-être déjà largement dépassé la cote d’alerte pour éviter des catastrophes majeures dans un futur plus ou moins lointain. Le danger ne provient pas seulement du niveau de CO2 auquel nous parviendrons (il y a déjà eu des concentrations fortes avant l’apparition de l’homme), mais surtout de la vitesse à laquelle nous y allons : en forçant le système climatique à un rythme inconnu dans le cadre des évolutions naturelles récentes, nous risquons d’enclencher des déplacements d’équilibre violents et incontrôlables.
- en conséquence de ce qui précède, les engagements annoncés à Kyoto de diminuer d’ici à 2008-2012 les émissions des pays développés de 5,2% ne constituent pas une réponse élaborée scientifiquement pour se couvrir d’un risque dûment identifié ; il s’agit simplement du résultat de négociations politiques sur la base du constat « qu’il faut faire quelque chose », et qui résulte surtout de ce que chacun était prêt à faire en arrivant à Kyoto,
- c’est donc un premier pas indispensable, qui a l’avantage de donner une impulsion incontournable (il est en effet difficile de diviser par deux avant d’avoir réduit de 5% !) à l’évolution en cours, mais qui reste insuffisant en regard de ce à quoi il faudra parvenir un jour.
Il y a cependant un mot essentiel dans cette formulation de la Convention Climat : c’est celui de « stabilisation ». En effet, le simple fait de stabiliser la concentration de CO2, ce qui est indispensable pour stabiliser la perturbation de l’ensemble des gaz à effet de serre, suppose de diviser les émissions mondiales par au moins 2. L’objectif est donc extrêmement ambitieux : si l’on excepte le CO2 qui pourrait être « capturé » avant d’être envoyé dans l’atmosphère, cela signifie qu’il faut parvenir à diviser volontairement la consommation de gaz, de pétrole et de charbon par 2 au niveau mondial. L’alternative à ceci n’est pas une consommation qui va croître indéfiniment, bien sûr : c’est juste la garantie d’une diminution involontaire !
Qui s’est engagé sur quoi ?
Comme expliqué plus haut, le protocole de Kyoto est le premier texte annexé à la Convention Climat qui contient des objectifs quantitatifs et un calendrier. L’objectif global est que les pays de l’Annexe I diminuent, collectivement, leurs émissions de 5,2% par rapport au niveau de 1990. La date à laquelle il faut parvenir à cet objectif est présentée de manière inhabituelle : ce n’est pas une année précise qui est indiquée, mais une fourchette de dates, qui est 2008- 2012. Ce que cela signifie, c’est que chaque pays qui a souscrit un objectif doit y parvenir « en moyenne » entre 2008 et 2012, ou plus exactement que si l’on fait la moyenne de ses émissions sur la période 2008-2012, cette moyenne doit être inférieure de X% (X% étant l’engagement du pays) à la valeur de 1990.
Si l’objectif de Kyoto est global, cependant, chaque pays n’a pas pris d’engagement au même niveau en ce qui concerne ses émissions. Certains d’entre eux ont même pris l’engagement….d’augmenter leurs émissions ! (en fait l’engagement est de ne pas les augmenter plus que ce qui est indiqué, mais comme nous le verrons ci-dessous même cela n’est pas en voie de se faire pour certain d’entre eux)
Pays signataire | CO2 fossile seul en 1990 (milliers de tonnes équivalent carbone) | Engagement du pays dans le protocole de Kyoto |
---|---|---|
Allemagne | 269 136 | -21,0% |
Australie | 72 352 | 8,0% |
Autriche | 12 732 | -13,0% |
Belgique | 28 415 | -7,5% |
Bulgarie | 26 044 | -8,0% |
Canada | 113 370 | -6,0% |
Croatie | ? | -5,0% |
Danemark | 14 050 | -21,0% |
Espagne | 56 093 | 15,0% |
Estonie | 10 141 | -8,0% |
Finlande | 14 697 | 0,0% |
France | 97 561 | 0,0% |
Grande Bretagne | 152 091 | -12,5% |
Grèce | 21 080 | 25,0% |
Hongrie | 21 842 | -6,0% |
Irlande | 8 067 | 13,0% |
Islande | 456 | 10,0% |
Italie | 108 633 | -6,5% |
Japon | 287 172 | -6,0% |
Lettonie | 6 602 | -8,0% |
Liechtenstein | ? | -8,0% |
Lituanie | 10 181 | -8,0% |
Luxembourg | 3 309 | -28,0% |
Monaco | 29 | -8,0% |
Norvège | 7 192 | 1,0% |
Nouvelle Zélande | 6 108 | 0,0% |
Pays-Bas | 43 375 | -6,0% |
Pologne | 126 272 | -6,0% |
Portugal | 10 642 | 27,0% |
République Tchèque | 43 656 | -8,0% |
Roumanie | 50 611 | -8,0% |
Russie | 626 973 | 0,0% |
Slovaquie | 15 461 | -8,0% |
Slovénie | 3 626 | -8,0% |
Suède | 13 999 | 4,0% |
Suisse | 10 820 | -8,0% |
Ukraine | 183 293 | 0,0% |
USA | 1 320 132 | -7,0% |
Les engagements de chaque pays au protocole de Kyoto (entre 1990 et 2008-2012).
Quand est-ce que cela commence ?
L’une des dispositions du Protocole de Kyoto indique que ce texte deviendra contraignant pour les pays qui l’ont ratifié lorsque 55 pays au moins, représentant au moins 55% des émissions mondiales de 1990, auront ratifié ce protocole. En septembre 2003, le nombre de 55 ratifications n’était plus un problème : près de 100 pays avaient alors ratifié le protocole. Mais les Etats Unis se sont retirés du processus et la Russie n’avait alors pas encore ratifié ce texte. A eux deux, ces pays représentent plus de 45% des émissions mondiales de 1990, et donc le protocole de Kyoto ne pouvait entrer en vigueur tant qu’aucun de ces deux pays ne le ratifiait.
La ratification de la Russie a donc « changé la donne », en permettant de franchir ce seuil fatidique de 55% des émissions mondiales de 1990, et le protocole aura donc force de traité, pour ses signataires, à partir du 16 février 2005.
La position des USA ne peut être considérée comme définitive, même s’il est à peu près certain que le protocole de Kyoto ne sera jamais ratifié par ce pays : en 2002 leurs émissions de gaz à effet de serre – avec puits – étaient de 20% supérieures à celles de 1990, alors que leur engagement était une baisse de 7%, la différence – plus de 25% – étant totalement irrattrapable de manière volontaire en 5 ans. Cependant, comme les problèmes liés au changement climatique ne peuvent qu’aller croissant au cours des décennies à venir, et comme la pression de l’opinion – y compris de l’opinion américaine – ne peut donc qu’augmenter avec le temps (la seule alternative serait que la décroissance des émissions soit un produit dérivé d’un problème majeur à court terme, mais alors nous aurions notre processus de réduction de manière automatique !), et comme les USA ne supporteront pas indéfiniment de passer de plus en plus de l’état de lumière du monde à l’état de honte du monde, étiquette qu’une fraction croissante de gens leur attribue quand il s’agit du climat, ma conviction est que tout cela n’est qu’une affaire de temps : finalement, les USA seront partie intégrante du processus, tout comme la Russie le devient.
La seule bonne question est de savoir si cela arrivera assez tôt pour que nous puissions encore éviter d’avoir plus tard des conséquences que nous regretterions….
Kyoto, ce sera fastoche ?
Si les négociations concernant la ratification de Kyoto ont été si difficiles, est-ce parce que l’objectif était difficile à atteindre ? Eh bien, pas seulement…. Il est intéressant de voir sur la tableau suivant, par exemple, que pour la Russie ce sera du gâteau : son objectif est de ne pas augmenter ses émissions de 1990 à l’échéance 2008 – 2012, quand en 1999 elles étaient de 47% sous le niveau de 1990 ! (pour le seul CO2, provenant de la combustion de combustibles fossiles, et pour 2003, le niveau de baisse par rapport à 1990 est probablement plus proche de 20%, mais c’est encore très en dessous).
Pays | Dernière année de communication des émissions à l'UNFCCC | Evolution entre cette dernière année et 1990 | Engagement de Kyoto |
---|---|---|---|
Allemagne | 2001 | -17,7% | -21% |
Australie | 2001 | 6,3% | 8% |
Autriche | 2001 | 13,6% | -13% |
Belgique | 2001 | 6,5% | -7,5% |
Bulgarie (*) | 2001 | -59,7% | -8% |
Canada | 2001 | 36,5% | -6% |
Danemark | 2001 | -0,4% | -21% |
Espagne | 2001 | 36,8% | 15% |
Etats Unis | 2001 | 20,3% | -7% |
Finlandetn | 2001 | 19,8% | 0% |
France | 2001 | -2,1% | 0% |
Grèce | 2001 | 23,1% | 25% |
Hongrie (*) | 2001 | -25% | -6%% |
Irlande | 2001 | 30,4% | 13% |
Italie | 2001 | 8,5% | -6,5% |
Japon (*) | 2001 | 9,4% | -6% |
Norvège | 2001 | -11,9% | 1% |
Nouvelle Zélande | 2001 | 21,3% | 0% |
Pays Bas | 2001 | 4,6% | -6% |
Pologne (*) | 2001 | -37,9% | -6% |
Portugal | 2001 | 32,9% | 27% |
République Tchèque | 2001 | -24,4% | -8% |
Roumanie (*) | 2001 | -46,8% | -8% |
Royaume Uni | 2001 | -12,3% | -12,5% |
Russie | 2001 | -47,7% | 0% |
Slovaquie | 2001 | -35,7%% | -8% |
Suède | 2001 | -28,8% | 4% |
Suisse | 2001 | 4,1% | -8% |
Ukraine | 2001 | -55,5% | 0% |
Emissions d’une partie des pays de l’Annexe I
(*) : exclut les changements d’usage des sols (« puits » et déforestation)
Source : UNFCCC
Le « manque de volonté » de ratifier Kyoto en Russie n’était donc pas la conséquence d’un effort de court terme, qui n’existe pas dans ce pays, tout comme il n’existe pas dans tous les pays d’Europe de l’Est, qui ont connu une très forte baisse des émissions après la chute des régimes communistes. A l’opposé, certains pays qui ont ratifié Kyoto sont aujourd’hui très au-dessus de leurs émissions de 1990. C’est par exemple le cas de l’Italie (15% d’émissions en plus en 2001 comparé à son objectif pour 2008 – 2012), du Japon (15% d’émissions en plus en 2001 comparé à son objectif pour 2008 – 2012), de l’Espagne (20% d’émissions en plus en 2001 comparé à son objectif pour 2008 – 2012), et surtout du Canada (plus de 40% d’émissions en plus en 2001 comparé à son objectif pour 2008 – 2012 !).
Un autre fait intéressant est qu’il n’y a pas de lien direct entre l’évolution des émissions et la réputation « écologique » des pays : la Suède (avec une réputation « ecologique » élevée) va avoir la partie facile (ce pays était autorisé à augmenter ses émissions de 4%, alors qu’il les a baissées de presque 30% en 2001), quand l’Autriche et le Danemark (qui ont aussi une réputation « écologique » en France) sont tous les deux 20 à 30% au dessus de leur objectif. La Finlande et la Norvège, que l’on pourrait croire identiques vues de France, ont connu des évolutions tout à fait opposées.
En Europe, les seuls grands pays qui sont pour le moment en ligne avec leur objectif sont l’Allemagne, le Royaume Uni, et la France. Mais attention, Kyoto c’est juste le début de ce qu’il faut faire !
Pour en savoir plus
- télécharger le texte de la Convention Climat,
- télécharger le texte du protocole de Kyoto,
- télécharger la liste des signataires et l’état des ratifications du protocole de Kyoto.