On parle périodiquement de diverses solutions techniques qui nous permettraient de « continuer à vivre comme maintenant » (c’est à dire utiliser des sources d’énergie émettant du CO2) sans que cela n’aggrave nos émissions de gaz à effet de serre, en attendant tranquillement que l’efficacité énergétique permette de les diviser par deux. De quoi s’agit-il et que peut-on en espérer ?
Tout d’abord il importe de savoir que l’on ne peut pas « filtrer l’atmosphère » de manière rapide pour en retirer le gaz déjà émis. La technique ne peut donc rien sur ce plan, et ne nous évitera pas un réchauffement programmé et inévitable d’au moins 1°C à terme.
Pour le reste, on peut espérer de nombreux progrès, changement ou adaptations. Mais aujourd’hui il semble difficile qu’il y ait là de quoi nous éviter un changement de comportement par ailleurs :
- On peut tout d’abord remettre sous terre le CO2 produit lorsque l’on brûle du charbon ou du pétrole (ou du bois, ce qui est en fait la seule manière de diminuer la concentration atmosphérique si par ailleurs les émissions actuelles sont toutes réduites à zéro). C’est une solution techniquement faisable, mais qui ne concerne que la production d’électricité et les grosses usines (ce qui laisse de côté 50% des émissions de CO2 et toutes les émissions d’autres gaz à effet de serre). En outre c’est un dispositif qui ne sera pas installé en quelques années sur chaque source d’émission éligible, du moins pas avec la gestion des priorités que nous avons actuellement.
- On peut améliorer l’efficacité énergétique : cela signifie que l’on obtient le même service en brûlant moins de combustible. Mais, aussi surprenant que cela pourra sembler, cela ne conduit pas nécessairement à des économies si une contrainte sur la consommation globale n’est pas mise en place en même temps. Par exemple, les progrès faits en 15 ans sur les moteurs de voiture, de 1985 à 2000, ont été complètement annulés par le fait que les gens ont acheté dans l’intervalle des voitures plus puissantes, et pourvues de plus en plus d’accessoires (climatisation notamment) qui consomment de l’énergie.
- Le résultat est que, entre 1985 et 2000 la consommation moyenne d’un véhicule neuf vendu en France n’a pas sensiblement diminué : elle a légèrement diminué de 1990 à 2000, mais avait légèrement augmenté avant.
- Pour que la consommation par véhicule ait sensiblement diminué sur les 15 dernières années, il aurait fallu que tout le monde remplace une vieille voiture « inefficace » par une nouvelle voiture de mêmes performances mais plus « efficace ». Or les consommateurs ont remplacé une voiture de 700 kg par une voiture de 1200 kg, consommant… la même chose.
- On peut changer de sources d’énergie primaire. Mais comme ces sources sont souvent moins commodes à utiliser que le pétrole ou le gaz, ou plus chères, ou demandent plus de précautions (nucléaire), ou sont limitées en puissance délivrable, comme les renouvelables, il est vraisemblable que nous ne pourrons pas passer à un monde « énergétiquement vertueux » juste avec des innovations techniques.
Un argument plus général peut éventuellement être invoqué pour illustrer les limitations de la « technique ». En effet, l’efficacité technologique, si elle est mise en oeuvre sans remise en cause de la croissance matérielle perpétuelle, peut paradoxalement conduire à l’accroissement de la pression globale : en proposant des usages qui, de manière unitaire, sont moins « nocifs » pour l’environnement, on augmente leur acceptabilité sociale, et on diminue leur coût (chaque utilisateur paiera moins cher en ressources naturelles ou en conséquences de son comportement polluant), et cela conduit à une expansion de l’usage qui fait plus que compenser les gains unitaires.
Par exemple, si le seul transport aérien aujourd’hui disponible était celui des jets privés, certes la consommation par passager serait plusieurs dizaines de fois supérieure à ce qu’elle est sur un avion de ligne, mais de ce fait le transport aérien serait beaucoup moins abordable, et la consommation globale des avions serait probablement bien moindre. De même, si les ingénieurs n’avaient jamais su faire mieux que des voitures consommant 40 litres aux 100, avec un prix du carburant identique, il est probable que la consommation globale de l’humanité pour le transport serait inférieure, car la majorité de nos contemporains n’auraient pas les moyens de rouler en voiture.
Bref, sans contrainte socialement acceptable sur la demande globale, il se plaide assez bien qu’une efficacité unitaire accrue engendre probablement une augmentation de la consommation globale et non une diminution.
Et si le consensus existe sur l’idée de réduire la consommation globale d’énergie, la manière qui, historiquement, s’avère la plus efficace est tout simplement d’augmenter les prix, c’est-à-dire d’augmenter la fiscalité sur l’énergie fossile.
Dit encore autrement, sur le long terme, le vrai déterminant de la consommation d’énergie n’est pas l’efficacité des appareils qui en consomment, mais tout simplement son prix. Ou dit encore autrement, si nous souhaitons vraiment résoudre le problème du changement climatique, ce n’est pas la voie de la recherche qui est à explorer en premier, mais la voie de la fiscalité. Refuser une fiscalité croissante (qui peut être progressive, bien sûr) sur les émissions de gaz à effet de serre (et donc sur tout ce qui vient du pétrole, du gaz et du charbon) équivaut assez fortement à refuser une action volontaire contre ce processus.