Compte tenu de ce que cela pourrait signifier de se passer de pétrole, de charbon et de gaz, beaucoup de responsables politiques ou d’entreprise sont tentés de se dire qu’il vaut mieux être certains – donc attendre – avant de faire quelque chose. Ce pari s’apparente très exactement, en termes de démarche, au jeu de la roulette russe.
Qu’est-ce qui caractérise un climat ?
Un climat se définit par des valeurs moyennes observées sur une durée longue (30 ans).
C’est pour cela qu’à la question favorite des journalistes « est-on en train d’assister à un changement climatique », posée désormais à chaque tempête, en France ou ailleurs, les scientifiques concernés répondent invariablement : il est trop tôt pour le dire.
Ils ne peuvent dire autre chose : nous saurons dans 30 ans si le climat a changé en 2000 !
Mais attendre jusqu’en 2030 est peut-être le pari de Pascal à l’envers (le pari perdant à tout coup).
En effet, au moment où l’on pourra constater, par la mesure physique, que le phénomène est explicite, nous serons alors très avancés – et de manière irréversible pour quelques siècles, à cause de la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère – dans un phénomène comportant une inertie considérable et dont les conséquences sont imprévisibles.
Ne rien faire maintenant en attendant de nouvelles avancées de la science est donc d’ores et déjà prendre le pari qu’aucune catastrophe majeure ne surviendra à l’avenir.
C’est à l’évidence un pari terrible, et dont les gagnants ou perdants ne sont pas nécessairement nous-mêmes (encore qu’une mauvaise surprise soit possible à peu près à tout moment), mais nos enfants ou petits enfants, qui actuellement n’ont pas voix au chapitre, et ne pourront qu’assister impuissants, si un bouleversement gravissime survient, aux conséquences de nos actes actuels.
En outre personne ne peut savoir si une région du monde sera épargnée. C’est donc aussi une responsabilité terrible envers nos proches descendants que de décider de ne rien faire maintenant.
Ce problème, global et irréversible à l’échelle de quelques générations, est une novation pour notre espèce. Les problèmes « classiques » de pollution correspondent à une situation souvent assez largement réversible, ou, quand elle ne l’est pas, géographiquement circonscrite. En d’autres termes, le problème est soit global et réversible (cas de la couche d’ozone par exemple), soit irréversible mais souvent local (cas de la mer d’Aral par exemple). Dans le premier cas la solution est d’arrêter la dégradation avant qu’elle ne soit trop sévère puis de « renverser la vapeur ». Dans le deuxième, on considère que ce qui est perdu est perdu, mais on fait en sorte de ne pas perdre plus.
Ici, il n’est pas possible, comme nous le faisons habituellement, de raisonner en termes de dangers avérés, que l’on évite une fois que l’on les voit. Il nous faut raisonner en termes de risques, qu’il faut éviter à tout prix, au sens premier du terme (ce qui rend tous les débats sur le « coût » de l’effet de serre un peu vain : ce phénomène a un coût d’évitement, mais n’a pas de coût de réparation).
Nous sommes par ailleurs familiers de la gestion du risque : c’est à cela que servent les assurances.
Prendre une assurance, cela consiste à se prémunir quand nous ne sommes pas capables de réparer seuls un dommage (reconstruire une maison brûlée par exemple) ou que nous cherchons à amortir le plus possible les conséquences d’un dommage (perte d’un revenu en cas de décès par exemple).
En matière d’effet de serre, la prime d’assurance est la réduction rapide des émissions de CO2 (et des autres gaz à effet de serre). Elle coûterait peut-être un peu (encore que ce ne soit même pas certain : il y a des économistes pour dire que ce serait une bonne affaire pour l’emploi), mais nous prémunirait contre le risque de subir un phénomène dont nous ne savons rien de l’ampleur et qui serait de toute façon irréversible pour quelques siècles au moins.