Texte publié dans Les Echos du 30 mars 2004
C’est une oeuvre commune d’Olivier Sidler, dirigeant d’Enertech, et de votre serviteur.
NB : le titre et le texte ci-dessous sont ceux envoyés au journal.
Peu de gens savent que le bâtiment absorbe, en France, environ 40% de la consommation d’énergie du pays, avant le transport qui compte pour 30%, et l’industrie pour 25% : cela ne fait que quelques années que camions et voitures émettent plus de CO2 que les chaudières de maisons et de bureaux.
Peu de nos concitoyens savent que le gouvernement a organisé, au printemps dernier, un débat national sur les énergies, hélas resté assez confidentiel alors qu’à l’heure actuelle, sans énergie abondante et pas chère, rien de ce qui fait notre quotidien ne peut perdurer. Devant la double menace de l’épuisement des combustibles fossiles et du changement climatique, la majorité des participants au débat ont convenu qu’il y avait une impérieuse nécessité à se mettre sans attendre à conjuguer bonheur de vivre et diminution de la quantité d’énergie consommée. Malheureusement, le projet de loi d’orientation sur l’énergie, qui a fait suite à ce débat, ne reflète que très partiellement, dans sa version actuelle, une stratégie de rupture qu’une majorité d’individus informés appelle de ses vœux.
Car tous ceux qui ont analysé la problématique du changement climatique le savent : pour espérer inverser une tendance qui pourrait bien conduire à une mortalité massive avant la fin du siècle, il faut parvenir aussi vite que possible à diviser par 2 au moins les émissions de CO2 de la planète, ce qui se traduit, pour les pays comme la France, par une réduction d’un facteur 4 de ses émissions. Dans un discours ambitieux prononcé en mars dernier, le Premier Ministre a proposé qu’à l’horizon 2050, la France se fixe comme objectif de diviser par quatre ses émissions actuelles, ce qui signifie, soit dit en passant, qu’il faut avoir divisé par 2, d’ici à 2030, la consommation nationale de gaz naturel, de pétrole et de charbon.
Il se trouve que le secteur où cette division par 4 sera la plus aisée à obtenir si nous le souhaitons est le bâtiment, et plus particulièrement le logement ancien. Autant le dire tout de suite : compte tenu de la relative facilité à faire aboutir une telle division par 4 dans le bâtiment, ne pas mettre un tel programme en chantier augurerait très mal de la possibilité de relever volontairement le défi du changement climatique. Et, bien sûr, si nous ne réglons pas volontairement le problème, ce seront des régulations involontaires, généralement autrement plus douloureuses, qui s’en chargeront à notre place, probablement bien avant la fin du siècle.
Les auteurs de cet article pensent donc qu’il serait indispensable de mettre dès à présent dans le projet de loi sur l’énergie une mesure très ambitieuse de rénovation des bâtiments anciens (résidentiel et tertiaire), dont l’enjeu, généralement méconnu, est considérable.
On considère comme anciens tous les bâtiments construits avant 1975, car il n’existait alors aucune réglementation thermique en France ; environ 17 millions de logements correspondent à cette définition. Il serait parfaitement envisageable, sur 40 ou 50 ans, de diviser par 4 les émissions de ces logements (chauffage et eau chaude) en combinant des solutions d’isolation renforcée et le recours aux énergies renouvelables (solaire thermique, géothermie et bois, pour l’essentiel). C’est techniquement possible dès aujourd’hui, et il existe des réalisations de ce type même chez nous !
Cette seule rénovation des bâtiments anciens pourrait permettre d’économiser plus de 10% de l’énergie consommée en France, et une réduction du même ordre de grandeur des émissions de gaz à effet de serre. Il y a peu de mesures uniques qui permettent un tel gain : 10% des émissions de gaz à effet de serre de la France, c’est la moitié des émissions de l’industrie, ou encore la moitié des émissions du parc automobile !
Rénover environ 20 millions de logements en 50 ans signifie d’en traiter 400.000 par an. Cela poserait certes de multiples problèmes concrets, mais dont aucun, à l’examen, ne s’avère plus ardu que ceux que nous avons l’habitude de gérer quand c’est la hausse de la consommation d’énergie qu’il s’agit d’encourager. Par exemple, l’Etat pourrait demander à chaque acquéreur d’un logement ancien d’isoler correctement son acquisition juste après l’achat, à la fois contre les frimas hivernaux, et contre une chaleur estivale que les climatologues nous annoncent comme croissante à l’avenir. Il y aurait là non seulement une solution pour économiser de l’énergie l’hiver, mais aussi un traitement préventif des fortes chaleurs, la sanction en cas de laisser-faire étant que l’usage de la climatisation grimpera en flèche, et avec elle la demande estivale d’électricité. Si en plus cette dernière est assurée par des centrales à gaz, cela ira avec une augmentation forte des émissions de gaz à effet de serre, et nous aurons alors tout perdu !
De tels travaux d’isolation « lourde » sont relativement rapides – pas beaucoup plus longs que le traditionnel coup de peinture – lorsque le logement est vacant, ce qui est généralement le cas lors des mutations. Ces travaux pourraient être financés par des prêts bonifiés par l’Etat, et proposés par la banque en même temps que les crédits « classiques ». Leur remboursement reviendrait, sur le long terme, moins cher au nouveau propriétaire que le prix de l’énergie économisée. Le coût de cette bonification pour le budget de la France serait de l’ordre du milliard d’euros : beaucoup d’argent dans l’absolu, mais une peccadille compte tenu de l’enjeu, sans compter qu’un tel plan engendrera des économies budgétaires par ailleurs (en augmentant les recettes de toute nature liées aux emplois créés, par exemple).
Certes tous les logements ne changent pas de main en 50 ans, et certes les locataires devraient faire l’objet d’un autre dispositif, que nous ne pouvons exposer ici faute de place, mais avec 450.000 mutations de logements anciens par an, il y a déjà là un flux annuel considérable qu’il serait possible de mettre à profit.
Enfin un plan ambitieux de cette nature permettrait la création d’environ 100.000 emplois pérennes pendant 40 ans dans l’artisanat du bâtiment, et permettrait au pays de développer un savoir-faire dans les programmes d’isolation qui profiterait certainement au commerce extérieur ensuite. La France deviendrait aussi l’initiatrice d’une disposition ambitieuse que tous ses voisins européens ne manqueraient pas d’adopter rapidement ensuite, signant ainsi le début de l’engagement au bon niveau des pays riches dans la lutte contre le changement climatique. Alors que le pays frôle les 10% de taux de chômage, et que chaque année qui passe voit l’avenir climatique de nos enfants devenir plus sombre, pouvons-nous bouder une telle mesure, qui permet de marier activité économique, progrès social, et diminution notable des émissions de gaz à effet de serre du pays ?