Urbanisation de Paris de 1800 à 2000
Source : NYU Stern urbanization
Comme chacun sait, les surfaces « artificialisées », en France, croissent depuis que l’homme a commencé à faire des villes. Comme chacun le sait aussi, dans un monde fini, aucune grandeur physique ne peut croître indéfiniment, et les surfaces urbanisées ne font pas exception à cette règle. L’un des exercices favoris des « prospectivistes » pour savoir à quelle distance nous sommes des limites du monde est la prolongation tendancielle : cela consiste à… prolonger les tendances (belle lapalissade), c’est-à-dire à supposer que monde continue à évoluer « comme maintenant » à l’avenir, pour voir où cela nous mène.
Votre serviteur s’est livré à l’exercice pour l’urbanisation. Les données de départ sont les chiffres donnant l’occupation des sols en France en fonction de la nature des surfaces, publiés par l’IFEN, et que le tableau ci-dessous reprend pour les années 1992 à 2000. Ce qui est appelé « total artificialisé » correspond aux sols bâtis, artificialisés non bâtis, et aux routes et parkings.
La nomenclature – comme toute nomenclature – est bien sûr discutable, parce qu’un champ est indiscutablement une surface « artificielle » (la nature ne produit spontanément ni vignoble ni champ de blé !), et même la quasi-totalité des forêts, en France, est le fruit de l’intervention humaine. C’est assez évident pour la forêt landaise, mais c’est aussi vrai pour la forêt de Fontainebleau, par exemple, dont une très large partie a été plantée au 18e et 19e siècle.
Quoi qu’il en soit, on appellera « artificiel » quelque chose qui l’est raisonnablement, par exemple avec du béton, et les valeurs sont les suivantes :
Occupation des sols | 1992 | % Total | 2000 | % Total | Variation entre 1992 et 2000 (km²) | Variation entre 1992 et 2000 (%) | Variation annuelle moyenne |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Sols artificiels non bâtis | 13 236 km² | 2,42% | 15 580 km² | 2,84% | 2 344 km² | 17,7% | 2,1% |
Sols bâtis | 9 424 km² | 1,72% | 10 590 km² | 1,93% | 1 166 km² | 12,4% | 1,5% |
Routes & parkings | 15 354 km² | 2,80% | 16 830 km² | 3,07% | 1 476 km² | 9,6% | 1,2% |
Forêts | 144 221 km² | 26,32% | 150 940 km² | 27,46% | 6 269 km² | 4,3% | 0,53% |
Cultures annuelles | 151 558 km² | 27,66% | 152 990 km² | 27,92% | 1 432 km² | 0,94% | 0,12% |
Roches & eaux | 18 373 km² | 3,35% | 18 250 km² | 3,33% | -123 km² | -0,67% | -0,08% |
Cultures pérennes | 13 193 km² | 2,41% | 12 830 km² | 2,34% | -363 km² | -2,8% | -0,35% |
Prairies | 116 888 km² | 21,33% | 109 800 km² | 20,04% | -7 088 km² | -6,1% | -0,78% |
Landes & alpages | 45 038 km² | 8,22% | 41 710 km² | 7,61% | -3 328 km² | -7,4% | -0,95% |
Arbres épars (haies...) | 20 669 km² | 3,77% | 18 870 km² | 3,44% | -1 799 km² | -8,7% | -1,1% |
TOTAL | 547 954 km² | 100%n | 547 940 km² | 100% | - | - | - |
Dont TOTAL ARTIFICIALISE | 38 014 km² | 6,94% | 43 000 km² | 7,85% | - | 13,12% | 1,55% |
Ces chiffres indiquent sans surprise ce que tout un chacun « peut voir » : les surfaces urbanisées et la forêt croissent, au détriment des prairies et assimilés (landes, haies) qui décroissent. L’un des moteurs de cette évolution est la périurbanisation, qui est le phénomène par lequel les villes s’accroissent à leur périphérie.
Evolution de l’urbanisation en France en 1936 et 1999.
La population française a augmenté de 40% entre 1936 et 1999.
Certaines aires urbaines ont décuplé pendant que les campagnes se sont vidées.
Source : DATAR.
La question que l’on peut se poser est alors la suivante : en prolongeant le taux de croissance actuel des surfaces artificialisées, au bout de combien de temps avons-nous couvert 100% du territoire métropolitain avec des villes et des routes ?
En maintenant pour la croissance des surfaces urbanisées le pourcentage annuel moyen qui correspond à la période 1992 – 2000 (soit 1,55%), la fraction du territoire qui est artificialisée (villes, voies de communication, etc) est représentée par la courbe suivante.
Pourcentage du territoire métropolitain artificialisé avec l’hypothèse d’un taux de croissance constant, égal à 1,55%, en fonction des années.
On constate donc qu’avec cette hypothèse de prolongation des tendances il faut un peu plus d’un siècle et demi pour artificialiser 100% du territoire, ou plus exactement la croissance actuelle des surfaces artificialisées nous laisse 160 ans de consommations foncières, et ce en supposant, bien entendu, que nous sommes capables de nous passer de terres agricoles, de forêts, et encore de quelques autres petites babioles.
Si l’on suppose que l’on ne peut pas se passer d’un gros 50% des terres pour l’agriculture et les forêts, alors il ne faut qu’un siècle pour urbaniser les 50% restants au rythme actuel.
Est-ce légitime de prendre une évolution en pourcentage plutôt qu’en valeur absolue (c’est à dire tant d’hectares par an) ? A mon sens oui, car une évolution en pourcentage est la loi qui correspond au cas de figure ou la croissance est proportionnelle à l’existant, or l’accroissement des surfaces artificialisées est essentiellement le résultat de la périurbanisation. Cet accroissement – en hectares – de la ville à sa périphérie est bien proportionnel à la surface préexistante (en hectares) de la ville.
L’exercice ci-dessus n’est pas prédictif, bien entendu ! En particulier les courbes avec une valeur qu’il est impossible de dépasser (on ne peut pas couvrir plus de 100% du territoire !), donc avec une asymptote, n’ont jamais cette allure-là, mais ont la forme d’une courbe en « S » (cf ci-dessous).
Allure générale des courbes de pénétration avec une valeur limite.
Cela étant, ce petit calcul donne une idée générale de la vitesse à laquelle nous modifions notre territoire, et du caractère absolument pas « durable » (une évolution durable pouvant se définir comme une évolution que l’on peut conserver très longtemps sans conséquences négatives fortes) du rythme actuel de modification des sols.
Rappelons que les sols constituent une ressource limitée et non renouvelable, même si l’on peut en changer l’affectation.