Qui mange vraiment l’énergie ?
« Consommer de l’énergie », dans la vie courante, est associé à des gestes simples : appuyer sur un interrupteur, mettre la chaudière en route, ou éventuellement passer à la pompe à essence. Cette expression en apparence anodine est en fait fortement trompeuse : ce qui consomme de l’énergie, en pareil cas, ce n’est pas un être humain, mais une machine qui travaille pour nous.
En effet, rares sont les bipèdes de moi connus qui boivent un bon litre de diesel bien chaud au petit déjeuner, qui inhalent avec délices un m³ de gaz à la pause, ou qui se font une bonne intraveineuse de butane. Dans le même esprit, lorsque nous mettons les doigts dans une prise de courant pour goûter en direct à la fée électricité, le résultat n’est en général pas très heureux.
« Utiliser de l’énergie », ce n’est donc pas la consommer soi-même, comme lorsque nous mangeons une pomme ou une cuisse de poulet, ce qui, de fait, permettra à notre organisme de fonctionner. Incidemment, les fameuses calories contenues dans un aliment correspondent réellement au contenu énergétique que notre organisme pourra en retirer, ce qui lui permettra de fonctionner ou…. de nous créer de superbes poignées d’amour si nous mangeons un peu trop.
Mais « consommer de l’énergie », dans le langage courant, ce n’est pas du tout manger, c’est en fait donner de l’énergie « à manger » à une machine que nous commandons, de la cafetière à l’engin de chantier, de la ligne d’usine d’embouteillage à l’avion, et du relais de téléphone à l’automate qui distribue les billets de banque. Et de telles machines, il y en a…. beaucoup !
Un décompte un peu scrupuleux des machines qui sont devenues nos esclaves des temps modernes montrerait probablement que nous en utilisons, directement ou indirectement, des milliers (dizaines de milliers ?) chaque jour, et sans en avoir conscience l’immense partie du temps.
Démarrons la journée : la tartine du matin est arrivée sur notre table grâce à des tracteurs, moissonneuses batteuses et autres engins agricoles (pour cultiver les céréales), à des puits de gaz et usines chimiques qui vont du gaz aux engrais (les engrais utilisés pour cultiver les céréales sont fabriqués avec du gaz), à des trayeuses électriques et tanks à lait réfrigérés (pour le beurre), au pétrin du boulanger, aux usines qui ont permis de fabriquer les emballages – innombrables – qui ont servi à tous les niveaux de la chaîne de fabrication, à des usines de parpaings, engins de carrière, grues et engins de chantier qui ont permis de construire la boulangerie ou le supermarché, à des camions à tous les étages (et donc à toutes les machines de toutes les mines, carrières et usines mobilisées pour fabriquer les camions)…. et on va arrêter l’énumération ici pour ne pas trop vous fatiguer.
Exemples de machines utilisées pour vous permettre de manger une tartine au petit déjeuner
Un bout d’aciérie (fonctionnant au charbon et à l’électricité) pour fabriquer tous les objets contenant de l’acier, dont le couteau à beurre !
Trayeuse (fonctionnant à l’électricité) pour obtenir le lait puis le beurre : trait probablement comme 5 à 10 personnes
Tracteur (fonctionnant au pétrole) : remplace 100 paysans.
Frigo (fonctionnant à l’électricité) : remplace la cave fraiche toute l’année… ou le porteur de glace
Pétrin (fonctionnant à l’électricité) pour fabriquer la pâte à pain : remplace quelques paires de bras…
Camion (fonctionnant au pétrole) : propulse comme 4000 paires de jambes, et intervient à tous les maillons de la chaîne
Vous venez de vous brosser les dents devant la glace ? (très conseillé après la tartine à la confiture). Vous avez à nouveau utilisé, sans le savoir, un bout de plate-forme pétrolière (il faut du pétrole pour fabriquer le plastique), pleine de machines, un bout de vapocraqueur (pour faire le plastique du tube et des composants du dentifrice), un peu de maïs ou de blé traité dans une amidonnerie, des machines pour fabriquer le tube, un bout d’usine de vitres (pour la glace dans laquelle vous vous regardez en train de brosser avec détermination), sans oublier l’usine qui sert à potabiliser l’eau, fonctionnant à l’électricité.
Exemples de machines utilisées pour vous permettre de vous laver les dents devant la glace
Plate-forme pétrolière (fonctionnant au pétrole, et au gaz) pour extraire l’or noir qui servira à faire du plastique.
Train de coulage de verre (fonctionnant au gaz et à l’électricité) pour faire la glace.
Vapocraqueur (fonctionnant au gaz et à l’électricité) pour fabriquer les composants de base des matières plastiques à partir de produits pétroliers ou de gaz.
Amidonnerie (fonctionnant au gaz et à l’électricité) pour faire des composants du dentifrice avec… du maïs.
Extrudeuse de plastique (fonctionnant à l’électricité) pour fabriquer le tube dentifrice.
Appareil de nanofiltration (fonctionnant à l’électricité) pour épurer l’eau « potable » avant distribution.
Vous partez au travail ? Même si vous y allez à pied, il est cependant peu probable que vous y partiez tout(e) nu(e). Combien de machines utilisées pour fabriquer une chemise en coton ou un pantalon en synthétique ? Des milliers ! Tracteurs, chaudières, fileuses, peigneuses, métiers à tisser, machines à fabriquer les teintures, à coudre, à aspirer, à laver, à chauffer… sans oublier, à nouveau, puits de pétrole (pour les synthétiques, qui sont tous des dérivés de la pétrochimie) et engins qui creusent dans les mines pour fabriquer tout ce qui contient du métal, dans l’industrie ou dans les agrafes de votre pantalon !
Exemples de machines utilisées pour vous permettre de vous habiller
Moissonneuse à coton (au pétrole) : remplace une centaine d’ouvriers agricoles.
Métier à tisser industriel (fonctionne à l’électricité).
Réacteur (fonctionne au gaz et à l’électricité) pour fabriquer des fibres synthétiques (ici du polyester), toutes dérivées du pétrole.
Ligne de soudage d’armatures métalliques parfois contenues dans les vêtements (fonctionne à l’électricité).
Usine de fabrication de colorants (fonctionne à l’électricité et à la vapeur).
Peigneuse à laine (fonctionne à l’électricité).
Vous allez à l’école déposer vos gamins ? A nouveau, ce geste quotidien n’est aujourd’hui possible qu’avec une kyrielle de machines : les engins de chantier et les usines de matériaux pour la construction de l’école, des usines de papier pour les livres et des usines chimiques pour fabriquer les encres d’imprimerie, la chaudière de l’école en hiver et parfois sa climatisation en été, sans oublier les chaises pour s’asseoir (machines pour travailler bois et plastique), et la voiture, le bus ou le métro qui a permis à l’enseignant(e) de venir s’occuper de votre charmant bambin…
Exemples de machines utilisées pour vous permettre de bénéficier d’un système éducatif en France
Carrière et cimenterie (bourrée d’engins fonctionnant au pétrole, au charbon et à l’électricité).
Voitures (fonctionnent au pétrole) pour amener élèves et enseignants.
Usine de laine de verre (fonctionne au gaz et à l’électricité).
Chaudière (fonctionne au gaz ou au fioul).
Usine de papier (fonctionne au gaz et à l’électricité).
Scierie industrielle (fonctionne à l’électricité) pour faire les meubles.
Vous passez un coup de fil ? Mais les nouvelles technologies, c’est dématérialisé ! Où sont les machines là-dedans ? En fait il y en a pléthore : des excavatrices pour le minerai de cuivre (pour les câbles), des fonderies pour les supports d’antenne, des usines pour graver les écrans des terminaux, toute la chimie amont, des engins de chantier pour enfouir les câbles ou couler le béton des supports d’antenne, la pétrochimie pour les gaines des câbles ou le boitier de la box…
Exemples de machines utilisées pour vous permettre de passer un coup de fil ou se servir d’Internet
Excavatrice de mine de cuivre (fonctionne au pétrole) pour extraire les minerais.
Excavatrice de tranchée (fonctionne au pétrole) pour faire passer les câbles.
Extraction de terres rares (fonctionne au pétrole et à l’électricité) qui sont utilisées pour la fabrication de composants électroniques.
Usine d’écrans plats d’ordinateurs (fonctionne à l’électricité, et donc au charbon le plus souvent). C’est gros !
Four à silicium (fonctionne à l’électricité) pour faire le silicium des composants électroniques, mais aussi des silicones.
Batterie de serveurs informatiques (fonctionne à l’électricité, et donc au charbon le plus souvent) pour piloter un réseau télécom ou internet.
Un jour où vous aurez le temps, faites le compte de tous les objets ou services que vous allez utiliser dans une journée, et pour chacun d’eux faites le décompte de toutes les machines qui ont été utilisées pour vous permettre d’en bénéficier, depuis la mine australienne de minerai de fer jusqu’à la fabrication du magasin où vous ferez vos courses. Le total va probablement vous donner le tournis !
La machine est assurément finale
C’est donc, chaque jour, une armée de machines que nous avons à notre disposition et qui vont « manger » de l’énergie pour nous satisfaire. Mais l’énergie que nos machines préférées aiment manger n’existe que rarement sous une forme prête à l’emploi dans la nature. Il n’est pas très commode de brancher un train ou un lave-linge sur les éclairs d’orage ; nos voitures adorées ne consomment pas du pétrole brut ; enfin si vous essayez de brancher directement une chaudière sur un réservoir de gaz naturel il n’est pas sûr qu’elle s’allume ou qu’elle fonctionne très longtemps (le gaz extrait du sol ne contient pas que du méthane, mais des composés divers dont certains sont corrosifs ou non combustibles, et il faut le traiter en sortie de puits).
Seuls les êtres vivants savent exploiter en direct l’énergie disponible dans la nature : les plantes sont armées pour utiliser en direct le rayonnement solaire (c’est la photosynthèse) pour alimenter leur métabolisme, et les animaux savent manger des plantes ou d’autres animaux sans traitement préalable, pour en « extraire » de l’énergie via la digestion puis le métabolisme de base des cellules. La « raffinerie » qui saura traiter le tout et faire le tri s’appelle leur système digestif.
Mais l’essentiel des machines que nous avons construites ne savent pas « digérer » en direct les énergies trouvées dans la nature. Ces énergies aptes à alimenter une machine doivent avoir déjà été traitées par un système énergétique, qui lui « mange » l’énergie qui se trouve dans la nature (qui s’appelle l’énergie primaire), et fournit en sortie ce qui va bien pour faire avancer un camion ou tourner une fraiseuse dans une usine, et qui s’appelle l’énergie finale (on dit « final » parce qu’elles sont à la fin du système énergétique).
Pour l’essentiel les énergies finales recouvrent :
- les carburants raffinés (essence, diesel, jet fuel, fioul lourd, etc), issus du pétrole, de cultures énergétiques, ou éventuellement de gaz ou de charbon (procédés gas to liquids ou coal to liquids) et qui seront utilisés par toute machine comportant un moteur à combustion,
- le gaz purifié, issu de gaz fossile ou de biogaz, et qui sera utilisé par une chaudière (y compris industrielle pour fabriquer du verre, par exemple) ou un moteur (celui des bus ou camions fonctionnant au gaz),
- le charbon « prêt à l’emploi » (trié, lavé, etc), et qui sera utilisé par une chaudière (centrales électriques, cimenteries), une version « réduite » de chaudière (un poêle domestique, très utilisés dans diverses régions du monde), ou par un haut fourneau (pour produire de l’acier).
- l’électricité, bien sûr, qui est l’énergie utilisée par la plus grande variété de machines (moteurs pour créer du mouvement, résistances pour créer chaleur ou lumière : radiateurs électriques ou ampoules, composants électroniques pour créer des embranchements ou des amplifications, circuits destinés à générer des ondes électromagnétiques : antennes radio, etc),
- le bois « prêt à l’emploi » pour les machines – en pratique des chaudières – qui en consomment (bûches séchées, pellets, sciures, etc),
- la vapeur, produite dans une chaudière, et utilisée dans un processus industriel (par exemple pour faire à peu près tous les cosmétiques !), ou pour alimenter du chauffage urbain,
- l’hydrogène, certes d’emploi marginal, mais qui est une forme d’énergie finale que certaines machines peuvent utiliser (piles à combustibles, mais aussi… moteurs à combustion interne ou chaudières).
- Et, plus généralement, toute forme d’énergie qui sort du système énergétique et qui peut être « mangée » par une machine qui va nous rendre service est une énergie finale. Il se trouve que c’est aussi sous cette forme que le « consommateur » (en fait l’utilisateur d’une machine !) va se procurer l’énergie, ce qui signifie le plus souvent l’acheter. L’essentiel des lecteurs de cette page ne saurait même pas où aller pour acheter une tonne de charbon brut, un kilo d’uranium ou un litre de pétrole brut. Par contre nous savons tous où aller pour acheter un litre de gasoil ou un kWh d’électricité !
Au risque d’être insistant, répétons-le : l’électricité (tout comme l’hydrogène) est une énergie finale, inexistante dans la nature, et obtenue à partir… d’autre chose (combustion du charbon ou du gaz, chute d’eau, fission d’atome, vent ou soleil ; il y a beaucoup de façons d’en faire, mais toutes n’ont pas le même potentiel ni les mêmes coûts). L’électricité est donc une énergie aussi propre – ou aussi sale – que la manière de la produire à partir d’autre chose.
Devenons un peu primaires
Les centrales électriques, comme les puits de pétrole et les raffineries, ou les réseaux de chaleur (qui fournissent de la vapeur, servant à chauffer les immeubles), sont donc des machines à « produire » de l’énergie finale. Une loi fondamentale de la physique (la loi de conservation de l’énergie) impose alors que, pour toute unité d’énergie finale qui sort d’une telle machine, il faut qu’au moins une unité d’énergie « autre » soit entrée dans la machine. En pratique, toute l’énergie entrée dans le système et qui n’en sort pas sous forme d’énergie finale constitue les pertes.
Le système énergétique représente alors tout ce qui va de l’énergie « telle qu’on la trouve dans la nature » (du pétrole brut, du charbon…) à l’énergie finale mentionnée ci-dessus. Il se compose notamment :
- des mines de charbon, puits de pétrole et de gaz, parfois exploitation forestière (pour le bois-énergie), et plus généralement de tout ce qui permet d’extraire des choses qui brûlent de l’environnement,
- des unités de traitement et de transformation du pétrole et du gaz : raffineries (pétrole), usines de traitement (gaz), éventuellement usines de liquéfaction du gaz ou du charbon, upgraders (pour les bitumes du canada), etc
- des moyens de transport des combustibles bruts ou raffinés (oléoducs, gazoducs, trains, bateaux, rarement camions), et des unités permettant de changer l’état d’un fluide (liquéfacteurs ou gazéificateurs pour le gaz) ou la forme d’un solide (usines de pellets pour le bois par exemple)
- des moyens de convertir une énergie thermique ou mécanique en électricité (centrales électriques de toute nature),
- du réseau permettant de transporter l’électricité,
- des moyens de convertir une énergie thermique en vapeur, et des canalisations pour transporter cette dernière (chauffage urbain)
- et, plus généralement, tout ce qui est inclus dans la chaîne qui va de l’énergie trouvée dans la nature à l’énergie finale décrite plus haut.
En sortie du système énergétique, nous trouvons donc l’énergie finale, prête à être consommée par les machines qui nous rendent la vie si douce. Et en entrée, nous allons trouver l’énergie disponible dans l’environnement, qui s’appelle de l’énergie primaire. Cette dernière peut se présenter sous diverses formes :
- du pétrole brut (quel que soit le gisement qui le contient : roche réservoir, roche mère, sable…)
- du gaz brut (idem sur le réservoir)
- du charbon brut
- du bois
- plus largement de tout ce qui peut brûler
- de l’eau disponible en altitude, qui pourra être concentrée dans un barrage puis turbinée pour fournir de l’électricité
- de l’eau qui coule dans un fleuve, qui peut être turbinée « au fil de l’eau » et fournir aussi de l’électricité
- de l’air qui se déplace (ce que l’on appelle du vent !) qui peut mettre en mouvement un dispositif de récupération comme une éolienne,
- du rayonnement solaire qui peut être converti en chaleur ou électricité par un dispositif approprié (un « panneau » ou… une véranda exposée plein sud !)
- des noyaux aptes à se casser en deux en libérant de l’énergie (uranium 235 présent dans la nature, ou d’autres éléments qui ne peuvent être créées que par les hommes : plutonium 239, uranium 233, etc).
- des noyaux aptes à fusionner en libérant de l’énergie (deutérium par exemple).
- de la chaleur emmagasinée dans la croûte terrestre (et qui vient des temps anciens ainsi que de la radioactivité naturelle des roches)
Perdons un petit quelque chose
Nous voici désormais avec de l’énergie disponible dans la nature (énergie primaire), un système énergétique qui l’extrait, la transforme en énergie finale, et la met à disposition du consommateur, industriel ou domestique.
L’énergie possède une grande loi : la loi de conservation. Cette dernière dit qu’il est impossible de créer de l’énergie (ou d’en détruire) à l’intérieur d’un système fermé. A cause de ce principe, le système énergétique ne peut pas sortir plus d’énergie finale qu’il n’y entre d’énergie primaire. En fait il sort même moins d’énergie finale qu’il n’y entre d’énergie primaire, et la différence entre les deux s’appelle des pertes. Sauf exception, il s’agit de l’énergie consommée par les machines qui composent le système énergétique, ou de chaleur perdue dans l’environnement à toutes les étapes du processus. On y trouve :
- l’énergie d’extraction, de raffinage ou de transport du pétrole
- l’énergie d’extraction, de purification ou de transport du gaz
- l’énergie d’extraction, de lavage et de transport (et parfois de séchage) du charbon
- l’énergie d’extraction et de transformation de l’uranium (pour passer du minerai aux assemblages qui sont enfournés dans les réacteurs)
- la chaleur perdue dans les centrales électriques : 85% de l’électricité mondiale est produite avec de la chaleur – combustion du charbon, du gaz, du pétrole, ou fission de l’uranium – qui ensuite sert à créer de grandes quantités de vapeur sous pression qui met en mouvement une turbine, qui elle-même entraîne un alternateur. Une large partie de la chaleur initiale n’est pas transformée en électricité, mais est « perdue » dans l’environnement, et ce n’est pas propre au nucléaire (c’est pareil avec charbon et gaz). Quand elle est récupérée – pour du chauffage urbain par exemple – on parle de cogénération.
- l’énergie perdue dans les opérations de stockage du système énergétique (stockage hydraulique avec remontée d’eau en altitude, stockage de gaz dans des cavernes souterraines, etc)
Au niveau mondial, les pertes du système énergétique représentent en gros 40% de l’énergie primaire, et les trois quarts de ce total prennent place dans la production électrique (l’électricité représente un peu plus de 20% de la consommation énergétique finale).
Part approximative de chaque énergie primaire dans les pertes du système énergétique mondial en 2013.
L’essentiel, et de très loin, est du aux combustibles fossiles !
Calcul de l’auteur sur données BP Statistical Review et Agence Internationale de l’Energie.
Devenons un peu français
Si nous appliquons à la France ce qui précède, nous obtenons le diagramme suivant :
Représentation schématique des flux d’énergie passant du primaire au final pour la France en 2010, en millions de tonnes équivalent pétrole
(une tonne équivalent pétrole = 11600 kWh).
L’essentiel des pertes se loge dans la production d’électricité, mais…. ce n’est en rien une particularité française !
Plus de très final pour moins de primaire : efficacité ou sobriété ?
Dans la chaîne qui va de l’énergie primaire à nos machines, nous n’en avons pas fini avec les pertes : au niveau d’une machine qui utilise de l’énergie finale, les pertes peuvent atteindre 95% entre l’énergie utilisée (carburant, électricité) et ce qui nous intéresse. Par exemple :
- l’énergie qui accélère une voiture ne représente que 20% à 40% de l’énergie thermique contenue dans le carburant (le reste est perdu comme chaleur dans le moteur et dans les frottements de tout le système mécanique),
- pour un moteur électrique, l’énergie mécanique en sortie de roues est plus proche de 80% de l’électricité qui sort de la batterie, mais par contre la batterie elle-même ne restitue que 80% à 90% de l’électricité qui y est entrée quand nous avons branché la voiture sur la prise électrique,
- une chaudière au gaz moderne convertit environ 90% du gaz qui entre en chaleur distribuée dans un logement, mais pour des installations anciennes ce taux est plutôt de 60% (le reste est perdu en cave, part dans les fumées, etc)
- l’énergie lumineuse qui sort d’une ampoule à incandescence représente environ 5% de l’électricité qui y est entrée (le reste est dissipé sous forme de chaleur)…
De ce fait, la chaîne qui va de l’énergie primaire à l’énergie utile (celle qui est vraiment à l’origine du service qui nous intéresse) perd « deux fois » : une fois en passant de l’énergie primaire à l’énergie finale, et une deuxième fois dans les machines qui utilisent l’énergie finale.
Représentation schématique du passage d’une forme d’énergie à une autre.
Les termes en gris au-dessus des flèches renvoient à qui peut agir pour baisser les pertes.
De là, nous comprenons une chose : si nous avons moins d’énergie primaire (pour des raisons d’approvisionnement contraint, ou d’émissions de CO2 volontairement diminuées), toutes choses égales par ailleurs nous aurons moins d’énergie finale, et, à nouveau toutes choses égales par ailleurs, moins de services à l’arrivée, puisqu’il y a toujours moins quand on passe de gauche à droite ci-dessus. Quand la contrepartie des produits ou services est économique, cela signifie aussi moins de PIB…
Mais c’est très simple, va dire l’observateur averti : il n’y a qu’à baisser les pertes ! En théorie c’est évident, mon cher Watson, et cela s’appelle même augmenter l’efficacité énergétique. Mai,s en pratique, cela signifie des choses très différentes selon l’objet et l’énergie concernés :
- Améliorer le passage de la gauche au milieu est une affaire d’ingénieurs, qui ne nécessite pas de contraindre le grand public (donc l’électeur). Augmenter de 1% le rendement d’une centrale électrique, d’une raffinerie, ou baisser de 1% les pertes d’un réseau électrique, ou passer d’un type de centrale (une centrale à charbon) à un autre (un barrage ou une centrale nucléaire ou plein d’éoliennes) ce sont des objectifs qui ne concernent que des entités bien précises, souvent pleines d’ingénieurs, et le changement – donc la contrainte – ne concerne, dans un premier temps, qu’un petit nombre d’individus. C’est la raison pour laquelle le politique en démocratie adore mettre des contraintes sur les énergéticiens : la population directement concernée étant peu nombreuse, il n’y a à peu près aucun risque électoral tant que cela ne se répercute pas sur la facture.
- Par contre, améliorer le passage du milieu à la droite est certes aussi une affaire d’ingénieurs (rendement des moteurs de voiture, des enveloppes de frigo, etc), mais une autre manière de gagner en consommation est aussi tout simplement de diminuer les services rendus par l’objet : moindres performances, taille plus petite, etc. Les gains en efficacité à performances identiques sont clairement du ressort des ingénieurs, mais le fait de prendre un objet à moindres performances plus du tout : cela va directement contraindre la consommation de tout le monde. Dans le premier cas on parle toujours d’efficacité, et le consommateur n’y trouve rien à redire (le même logement, faisant la même surface, et chauffé à la même température pour moins d’énergie, si ça ne coûte pas plus cher, qui est contre ?), mais dans le deuxième (j’habite un logement plus petit, j’achète une voiture plus petite, un frigo plus petit ou sans compartiment surgelés, etc) il s’agit de « sobriété ». La première s’obtient en contraignant essentiellement le producteur (le constructeur auto ou le fabriquant de frigos), souvent par des normes ou des réglementations (comme la réglementation CO2 sur les voitures vendues en Europe, ou les normes sur les bâtiments neufs en France), la deuxième en contraignant le consommateur, par des réglementations (il devient interdit d’acheter plus gourmand que ceci ou cela), ou de la fiscalité pour ce que l’on veut dissuader. Inutile de faire un dessin pour expliquer longuement ce qui a la préférence de l’élu !
Notons que la presse mélange bien trop souvent les trois types d’efficacité énergétique décrits ci-dessus… et que cela conduit, hélas, à laisser croire à l’électeur-consommateur que le gros gisement se situe dans la partie de gauche du diagramme – ou dans la partie de droite qui ne concerne que les ingénieurs – alors que les règles de trois montrent qu’il sera impossible de parvenir à respecter les limites physiques du monde sans faire aussi une partie (en fait une grosse partie !) du travail dans la partie de droite qui concerne la sobriété.
Et, de fait :
- le rendement du système énergétique (partie de gauche du diagramme ci-dessus), qui est une affaire d’ingénieurs, évolue lentement, car il est composé d’infrastructures à longue durée de vie : une centrale électrique dure 40 à 100 ans, une raffinerie des dizaines d’années, un oléoduc un siècle, etc. Modifier rapidement le rendement du système énergétique est donc impossible,
- le rendement du parc installé d’appareils qui consomment de l’énergie finale (partie de droite du diagramme ci-dessus), qu’il s’agisse de voitures ou de téléviseurs, de bulldozers ou de laminoirs, et qui est aussi une affaire d’ingénieurs, évolue lui aussi assez lentement. Il y a une erreur courante dans ce domaine, qui est de confondre l’efficacité des appareils disponibles à la vente dans l’année – car c’est sur ce sujet que communiquent les entreprises qui vendent les appareils concernés – et le rendement du parc installé. L’évolution de ce dernier dépend de la durée de rotation des appareils du parc (temps qu’il faut pour renouveler en totalité les éléments d’un parc). C’est une affaire de décennies pour les voitures (et cette durée s’allonge en période économiquement tendue) ou les camions, de siècles pour l’enveloppe des bâtiments, de décennies pour les usines, de décennies pour le matériel de transport roulant, volant ou navigant, d’une à deux décennies pour l’électroménager domestique (frigos, lave-linge, lave-vaisselle), et cela ne tombe sous la décennie que pour l’électronique (télévisions, ordinateurs, téléphones, etc), qui certes consomme une partie significative de l’électricité domestique (environ 30%), mais sur l’ensemble de l’énergie utilisée par les hommes ce n’est pas grand chose.
Si nous avons une contrainte poussant rapidement à la baisse l’énergie en volume (soit qu’il y en ait de moins en moins de disponible dans une zone, soit que l’on veuille la limiter pour éviter des émissions de CO2), la seule variable qui peut répondre rapidement est l’usage. Si nous le choisissons délibérément cela s’appelle de la sobriété, mais si nous le subissons cela devient… de la précarité : nous « subissons » moins de km en voiture, moins de degrés dans un logement, moins de m2 chauffés par personne, moins de production dans une usine, et… moins de pouvoir d’achat !
« Choisir » la sobriété est difficile dans la société de consommation, car cela demande de piloter de manière délibérée des évolutions comme :
- diminuer la surface de logement par personne (à ne pas confondre avec la performance du bâtiment qui augmente à surface constante, ça c’est de l’efficacité),
- avoir des voitures plus petites, moins puissantes, moins équipées (le low cost est donc une forme de sobriété),
- baisser le kilométrage annuel en voiture (et si domicile et travail sont fixes, c’est le reste qui baisse bien plus vite),
- avoir des appareils électroménagers moins performants (frigo plus petit, aspirateur moins puissant, etc),
- moins prendre l’avion pour ceux que cela concerne,
- acheter moins d’objets (aie aie aie !)…
Sans tourner autour du pot, la sobriété est donc une forme « d’anti-consommation », et c’est bien comme cela qu’elle est vue par une large fraction de ses promoteurs les plus visibles (qui ont parfois un peu de mal à mettre leur propre comportement en phase avec ce qu’ils préconisent pour les autres, mais c’est une autre histoire). A l’opposé, l’efficacité énergétique est au contraire une manière d’augmenter les usages – et le PIB – à énergie donnée. Marier les deux pour faire face à une décrue subie de l’approvisionnement énergétique – ce qui est aujourd’hui le cas en Europe – est donc moins simple qu’il n’y paraît !