NB : tous les chiffres cités ici sont extraits de « Tableaux des consommations d’énergie en France », Observatoire de l’Energie, édition 2001
La France vient de changer la manière dont l’électricité nucléaire se compare aux autres formes d’énergie (combustion directe du pétrole, par exemple). De ce fait, alors que l’électricité nucléaire représentait un peu plus de 30% de l’énergie consommée en France en 2000, elle ne représente plus que 16% en 2001. Comment une telle variation peut-elle s’expliquer ?
C’est qu’il y a plusieurs manières (en fait essentiellement deux) de comparer les diverses énergies. La nature ne met pas à notre disposition, sous une forme prête à l’emploi, toutes les variétés d’énergies que nous utilisons au quotidien : aucun processus naturel ne permet à l’électricité de « sortir du mur » toute seule ; il n’existe pas de fontaine naturelle d’essence ou de butane ; seules les plantes savent exploiter directement l’énergie solaire pour en faire autre chose que de la chaleur. Les énergies que nous utilisons, et qui sont qualifiées de « finales », sont obtenues à partir des sources disponibles dans la nature, qui sont qualifiées de « primaires ».
Ces dernières recouvrent les hydrocarbures bruts (charbons, pétroles, gaz naturel), les noyaux fissiles ou fertiles (essentiellement uranium 235 et 238, et thorium 232), les noyaux fusibles (avec lesquels on peut faire de la fusion nucléaire) ou susceptibles d’en produire (deutérium et lithium, ce dernier permettant de produire du tritium), la force mécanique des éléments (vent, eau, etc), le rayonnement électromagnétique du soleil, et la radioactivité naturelle de la planète (énergie géothermique).
A partir de ces sources d’énergie primaire nous allons obtenir des énergies finales (essence ou fioul, charbon purifié, gaz naturel purifié, électricité, énergie mécanique, etc), par des transformations diverses (comme le raffinage pour le pétrole). L’électricité, tout comme l’hydrogène, sont des énergies finales, inexistantes dans la nature, et obtenues par conversion d’une énergie primaire. L’énergie finale est donc l’énergie qui « sert à quelque chose » chez l’utilisateur final. C’est le litre de pétrole que l’on met dans la voiture, ou encore le kWh électrique qui actionne le lave-linge.
Il est alors facile de comprendre que l’on peut soit comparer les consommations d’énergie primaire, soit celles d’énergies finales. Pour passer de l’énergie primaire à l’énergie finale, il faut alors faire intervenir le rendement de l’installation de conversion (typiquement une centrale électrique dans le cas de l’électricité) et éventuellement du transport. D’une manière générale, un pays consomme toujours plus d’énergie primaire que d’énergie finale, la différence entre les deux représentant les pertes du systèmes énergétique. Par exemple, dans une centrale électrique dite thermique, on commence par produire de la chaleur, en brûlant un combustible, ou en cassant des noyaux d’uranium en 2, et cette énergie thermique sera partiellement convertie en électricité, le solde étant soit évacué dans l’environnement (cas standard), soit aussi partiellement récupéré sous forme de chaleur exploitable (co-génération). C’est parce que la France a changé, pour des raisons expliquées ci-dessous, la manière de comparer l’électricité nucléaire aux autres énergies que le pourcentage a diminué.
Energie primaire et énergie finale
Extrait de l’article “L’homme et l’énergie, des amants terribles”, dans le Magazine La Jaune et le Rouge.
La nature ne met pas à notre disposition, sous une forme prête à l’emploi, toutes les variétés d’énergies que nous utilisons au quotidien : aucun processus naturel ne permet à l’électricité de « sortir du mur » toute seule ; il n’existe pas de fontaine naturelle d’essence ou de butane, et seules les plantes savent exploiter directement l’énergie solaire pour en faire autre chose que de la chaleur. Les énergies que nous utilisons, et qui sont qualifiées de « finales », sont obtenues à partir des ressources disponibles dans la nature, qui sont qualifiées d’énergies « primaires ».
Ces dernières recouvrent les hydrocarbures bruts (charbons, pétroles, gaz naturel), la biomasse, les noyaux fissiles ou fertiles (essentiellement uranium 235 et 238, et thorium 232), les noyaux fusibles ou susceptibles d’en produire (deutérium et lithium), la force mécanique des éléments (vent, eau, etc), le rayonnement électromagnétique du soleil, et la radioactivité naturelle de la planète (qui alimente l’énergie géothermique).
A partir de ces sources d’énergie primaire nous allons obtenir, avec des énergies finales (essence ou fioul, énergie mécanique, etc), par des transformations diverses (comme le raffinage pour le pétrole). L’électricité, tout comme l’hydrogène, sont des énergies finales, inexistantes dans la nature, et obtenues par conversion d’une énergie primaire. Il est essentiel de noter qu’une source d’énergie primaire, pour concourir à notre approvisionnement, doit nécessairement fournir plus d’énergie que ce qui est nécessaire pour l’exploiter.
Un pays consomme toujours plus d’énergie primaire que d’énergie finale, la différence entre les deux représentant les usages internes ou les pertes du systèmes énergétique. Par exemple, dans une centrale électrique dite thermique, on commence par produire de la chaleur, en brûlant un combustible, ou en cassant des noyaux d’uranium en 2, et cette énergie thermique sera convertie en électricité pour 30% à 55%, le solde étant soit évacué dans l’environnement (cas standard), soit aussi partiellement récupéré sous forme de chaleur exploitable (co-génération).
Dans ce cas de figure l’énergie primaire est celle qui correspond au dégagement de chaleur résultant de la combustion ; l’énergie finale est celle qui ressort sous forme d’énergie exploitable : électricité seule le plus souvent (rendement allant de moins de 30% – c’est par exemple le cas des vieilles centrales à charbon chinoises ou américaines – à 55% pour les centrales à gaz les plus performantes), accompagnée de chaleur valorisable (le rendement global monte alors à 80%).
La différence entre énergie primaire et énergie finale inclut donc :
- la chaleur perdue dans l’environnement par les centrales électriques (chaleur perdue qui ne concerne pas que les centrales nucléaires !),
- l’énergie utilisée pour le raffinage et le transport des hydrocarbures,
- les pertes par effet joule dans le réseau électrique,
- l’énergie utilisée pour liquéfier le gaz naturel avant son transport par méthanier,
- et plus généralement tout ce qui se passe entre la source naturelle et la mise à la disposition de quelque chose directement exploitable par le consommateur final (particulier ou non).
Passage de l’énergie primaire à l’énergie finale pour la France.
Tous les chiffres sont en millions de tonnes équivalent pétrole
(une tonne équivalent pétrole ≈ 11600 kWh).
- à gauche, avec des flèches entrantes, l’énergie primaire importée ou produite sur le territoire
- à droite, avec des flèches sortantes, l’énergie finale consommée sur le territoire
- vers le haut, avec des flèches sortantes, les pertes et usages internes des industries de l’énergie
- vers le bas, avec des flèches sortantes, les exportations (qui sont de l’énergie finale, mais non consommée chez nous).
Enfin la correction climatique vise à « retraiter » la consommation réelle pour calculer ce qui correspond à une année climatique « normale » (ce traitement sert à rendre les chiffres comparables d’une année sur l’autre : on travaille fictivement à « climat constant »).
Combien consommons nous de quoi ?
La consommation d’énergie finale est généralement connue à partir des poids de carburant s’il s’agit de combustibles fossiles, et des kWh électriques s’il s’agit d’électricité.
Chaque combustible dispose d’un pouvoir calorifique propre, c’est-à-dire que lorsque l’on brûle une tonne de ce combustible, cela dégage une certaine quantité d’énergie, sous forme de chaleur, mesurable en joules (qui est l’unité d’énergie), ou plus exactement en milliards de joules, encore appelés gigajoules (Gj). Comparer entre eux deux combustibles ne pose aucun problème de méthode : on prend une tonne de chaque, on la fait brûler, on mesure la chaleur dégagée, et en comparant les quantités de chaleur dégagées par tonne brûlée on établit la correspondance.
Enfin, pour ne pas manier des milliards dans tous les sens, les énergéticiens ont l’habitude d’utiliser une unité plus commode que le gigajoule qui s’appelle la tonne équivalent pétrole (ou tep), qui vaut par définition 42 gigajoules (41,6 très exactement). Ainsi une tonne de pétrole dégage, par sa combustion, 1 tonne équivalent pétrole de chaleur, et les autres combustibles ont une mesure avec cette unité qui se présente comme suit :
Nature de combustible | Énergie dégagée par la combustion d'une tonne, en Gj | 1 tonne de ce combustible vaut, en tonnes équivalent pétrole.. |
---|---|---|
Houille | 26 | 0,619 |
Lignite | 17 | 0,405 |
Pétrole brut, gazole | 42 | 1,000 |
GPL | 46 | 1,095 |
Essence | 44 | 1,048 |
Il est alors possible de dresser un panorama d’ensemble de la consommation de combustibles en France avec une seule unité, et cela donne le tableau qui suit :
Nature d'énergie | Consommation finale en France en millions de tep (année 2000) |
---|---|
Combustibles fossiles solides (houille, lignite, etc) | 7,31 |
Combustibles fossiles liquides (pétrole et dérivés) | 76,90 |
Combustibles fossiles gazeux (gaz naturels) | 32,27 |
Energies renouvelables thermiques (essentiellement bois) | 11,26 |
TOTAL | 127,74 |
Mais l’électricité ? Le courant, cela ne brûle pas ! Certes, mais l’électricité transporte de l’énergie, et cette énergie peut aussi se mesurer en joules. Ainsi, un kWh (kilowatt.heure) vaut, par définition, 1.000 Watts consommés pendant une heure (soit 3600 secondes, je rappelle aux distraits !), d’où 1 kW.h = 3.600.000 joules. Si l’on prend l’unité avec un facteur 1000 supplémentaire, le MWh (mega-watt.heure, qui vaut 1.000 kWh), nous avons:
1 MW.h électrique = 3,6 milliards de joules = 3,6 Gj = 0,086 tep
C’est cette convention qui est utilisée sur le plan international, et qui signifie en gros : nous répartissons les Gj consommés par les utilisateurs finaux (c’est-à-dire la population et les activités industrielles ou tertiaires) par nature de source, et c’est la proportion de l’électricité dans ce total qui est significative. Nous parlerons encore de proportion de l’électricité dans l’énergie finale.
Comme la consommation d’énergie électrique en France a été de 400.000.000 MWh (ou encore 400 TWh ; 1 TWh = 1.000.000.000 kWh) en 2000 (source Observatoire de l’Energie), si nous convertissons cette électricité sur la base de l’énergie finale cela nous donne alors un chiffre de 400.000.000 x 0,086 = 34 millions de tep. La répartition se présente alors comme suit :
Nature d'énergie | Consommation finale en France en millions de tep (année 2000) | Part dans le total |
---|---|---|
Combustibles solides (houille, lignite, etc) | 7,31 | 4,5% |
Produits pétroliers | 76,90 | 47,5% |
Gaz | 32,27 | 19,9% |
Energies renouvelables thermiques (essentiellement bois) | 11,26 | 6,9% |
Electricité | 34,29 | 21,2% |
TOTAL | 162,03 | 100% |
Sachant que le nucléaire représente 80% de la production électrique française, alors, effectivement, avec cette répartition, sa part dans la consommation finale est de 16%. C’est en adoptant cette nouvelle convention, par opposition à celle qui prévalait avant et que j’expose ci-dessous, que la proportion de l’électronucléaire est devenue bien plus faible qu’avant.
En effet, disaient les Français (avant de changer de convention), les choses ne sont pas si simples : l’électricité ne tombe pas du ciel (en fait cela arrive quand même : c’est la foudre !), il faut la produire. Et donc, ce qui a un sens, pour l’électricité, n’est pas de comparer l’énergie dégagée chez le consommateur, mais l’énergie dégagée chez le producteur, pour faire « tourner » la centrale : si l’on remplace la fission des atomes pour faire de l’électricité, ce qui compte est la quantité de nouvelle énergie qu’il faut brûler dans la centrale pour avoir la même chose qu’avant. Si nous arrêtons le nucléaire pour le remplacer par des centrales à gaz, sans changer la consommation finale d’électricité, il peut être soutenu que c’est bien cette manière de voir les choses qui est pertinente.
Or, pour fournir un kWh électrique au consommateur final, c’est environ 2,5 kWh de chaleur qu’il faut avoir dans une centrale à gaz, compte tenu du rendement qui n’est que de 50% environ, des pertes en ligne, etc. Pour tenir compte de cet effet, jusqu’à une époque récente l’équivalence entre électricité et combustibles fossiles faisait intervenir cet argument et nous avions :
1 MW.h électrique = 0,222 tep
Avec cette équivalence, nous obtenons alors le tableau suivant :
Nature d'énergie | Consommation finale en France en millions de tep (année 2000) | Part dans le total |
---|---|---|
Combustibles solides (houille, lignite, etc) | 7,31 | 3,4% |
Produits pétroliers | 76,90 | 35,5% |
Gaz | 32,27 | 14,9% |
Energies renouvelables thermiques (essentiellement bois) | 11,26 | 5,2% |
Electricité | 88,80 | 41,0% |
TOTAL | 216,40 | 100% |
Et voici donc comment, en changeant la convention (équivalence énergétique dans la centrale électrique, ou équivalence chez le consommateur), la part de l’électricité varie du simple au double ! En outre notons que selon la convention choisie la consommation globale de la France augmente ou diminue de plus de 50 millions de tonnes équivalent pétrole….
N’y a-t-il pas un système « parfait » ?
A bien y réfléchir, nous devrions pouvoir nous arranger pour trouver un système qui colle au mieux dans tous les cas de figure. Comment faire ? Il y a peut-être une manière de faire : séparer deux sortes différentes d’électricité.
Une partie de l’électricité que nous utilisons comme énergie finale n’est pas « substituable » par d’autres sources d’énergie. C’est celle qui sert à s’éclairer (encore qu’il y aurait la lampe à pétrole !), à alimenter les ascenseurs et les lave-vaisselle, ou, dans l’industrie, à l’électrolyse ou à faire tourner les moteurs électriques. Les énergéticiens la désignent sous le terme « d’électricité spécifique » (son usage est spécifique, donc non substituable). Pour celle-ci, c’est bien l’équivalence dans la centrale qui a un sens : il faut faire de l’électricité de toute façon.
Par contre, pour l’électricité qui sert à se chauffer, ou à faire la cuisine, ou de l’eau chaude, c’est à dire à dégager de la chaleur, on pourrait tout aussi bien utiliser du gaz ou du pétrole pour faire la même chaleur. Toutefois, une installation de chauffage au fioul ou au gaz a un rendement de 60 à 80% (le reste part sous forme de chaleur dans la cheminée, avec les gaz de combustion, et dans la tuyauterie en cave) alors que le radiateur électrique – ou le ballon d’eau chaude – a un rendement de 100% ou presque.
Regardons alors les proportions consacrées à chaque usage.
Usage | Nombre de TWh | tep par MWh | Nombre de tep |
---|---|---|---|
Usages thermiques (chauffage etc) | 100 | 0,086 (*) | 8,6 |
Usages spécifiques (force motrice, électrolyse, éclairage, etc) | 300 | 0,222 | 66,6 |
Total | 400 | 0,188 (**) | 75,2 |
(*) en supposant que les installations de chauffage central ont un rendement de 100%.
(**) il s’agit de la moyenne calculée, bien sûr
Et, au final, au tableau suivant pour la comparaison avec les autres sources :
Nature d'énergie | Consommation totale en France en millions de tep (année 2000) | Part dans le total |
---|---|---|
Combustibles solides (houille, lignite, etc) | 7,31 | 3,6% |
Produits pétroliers | 76,90 | 37,9% |
Gaz | 32,27 | 15,9% |
Energies renouvelables thermiques (essentiellement bois) | 11,26 | 5,5% |
Electricité "adaptée" | 75,2 | 37,1% |
TOTAL | 203,00 | 100% |
Une base de comparaison qui essaie de « coller » au mieux à la réalité nous amène donc plus près de ce qu’était le coefficient français, et en tous cas c’est bien ce coefficient qui a un sens « physique ». En d’autres termes, si nous décidons de sortir du nucléaire, ce n’est ni 88 Mtep, ni 34 qu’il faut substituer par du pétrole et du gaz (ou des renouvelables pour une petite partie), mais de l’ordre de 75 Mtep, toutes choses égales par ailleurs.
Il y a deux exceptions à ce raisonnement : l’hydroélectricité et l’éolien, qui ne nécessitent pas une étape intermédiaire de production de chaleur pour produire de l’électricité. Pour eux, c’est bien l’équivalence « énergie finale » qui a un sens.