Quel est le juste prix de l’électricité ? N’importe quoi entre zéro et 50 centimes du kWh, voire plus. Quiconque expose que le juste prix c’est tant et pas autre chose ne fait, en pratique, que fournir le résultat d’un calcul qui a supposé une foultitude d’hypothèses. S’il reprend le résultat sans avoir fait le calcul, l’avocat d’un prix donné se fait alors le porte-parole d’hypothèses bien précises, sans toujours en avoir conscience…
Qu’est-ce que « produire » de l’électricité ? Sur le plan physique, cette expression désigne une opération on ne peut plus simple : transformer une énergie dite primaire, c’est-à-dire que l’on trouve dans l’environnement (du gaz, du charbon, une chute d’eau, etc) en de l’électricité d’une part, et des « pertes » d’autre part. Ces dernières correspondent à la fraction de l’énergie entrante dans une centrale qui ressort sous forme de chaleur non valorisée.
Le plus souvent il s’agit de la chaleur évacuée par un système de refroidissement, mais ce peut être aussi de la chaleur perdue dans des gaz d’échappement (cas des centrales à charbon, à fioul ou à gaz), ou dissipée par friction, comme par exemple dans le cas d’un barrage (à cause du frottement de l’eau contre les conduites forcées ou des pièces diverses de la turbine) ou d’une éolienne (friction de l’air contre les pales ou friction des pièces mobiles contre les pièces fixes).
Rappelons que 85% de la production électrique mondiale (en 2011) est effectuée en commençant par faire bouillir de l’eau pour ensuite faire tourner une turbine à vapeur (ce qui vaut pour les centrales à charbon, à gaz, à fioul, et nucléaires, l’ensemble de tout cela s’appelant centrales thermiques). Les seules centrales thermiques qui n’utilisent pas de cycle vapeur sont des turbines à combustion, sorte de moteurs d’avion fixés au sol où ce sont directement les gaz de combustion qui entraînent une turbine (comme pour un avion). Leur rendement est mauvais et elles servent pour l’hyper-pointe, quelque centaines d’heures par an.
Décomposition par type d’énergie primaire de la production mondiale d’électricité en 1973 et en 2007.
La catégorie « other » regroupe la valorisation des déchets, la biomasse, l’éolien, la géothermie, le marémoteur, le photovoltaïque, etc.
Le charbon représente environ 40% de l’ensemble depuis de nombreuses décennies.
Charbon, gaz, pétrole et nucléaire sont les modes dits thermiques (on utilise l’expression « thermique à flamme » pour le charbon, le pétrole et le gaz).
Source : AIE, key energy statistics, 2009.
Quand la chaleur n’est pas valorisée, le rendement de ce genre d’installation oscille entre 20% pour une turbine à combustion ou une très mauvaise et très vieille centrale à charbon (45% pour les plus performantes) et 55% pour la plus performante des centrales à gaz (avec cycle combiné : on utilise à la fois la vapeur produite pour une turbine à vapeur, et les gaz de combustion – qui sont uniquement composés d’azote, de CO2 et vapeur d’eau, donc rien de très corrosif – pour faire tourner une turbine à gaz). Sans cycle combiné, le rendement d’une centrale thermique neuve plafonne actuellement à 45%, mais ce n’est pas le cas du parc dans son ensemble, qui comporte de nombreuses unités plus anciennes. Le rendement moyen des centrales à charbon dans le monde – qui est égal au rendement moyen des centrales nucléaires dans le monde – est de 33% environ.
Quand la chaleur est valorisée, on parle alors de cogénération, et le rendement de l’installation s’obtient en ajoutant ce qui sort sous forme d’électricité et sous forme de chaleur utile (par exemple pour alimenter un réseau de chauffage urbain) et en divisant cet ensemble par l’énergie entrante (il reste toujours des pertes). C’est seulement à cette condition – la valorisation de chaleur – que l’on peut atteindre 80% de rendement (le reste part dans les fumées et les frottements). Cette cogénération peut se faire avec tous types de centrales thermiques (il existe aussi des installations de cogénération sur des centrales nucléaires).
Pour « produire » de l’électricité, il faut donc, en pratique :
- un dispositif de conversion, appelé « centrale électrique »,
- une énergie entrante dans cette centrale : charbon, gaz, fioul, matière fissile (nucléaire), chute d’eau, vent, soleil, chaleur concentrée (géothermie ou solaire à concentration), bref n’importe quelle énergie disponible dans l’environnement,
- des infrastructures pour gérer les sous-produits indésirables (cendres, fumées, déchets radioactifs, etc),
- un réseau électrique pour évacuer l’électricité produite.
Une centrale n’est donc jamais indépendante d’un système plus large dans lequel elle s’inscrit : il faut en particulier qu’existent des industries permettant son approvisionnement en énergie entrante (industrie charbonnière, gazière, minière pour l’uranium, etc), un réseau électrique capable d’évacuer l’électricité produite (qui n’est pas différente selon qu’il s’agit d’une centrale à gaz ou nucléaire !), et qui sache faire correspondre à tout moment la puissance injectée par les centrales avec la puissance soutirée par les consommateurs car, par sa nature même (des électrons en mouvement), l’électricité ne se stocke pas.
Il faut aussi des entités permettant la surveillance des installations, qu’il s’agisse de la conformité des rejets polluants ou de la température de sortie des eaux de refroidissement pour une centrale thermique, du respect des débits d’étiage pour un barrage ou de la conformité des rejets radioactifs pour une centrale nucléaire. Il faut aussi des filières industrielles – et la R&D amont – pour concevoir, construire et maintenir les centrales, bref il en faut des choses !
Parlons pognon pour l’énergie primaire
Pour bien faire les choses nous allons commencer par parler argent avec… ce qui ne coûte rien à personne ! Et pourtant c’est l’essentiel, car ce qui ne coûte rien à personne c’est l’existence de l’énergie primaire. De fait, personne sur terre n’a jamais rien payé pour la formation du pétrole ou du charbon, pour la formation des montagnes et l’existence d’un cycle de l’eau, nécessaires pour l’hydroélectricité, pour l’existence de noyaux fissiles dans la croûte terrestre, ou encore pour que souffle le vent ou brille le soleil. Au risque de surprendre quelques partisans des énergies « vertes », rappelons que le pétrole est tout aussi gratuit que le vent, personne n’ayant payé quoi que ce soit pour leur existence sur cette planète dans un cas comme dans l’autre.
Ce qui est payant, quelle que soit l’énergie primaire considérée, c’est la rémunération qu’il faut verser aux hommes pour extraire de l’environnement un kWh qui s’y trouve déjà, sous forme de pétrole ou sous forme de vent. Dans notre système économique, le « prix » d’un objet – fût-ce un baril de pétrole – n’est que la somme des rémunérations – salaires et rentes – reçues par les hommes pour passer des ressources initiales, gratuites, à l’objet terminé constitué de ressources transformées (ou à la ressource extraite de l’environnement).
Si l’existence d’une énergie primaire ne coûte rien à personne, sa mise à disposition de la centrale électrique va par contre coûter la contribution humaine permettant son extraction et son acheminement. Ainsi :
- le charbon (pour celui utilisé dans les centrales on parle de charbon vapeur) s’achète de 30 à 150 dollars la tonne, prix qui inclut :
- le travail humain d’extraction et de lavage du charbon, qui vaut de 15 à 35 dollars la tonne,
- le coût du transport jusqu’à la centrale, qui vaut de zéro (centrale sur le carreau de la mine, ce qui arrive souvent) à 60/70 dollars par tonne (quand il y a un long trajet en train). Avec juste du transport par bateau (centrale sur un port, comme par exemple au Havre) ce coût est de l’ordre de 10 dollars par tonne,
- et puis le droit d’accès à la ressource au propriétaire du moment, qui est soit le propriétaire de la mine, soit le négociant, qui empoche la marge quand le prix de marché est très supérieur au coût d’extraction et de transport.
30 à 150 dollars la tonne de charbon-vapeur, cela signifie 3,5 à 17 euros le MWh de charbon (attention ! il ne s’agit pas de MWh électrique, mais bien du contenu énergétique de la combustion du charbon). Avec un rendement moyen de 33% d’une centrale à charbon, cela signifie que l’achat du charbon va représenter 10 à 50 euros par MWh électrique en sortie de centrale (qui n’est pas le prix auquel le particulier ou l’industriel paye son électricité, on y viendra plus bas !). Rappelons qu’un MWh c’est 1000 kWh.
- quand il s’agit de gaz, le prix d’achat est très variable selon le continent, car le gaz est une énergie régionale :
- il faut toujours payer le coût d’extraction et de purification du gaz, qui varie de 1 à 15 euros par MWh, en fonction des conditions d’extraction et de la nature du gaz (car il y a différentes qualités de gaz comme il y a différentes qualités de pétrole ; certains sont très acides, très sulfurés, etc, et leur purification coûte plus cher),
- il faut aussi payer le coût du transport, qui varie lui aussi de 1,5 à 15 euros par MWh,
- enfin comme pour le charbon il faut payer les rentes aux propriétaires du gisement, et aux intermédiaires qui commercialisent.
A l’arrivée, le prix du MWh de gaz se promène entre 6 euros (aux USA mi-2012) et 40 à 50 euros (Japon, arrivé sous forme liquéfié, 2012). Avec un rendement moyen de 45% d’une centrale à gaz, cela signifie que l’achat du gaz va représenter de 15 à 110 euros par MWh électrique en sortie de centrale.
- Parlons maintenant pétrole, même si c’est juste 5% de la production électrique mondiale :
- à nouveau il faut payer le coût d’extraction du pétrole, qui varie de 2 à 60 dollars par baril, soit 1 à 30 euros par MWh (1 euro c’est pour les vieux champs du Moyen Orient, 30 pour les machins horriblement compliqués dans des zones où vous n’avez aucune envie de mettre un pied),
- il faut payer son transport, mais transporter du pétrole est facile et cela coûte souvent moins d’un euro par MWh,
- il faut payer son raffinage, car une centrale ne brûle pas du pétrole en direct, mais du fioul lourd, et le raffinage coûte quelques dollars par baril, soit environ 2 euros par MWh,
- mais plus encore que pour les autres énergies il faut payer les rentes aux propriétaires du gisement, et aux intermédiaires qui commercialisent le précieux or noir.
A l’arrivée, le prix du MWh de pétrole vaut 10 euros quand le baril est à 20 dollars (ce qui a été le cas pour l’essentiel du 20è siècle en dollars constants), et 50 euros quand le baril est à 100 dollars. Mais… à nouveau, les centrales achètent du fioul lourd, qui est coté de manière distincte du pétrole, et vaut environ 700 dollars par tonne en 2012, soit… un peu plus de 50 euros le MWh (donc le même prix que le pétrole à un poil près). Avec un rendement moyen de 35-40% d’une centrale à fioul, cela signifie que l’achat du fioul lourd va représenter 30 à 150 euros par MWh électrique en sortie de centrale (et cela explique pourquoi ces centrales sont généralement dédiées à la pointe, au moment où le prix de marché du MWh « de gros » dépasse cette valeur).
- Passons maintenant au nucléaire. Si les acteurs sont totalement différents, les composantes de la mise à disposition de l’énergie primaire sont toujours les mêmes :
- il faut payer le coût d’extraction et de purification du minerai d’uranium, pour aboutir à de l’oxyde d’uranium naturel,
- il faut aussi payer le coût du transport, mais compte tenu des petites quantités transportées (un kg d’uranium naturel fournit autant d’énergie, par fission de l’isotope 235, que 7 tonnes de pétrole), il est complètement négligeable dans le total (l’uranium naturel se manipule à mains nues, car il n’est pas très radioactif),
- enfin il faut payer les rentes aux propriétaires du gisement, et aux intermédiaires qui commercialisent.
L’uranium se vend alors 15 à 50 dollars par livre d’oxyde d’uranium (U3O8), soit 40 à 130 dollars par kg d’uranium. Or un kg d’uranium naturel fournira 6 grammes de matière fissile, qui libérera environ 70 MWh de chaleur. Cela signifie que l’achat de l’uranium va représenter 0,5 à 1,5 euro par MWh de chaleur. Une centrale nucléaire ayant un rendement de 33% en moyenne, cela signifie que l’uranium lui-même représente 1,5 à 5 euros par MWh électrique en sortie de centrale. Mais l’essentiel des centrales nucléaires ne consomment pas de l’uranium naturel, mais de l’uranium enrichi. Le coût du reste du cycle amont du combustible (enrichissement, fabrication des assemblages de combustible, etc) conduit grosso modo à un doublement du coût de l’uranium naturel, soit 3 à 10 euros par MWh électrique, en fourchette large, pour le coût du combustible « prêt à être mis dans le réacteur ».
Pour le nucléaire il y a bien sûr la gestion des déchets, mais cela n’est pas la mise à disposition de l’énergie primaire, et ce point est donc abordé plus bas, dans les coûts d’exploitation non liés au combustible (le nucléaire n’est pas le seul à en avoir).
- Pour le bois, et les dérivés de la biomasse, nous allons retrouver des coûts d’extraction (bûcheronnage, débardage), de transformation (en plaquettes), etc, et des rentes payées au propriétaire de la forêt, avec une énergie primaire – le soleil – et un processus – la photosynthèse – qui ne coûte rien à personne.
- Pour les autres modes (hydroélectricité, vent, soleil, etc), la mise à disposition de l’énergie primaire ne coûte rien, car à la différence des modes ci-dessus, pour lesquels l’extraction de l’énergie primaire de l’environnement se passe ailleurs que là où est la centrale, pour les énergies renouvelables le dispositif de production électrique est mis pile là où se trouve l’énergie primaire (le barrage là où il y a de l’eau pouvant chuter, l’éolienne là où il y a du vent, le dispositif géothermique là où il y a de la chaleur souterraine, etc). Une autre manière de conclure la même chose est qu’il n’est plus possible de séparer mise à disposition de l’énergie primaire et gestion de la centrale, car c’est le même dispositif qui fait tout.
On se résume ! Voici donc les coûts de la mise à disposition du combustible pour les divers modes de production électrique actuellement utilisés.
Charbon | Gaz | Pétrole | Nucléaire | Autres | |
---|---|---|---|---|---|
Coût du combustible, euros par MWh d'énergie entrante (min historique) | 3,5 | 6 | 10 | 1 | 0 |
Coût du combustible, euros par MWh d'énergie entrante (max historique) | 17 | 50 | 50 | 3 | 0 |
Rendement typique d'une centrale (parc installé) | 33% | 45% | 35% | 33% | 0% |
Coût du combustible, euros par MWh électrique (min historique) | 10 | 13 | 30 | 3 | 0 |
Coût maximum du combustible, euros par MWh électrique (max historique) | 50 | 110 | 150 | 10 | 0 |
Attention : les coûts minimum et maximum ci-dessus sont pour le passé ! Pour l’avenir ça pourrait être différent… et nous y revenons plus bas.
Parlons un peu pognon dans le béton
Après la source d’énergie primaire, il faut régler un autre point de détail : disposer de l’installation de conversion (de l’énergie primaire en électricité) qui s’appelle une centrale électrique. Cette « chose » va devoir être construite (ce qui coûte un bras) et gérée ensuite (ce qui coûte quelques orteils). Avant d’aller plus loin, attardons nous sur une petite subtilité sur les unités qui est parfois la source de (très) grosses erreurs. Pour l’énergie produite ou consommée, dans les comparaisons on ramène tout à des unités… d’énergie (ouf), la plus orthodoxe étant le joule, d’autres un peu moins orthodoxes étant le kWh (3,6 millions de joules) ou le British Thermal Unit (1059 joules, ah ces anglo-saxons…), et les plus inorthodoxes étant la tonne équivalent pétrole (environ 42 milliards de joules) ou le baril équivalent pétrole (5,72 milliards de joules, excusez du peu).
Mais quand il s’agit de centrales électriques, on se met à parler puissance, car c’est cela qui conditionne le coût de construction. Et, en pratique, quand on parle de la puissance d’une installation, parfois appelée puissance nominale, ce que l’on désigne en fait est sa puissance maximale (mais on peut bien sur la faire fonctionner en-dessous). Voici quelques ordres de grandeur :
- une tranche à charbon typique a une puissance maximale de quelques dizaines à un millier de MW (megawatts, un million de watts), et c’est pareil pour une centrale à gaz ou à fioul ; il peut bien évidemment y avoir plusieurs tranches sur un même site (on a en général une cheminée par tranche en pareil cas, donc il suffit de compter les cheminées pour savoir combien il y a d’unités distinctes), et à ce moment les puissances s’ajoutent,
- un barrage a une puissance maximale qui vaut n’importe quoi entre quelques kW (un kW = 1000 watts) et quelques GW (un GW = un milliard de watts = 1000 MW = 1000000 de kW) selon que c’est une petite chute sur une petite rivière (genre moulin à eau) ou un grand barrage de lac dans les montagnes (celui des Trois Gorges a une puissance de 16 GW),
- un réacteur nucléaire a une puissance maximale qui se trouve quelque part entre quelques centaines de MW et plus d’un GW (l’EPR c’est 1,6 GW), et là aussi on peut avoir (c’est même généralement le cas) plusieurs réacteurs sur le même site (il y a généralement un aéroréfrigérant par réacteur sur site, mais pas toujours !),
- quand on passe aux unités de valorisation des déchets on descend en général d’un ordre de grandeur, et la puissance maximale typique est de quelques dizaines de MW, ordre de grandeur qui vaut aussi pour la géothermie ou les unités de valorisation de la biomasse (quoi que ces dernières puissent avoir la puissance d’une tranche à charbon quand ce sont justement des centrales à charbon reconverties),
- quand on passe aux éoliennes on descend encore d’un ordre de grandeur, et la puissance typique d’une machine est de quelques MW. Les éoliennes sont cependant souvent rassemblées en « champs » ou « fermes » qui comportent de quelques éoliennes à quelques dizaines (ferme, quel nom bizarre quand on y pense, comme si on faisait de l’élevage de bébés éoliennes avec des éoliennes mâle et femelle ! Enfin on me répondra qu’il y a aussi des « fermes » de serveurs informatiques, et qu’il n’y a pas non plus d’ordinateur mâle et femelle ni de poussin ordinateur…),
- quand on passe aux panneaux photovoltaïques on descend de 3 ordres de grandeur, et l’unité de puissance installée devient le kW. Là aussi on peut faire des unités plus grosses en mettant plein de panneaux au même endroit (installations au sol) et alors la puissance peut monter à quelques centaines de MW,
- il existe aussi des unités « rares », c’est-à-dire peu répandues, comme le solaire à concentration, le marémoteur, l’hydrolien, l’énergie des vagues, et pour ces dispositifs la puissance maximale varie de quelques centaines de kW à quelques centaines de MW.
Les coûts de construction se rapportent toujours à la puissance installée. Le tableau ci-dessous donne des fourchettes de coût pour un certain nombre de centrales.
Hydraulique | Charbon | Gaz | Nucléaire | Eolien à terre | Eolien en mer | Photovoltaïque | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Coût (€ par kW installé) | 600 - 5000 | 1000 - 2000 | 500 - 1000 | 3000 - 4000 | ≈1000 | 3000-4000 | 1500 à 4000 |
Montant pour 500 MW (milliards d'euros) | 0,3 - 2,5 | 0,5 - 1 | 0,25 - 0,5 | 1,5 -2 | ≈ 0,5 | 1,5 -2 | 0,75 - 2 |
On voit facilement ci-dessus que le coût de construction le plus bas concerne le gaz, puis vient le charbon, puis l’hydraulique et le nucléaire. L’éolien ne coûte pas très cher en apparence, mais comme son taux d’utilisation est bien plus bas, la contribution par kWh produit est bien plus élevée. On en reparle ci-dessous.
Comme en pratique l’électricien assure rarement lui-même la construction de la centrale qu’il va exploiter ensuite, les valeurs ci-dessus correspondent à ce qui sera payé au constructeur de la centrale par l’électricien. Mais pour obtenir la contribution de l’investissement initial au coût de production du MWh il ne suffit pas de diviser le coût de construction par la quantité totale de MWh produits par l’installation pendant sa durée de vie. Un petit peu de finance est passé par là, comme nous allons le voir !
Parlons un peu actualisation
L’électricien a donc payé « cash » (même s’il a du emprunter de l’argent pour cela) le coût de construction. Par contre, ses recettes ne vont pas arriver en une nuit : elles rentreront au fur et à mesure des kWh qu’il vend, et il va vendre des kWh pendant toute la durée de vie de l’installation (enfin au moins il le pense, et c’est comme cela qu’il fait ses calculs).
Comment l’exploitant fait-il pour inclure le coût de construction dans le prix de vente du kWh ? Il va commencer par diviser le coût de construction par la durée de vie, et cela donne la somme qu’il doit imputer chaque année à l’amortissement de la construction. Mais ensuite il va généralement considérer que si l’argent non encore amorti n’avait pas été bloqué dans l’infrastructure, il aurait été placé « ailleurs » et aurait fait des petits.
Dans le calcul de son prix de revient, il va donc faire « comme si » il avait emprunté la totalité de l’investissement, dont il remboursera chaque année une partie. Cette partie correspond au coût de construction divisé par la durée de vie, et augmenté chaque année des intérêts de portage entre le moment où il a sorti l’argent et l’année où il rembourse (grâce à la vente de l’électricité). Le taux auquel ces intérêts de portage sont calculés s’appelle un taux d’actualisation.
Combien vaut ce taux ? C’est toute la question, et cela dépend en premier lieu du fait que l’argent ait effectivement été emprunté ou pas. Si l’électricien a vraiment du aller voir son banquier pour construire sa centrale, ce taux sera nécessairement supérieur au taux d’intérêt de l’emprunt. Si l’électricien a trouvé son argent autrement (bénéfices réinvestis, augmentation de capital, obligations, etc), le niveau de ces intérêts dépend des attentes des personnes ou entités qui ont permis la disponibilité de l’argent. Dans tous les cas de figure, il y aura effectivement de l’argent qui va sortir de ses poches au titre de la rémunération de l’argent utilisé, qu’il s’agisse d’intérêts (emprunts, obligations), de plus-values ou de dividendes (apports en capital).
Dans tous les cas de figure, ce taux d’actualisation dépend généralement du « potentiel de croissance de l’économie ». En effet, si « on » s’attend à un taux de croissance très élevé, on se dit alors que quel que soit l’endroit où l’argent est placé il rapportera beaucoup, et cela pousse à augmenter le taux d’actualisation. Par contre, si nous sommes en récession, les agents économiques s’attendent globalement à gagner moins d’argent par euro de capital placé quelque part.
La valeur choisie pour ce taux d’actualisation ne peut donc pas être définie par une loi rigoureuse. On peut éventuellement l’approcher par l’expérience en demandant à un agent économique donné si il préfère avoir 100 tout de suite ou 100+x dans un an en plaçant son argent. Si x = 0, il est évident que presque tout le monde préférera avoir l’argent tout de suite plutôt que la même somme plus tard. Si x = +∞ tout le monde acceptera d’attendre un an pour gagner la grosse cagnotte du Loto. Et il y a une valeur de x, « quelque part » entre 0 et l’infini, pour laquelle la personne à qui on pose la question dit que les deux éventualités sont équivalentes. C’est une valeur empirique du taux d’actualisation pour cette personne. Plus ce taux est élevé, et plus la préférence pour le présent est forte : il faut alors payer beaucoup plus pour que la personne qui doit encaisser de l’argent accepte d’attendre.
Ce taux d’actualisation est donc dépendant :
- du contexte macro-économique : plus l’espérance de croissance est élevée, plus ce taux a tendance à être élevé,
- de l’agent économique : la collectivité publique, qui normalement raisonne à long terme, peut (doit !) pratiquer des taux d’actualisation bas (0 à 5%), puis les entreprises industrielles pratiquent des taux plus élevés (5% à 12%), le monde financier des taux plus élevés encore (15%, voire plus), et enfin les particuliers (vous et moi) pouvons raisonner avec des taux d’actualisation qui vont jusqu’à 30% !
Pourquoi cette longue dissertation sur un élément qui peut paraître abstrait ? Parce que sur des installations qui demandent un investissement initial conséquent (ce qui est le cas d’une centrale électrique) et qui vont durer longtemps, la valeur choisie pour ce taux conditionne de manière très importante le prix minimum auquel il faudra vendre l’électricité.
Contribution de l’investissement au coût de production en euros par MWh électrique, pour les principaux dispositifs de production pilotables, en fonction du taux d’actualisation.
(1MWh = 1000 kWh)
Attention : ces chiffres ne donnent pas le coût complet d’un MWh, mais juste la part de l’investissement initial (il faut rajouter les coûts d’exploitation et d’autres bricoles que nous verrons plus bas). Les hypothèses complémentaires utilisées pour ce calcul sont détaillées dans le tableau ci-dessous.
Charbon | Charbon CCS | Cycle combiné gaz | Nucléaire 3G | Hydraulique | |
---|---|---|---|---|---|
Durée de vie | 40 ans | 40 ans | 30 ans | 60 ans | 60 ans |
Taux d'utilisation | 80% | 80% | 80% | 80% | 40% |
Investissement | 1500 €/kW | 3500 €/kW | 814 €/kW | 4000 €/kW | 3500 €/kW |
Rendement | 40% | 30% | 55% | 35% | - |
On voit que le « coût de l’investissement » est terriblement dépendant de ce fameux taux d’actualisation. Comme bien évidemment aucun électricien ne souhaite vendre en dessous du coût de revient, les courbes ci-dessus donnent la valeur minimale du prix de vente par MWh électrique en fonction du taux d’actualisation que l’électricien aura retenu.
Exemple : pour un barrage nouvellement construit, dont la durée de vie est de 60 ans, utilisé 40% du temps, et coûtant 3500 euros par kW installé, le MWh doit être vendu au moins 20 euros si emprunter l’argent est gratuit (taux d’actualisation = 0), et 100 euros si le taux d’actualisation est de 10%.
Bien entendu, il faut aussi rajouter le coût de l’énergie primaire si elle est payante – ce n’est pas le cas pour un barrage – et les autres coûts d’exploitation divers : salaires, redevances le cas échéant, maintenance, etc.
On voit sur le graphique ci-dessus que le mode de production qui demande le moins de capital par MWh est le gaz, puis le charbon. A l’opposé, les deux modes « sans carbone » et centralisés que sont le nucléaire et l’hydroélectrique sont es plus intensifs en capital. On en tirera quelques conclusions plus bas.
En outre certaines centrales sont longues à construire, ce qui augmente la durée qu’il faut prendre en compte pour le « portage » du capital (il faut aussi porter ce dernier pendant la construction sans rien gagner en regard). Le tableau ci-donne quelques valeurs caractéristiques pour cette durée de construction.
Hydraulique | Charbon | Gaz | Nucléaire | Eolien à terre | Eolien en mer | Photovoltaïque | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Durée de construction | 1 à 10 ans | 4 à 5 ans | 3 à 4 ans | 7 à 10 ans | 1 an | 1 à 3 ans | < 1 an |
Parlons un peu taux d’utilisation du béton
Dans les éléments qui entrent en ligne de compte pour calculer le coût de production d’un kWh, il y a aussi le taux d’utilisation. En effet, tous les types d’installation ne fonctionnent pas à leur puissance maximale 24 heures par jour et 365 jours par an. Cela peut venir d’une demande qui n’est pas constamment à son maximum, d’arrêts pour maintenance, d’un coût de production marginal qui dépasse le prix de vente à ce moment là, d’une énergie primaire non disponible (barrage, éolienne…).
En pratique, pour passer de la puissance installée à l’électricité produite pendant l’année, on utilise souvent une notion qui est « le nombre d’heures utiles ». Il s’agit du nombre d’heures pendant laquelle l’installation devrait fonctionner à pleine puissance pour produire l’électricité effectivement fournie en fin d’année. Pour toute installation de production d’électricité, on peut donc écrire que :
Production électrique annuelle en MWh = puissance installée en MW × nombre d’heures utiles
Au maximum, ce nombre d’heures est de 8760 (soit 24 heures par jour * 365 jours par an). Mais, comme indiqué ci-dessus, il est souvent inférieur, soit parce que l’on diminue volontairement la puissance effective de la centrale (car la consommation électrique n’est pas constante), soit parce que le coût du seul combustible (pétrole, gaz, charbon) dépasse le prix de marché de l’électricité à un moment donné, soit parce que la source d’énergie primaire n’est pas disponible en permanence, ce qui est le cas pour :
- l’hydroélectricité de barrage (les précipitations annuelles d’un bassin versant sont rarement suffisantes pour faire fonctionner l’équipement à pleine puissance toute l’année)
- le solaire (le soleil n’est manifestement pas disponible la nuit !)
- l’éolien (le vent ne souffle pas à pleine puissance en permanence)
En pratique, le nombre d’heures utiles est de 2500 à 6000 dans l’année pour l’hydraulique de lac, de 1000 à 2000 (exceptionnellement plus) pour le solaire photovoltaïque, de 1000 à 8000 pour les modes fossiles, de 7000 à 8000 pour le nucléaire, et de 1500 à 3000 pour l’éolien (exceptionnellement plus, et parfois moins).
Plutôt que ce parler en heures, de nombreux spécialistes utilisent plutôt l’expression « facteur de charge », qui est le pourcentage par lequel il faut multiplier le total d’heures dans l’année (soit 8760) pour obtenir les heures utiles. A ce moment on écrit aussi
Production électrique annuelle en MWh = puissance installée en MW × 8760 × facteur de charge (en %)
Ainsi, un facteur de charge de 20% correspond à 8760*20% ≈ 1750 heures utiles, et signifie que la production annuelle effective est identique à ce qui serait produit si l’installation tournait à pleine puissance 20% du temps et pas du tout le reste de l’année. Le tableau ci-dessous donne les fourchettes de facteur de charge pour divers types d’installation de production électrique (valeurs les plus courantes, on peut toujours avoir plus ou moins dans des cas particuliers). Ce taux ne peut bien entendu jamais dépasser 100% !
Hydraulique (lac) | Hydraulique (fil de l'eau) | Charbon | Gaz | Nucléaire | Eolien à terre | Eolien en mer | Photovoltaïque | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Facteur de charge | 30% à 50% | 80% à 100% | 50% à 80% | 50% à 80% | 70% à 90% | 15% à 25% | 30% à 40% | 10% à 25% |
Or ce taux d’utilisation vient fortement modifier la contribution de l’investissement initial au coût complet du MWh : plus le facteur de charge est bas, et plus l’investissement initial pèse dans le coût complet. Pour donner une première illustration, on peut ramener l’investissement à une puissance « efficace ».
Les kW efficaces correspondent à la puissance qu’il faudrait installer si elle produisait 8760 heures par an, et évoluent comme l’inverse du facteur de charge. Par exemple, pour un facteur de charge de 40%, la puissance efficace correspond à la puissance installée divisée par 2,5. Pour un facteur de charge de 10%, la puissance efficace correspond à la puissance installée divisée par 10.
Parler de kW efficaces revient donc à diviser le coût du kW installé par le facteur de charge moyen, et c’est cela qui servira à calculer le coût de revient du kWh produit. Le tableau ci-dessous donne un exemple des résultats que cela donne.
Hydraulique (lac) | Hydraulique (fil de l'eau) | Charbon | Gaz | Nucléaire | Eolien à terre | Eolien en mer | Photovoltaïque | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Coût (€ par kW installé) | 3 500 | 3 500 | 1 500 | 800 | 4 000 | 1 000 | 4 000 | 2 000 |
Facteur de charge moyen | 40% | 80% | 80% | 50% | 80% | 20% | 40% | 15% |
Coût (€ par kW efficace) | 8 500 | 4 200 | 1 700 | 1 600 | 5 000 | 5 000 | 10 000 | 13 000 |
Le tableau ci-dessus permet de classer les modes en fonction de la contribution de l’investissement initial dans le coût de production d’un kWh (puisque l’on a tout ramené à une même durée de fonctionnement). Si la seule considération est combien il faut investir pour avoir un kWh, les investisseurs, qui dans le monde privé regardent avant tout le capital qu’il faut mettre sur la table, vont chercher d’abord à faire du gaz (avec du CO2), puis du charbon (avec encore plus de CO2), puis de l’hydraulique (dans les pays émergents le coût par kW installé est le tiers de la valeur indiquée dans le tableau ci-dessus, et donc l’hydraulique est un des premiers choix quand il y a des montagnes), puis du nucléaire.
L’éolien et le photovoltaïque ont des coûts par kW efficaces très élevés pour des raisons physiques : la faible disponibilité de la ressource les condamne généralement à des facteurs de charge faibles. Pour le photovoltaïque, il faudrait que les coûts de production soient divisés par 10 pour que l’investissement initial soit du même ordre que pour charbon ou gaz (et cela sans tenir compte du fait que le photovoltaïque fournit de l’électricité fatale de basse tension, ce qui n’est pas du tout le même produit que l’électricité pilotable à haute tension).
Parlons un peu pollution
La conversion d’une énergie primaire en électricité étant une transformation, elle va, comme toute transformation, produire des rejets et autres sous-produits indésirables. Il n’y a en effet aucun mode « propre » de production électrique : c’est toujours la dose qui fait le poison ! Mais chaque mode a ses « charmes » quand il s’agit de nuisances :
- le charbon produit des particules fines, des polluants divers (SO2, NOx), des rejets par aérosols (mercure, arsenic, et autres cochonneries), des cendres, des accidents de mines et des maladies pulmonaires de mineurs, réchauffe un peu l’eau des rivières (comme tous les modes thermiques en bord de rivière), sans parler du fait qu’il est le mode le plus émissif en CO2 par kWh produit, bref c’est la totale !
- le gaz produit aussi des NOx, et quelques accidents dus à l’exploitation du gaz, un poil de réchauffement de rivière le cas échéant, ainsi que du CO2, qui entraîne là aussi une perturbation du climat avec un décalage dans le temps,
- le pétrole produit aussi NOx, du SO2, des particules fines à nouveau, quelques accidents dus à l’exploitation du pétrole, un poil de réchauffement de rivière le cas échéant, et à nouveau du CO2,
- la grande hydraulique produit des accidents de barrage (des dizaines de milliers de morts ont déjà eu lieu à cause de cela), des inondations de vallée, des perturbations de débit hydrologique, des diminutions d’habitat pour des poissons ou cétacés (ce qui contribue à diminuer les effectifs, voire cause leur disparition), et, dans le cas des barrages tropicaux, peuvent engendrer des émissions de méthane qui est un gaz à effet de serre,
- le nucléaire produit des accidents, rares et de moins d’effet sur les hommes qu’on le pense, mais néanmoins spectaculaires et pouvant être très coûteux, des déchets, un poil de réchauffement de rivière le cas échéant, éventuellement des accidents de mine et de la pollution locale au lieu d’extraction du minerai, mais évidemment en quantité bien moindre que pour le charbon,
- l’éolien et le photovoltaïque produisent peu d’effets environnementaux indésirables… essentiellement parce que pour le moment ils sont tous petits ! Mais si ces modes devaient devenir majeurs, ils se mettraient à avoir des inconvénients tout aussi significatifs :
- l’éolien ralentissant le vent (c’est même fait pour cela, l’énergie du vent étant transformée en électricité… et ne pouvant donc plus faire avancer l’air !) il limite la convection atmosphérique. Tant que nous avons quelques éoliennes ici et là ce n’est pas très grave, mais des chercheurs du MIT on calculé – étude téléchargeable ici – que si 10% de l’énergie mondiale en 2100 devait venir de l’éolien (rappelons que nous sommes à 0,6% en 2011 en équivalent primaire), cela pourrait augmenter la température de surface des terres concernées de… 1°C, ce qui augmenterait évidemment les conséquences du changement climatique déjà enclenché là où cette modification se manifeste,
- l’éolien produisant une électricité non pilotable (elle arrive quand le vent souffle et non quand on en a besoin) il faut trouver « ailleurs » le moyen de s’adapter à cette intermittence. Si cette adaptation doit se faire en multipliant les batteries elles-mêmes fabriquées avec des matériaux ou dispositifs nocifs pour l’environnement, ne faut-il pas imputer ces nuisances – au moins pour partie – à l’éolien ? Si cette adaptation se fait en construisant des centrales à gaz, comme en Espagne, ne faut-il pas imputer à l’éolien une partie des émissions de CO2 correspondantes, et des importations de gaz correspondantes ?
- fabriquer des panneaux photovoltaïques demande des tas de matériaux produits par des industries chimiques et métallurgiques diverses, et engendre donc de la pollution ; tant que le photovoltaïque assure 0,1% – valeur pour 2011 – de l’énergie mondiale ces inconvénients sont marginaux, mais ce n’est pas une loi écrite qu’ils le resteraient avec une multiplication du PV par 1000 (il a suffit de multiplier l’usage du pétrole par 100 pour que ses inconvénients passent de mineurs à majeurs).
Dans le jargon des économistes, tous ces inconvénients qui ont lieu « ailleurs et/ou plus tard », et dont la charge sera supportée par « quelqu’un d’autre » que le producteur de l’électricité s’appellent des externalités. Par exemple, les maladies professionnelles des mineurs engendrent des charges pour les soins des malades ou pour assurer les revenus des veuves, et ces charges ne sont en général pas payées par l’exploitant de la mine. Elles sont donc non répercutées dans le prix du charbon, et par conséquent pas plus dans le prix de l’électricité au charbon.
Attention : les coûts déjà payés par l’électricien pour éviter des nuisances identifiées ne sont pas des externalités si elles sont déjà incluses dans le prix de revient. Par exemple les dispositifs d’épuration des fumées d’une centrale à charbon sont inclus dans l’investissement initial (on en retrouve donc la trace dans le coût de production du MWh), de même que le traitement des déchets nucléaires est inclus dans les charges d’exploitation d’un opérateur de centrales atomiques.
Le même raisonnement peut être tenu pour les émissions de CO2, et nous verrons plus bas l’effet que cela peut avoir sur le coût de production.
Parlons un peu totalisation
Nous voici donc avec des filières qui acheminent gaz, charbon ou atomes fissiles, et une centrale dont la construction a coûté ce qu’elle a coûté. Au final, combien vaut l’électricité en sortie de centrale ? (qui n’est pas encore l’électricité facturée au client). A ce stade, le lecteur (ou la lectrice, pardon !) aura compris que la bonne réponse est « ca dépend » :
- du taux d’actualisation, ce qui, dans les modes pilotables, est surtout vrai pour l’hydraulique et le nucléaire
Coût de production – en euros – d’un MWh électrique avec un barrage, selon le taux d’actualisation retenu (sur l’axe horizontal).
Les autres hypothèses sont un taux de charge de 40%, 3500 euros par kW installé, 60 ans de durée de vie, et des charges d’exploitation annuelles de 70 euros par kW installé.
Avec une actualisation de 2%, le MWh coûte un peu moins de 50 euros, pour un dispositif qui peut fournir de l’électricité de pointe, ce qui est évidemment assez peu cher. A 4% nous sommes encore à 65 euros par MWh, ce qui est toujours assez peu cher pour de la pointe. Par contre avec une actualisation à 12% (« norme » attendue par les financiers), on monte à 140. Un barrage cher est donc juste un barrage coté en bourse !
Coût de production – en euros – d’un MWh électrique avec une centrale nucléaire type EPR, selon le taux d’actualisation retenu.
Les autres hypothèses sont un taux de charge de 80%, 4000 euros par kW installé, 60 ans de durée de vie, 5 euros par MWh de combustible, et des charges d’exploitation annuelles hors combustible de 100 euros par kW installé.
Avec une actualisation de 2%, le MWh coûte 37 euros, hors éventuelle provision pour risque d’accident (qui se monterait à quelques euros par MWh ; voir plus bas). A 4% nous sommes encore sous les 50 euros par MWh, ce qui est un coût très avantageux pour de l’électricité de base sans CO2. Par contre avec une actualisation à 12% on monte à 120 euros par MWh. Un nucléaire cher est aussi avant tout un nucléaire coté en bourse !
On note également, tant pour l’hydraulique que pour le nucléaire, la part très faible des coûts d’exploitation (ce qui pour le nucléaire comprend la facture de la Hague), de l’ordre de 20 euros le MWh. Cela signifie que prolonger autant que possible les installations existantes permet de disposer, sur la durée de cette prolongation, de MWh produits à des coûts très bas, bien inférieurs au seuls coût de combustible pour les modes fossiles.
De ce fait, remplacer une centrale nucléaire actuelle, une fois amortie (donc > 40 ans), par une centrale neuve, au lieu de prolonger la « vieille » centrale de 20 ans, occasionne au minimum – si le taux d’actualisation est nul – 5 milliards d’euros de dépense supplémentaire par équivalent EPR (1,5 GW de puissance * 90% de facteur de charge * 8760 heures dans l’année * 20 euros d’investissement par MWh * 20 ans).
- du coût du combustible, ce qui est vrai pour le charbon et encore plus pour le gaz (et aussi pour le pétrole, soit dit en passant)
Coût de production – en euros – d’un MWh électrique avec une centrale à charbon, en fonction du prix de la tonne de charbon en dollars (de 50 à 500 dollars).
Pour information, à 500 dollars par tonne, le charbon vaut 71 dollars par MWh thermique (pour le pétrole, 71 dollars par MWh thermique signifie 115 dollars par baril). A 100 dollars par tonne, le charbon fournit des MWh thermique au même prix qu’un pétrole à 20 dollars le baril (pas cher du tout !).
Pour le reste nous avons supposé un taux de charge de 80%, 1500 euros par kW installé, 40 ans de durée de vie, un taux d’actualisation de 4%, des charges d’exploitation annuelles hors combustible de 2% de la valeur à neuf de la centrale, et enfin un rendement de 40%. A 50 dollars par tonne l’achat du combustible représente la moitié du coût complet ; à 120 dollars par tonne (prix moyen en 2011) l’achat du combustible représente 70% du coût de production du MWh.
Coût de production – en euros – d’un MWh électrique au gaz, en fonction du prix du MWh – thermique – de gaz en euros (de 5 à 110 euros).
A 70 euros par MWh thermique, le gaz est au même prix par unité d’énergie que le pétrole à 110 dollars par baril (au taux de change de 2012).
Les autres hypothèses sont un taux de charge de 80%, 800 euros par kW installé, 30 ans de durée de vie, des charges d’exploitation annuelles hors combustible de 3% de la valeur à neuf de la centrale, un taux d’actualisation de 4%, et enfin un rendement de 55%.
- du fait que le CO2 soit payant ou pas (il peut être payé sous forme de taxe ou de quotas mis aux enchères)
Coût de production d’un MWh électrique avec une centrale à charbon, selon le prix payé par tonne de CO2 (de 0 à 225 euros).
Les autres hypothèses sont un taux de charge de 80%, 1500 euros par kW installé, 40 ans de durée de vie, un taux d’actualisation de 4%, des charges d’exploitation annuelles hors combustible de 2% de la valeur à neuf de la centrale, un rendement de 40%, et 100 dollars la tonne de charbon (fixe).
Coût de production d’un MWh électrique avec une centrale à gaz, selon le prix payé par tonne de CO2 (de 0 à 250 euros).
Les autres hypothèses sont un taux de charge de 80%, 800 euros par kW installé, 30 ans de durée de vie, des charges d’exploitation annuelles hors combustible de 3% de la valeur à neuf de la centrale, un taux d’actualisation de 4%, un rendement de 55%, et un prix du gaz (fixe) de 25 euros le MWh.
- éventuellement de l’imputation d’autres coûts non pris en compte ci-dessus (taxe SO2, taxe particules fines, etc).
Tentons une comparaison
Evidemment, l’intérêt de tout cela, c’est de pouvoir comparer !
Voici un premier tableau pris avec des hypothèses « classiques », c’est-à-dire :
- actualisation à 8% (= on croit dans la poursuite de la croissance)
- pas de coût du CO2 (= on se fiche du changement climatique)
- charbon stable à 100 $/tonne et gaz stable à 25 euros/MWh (= plein de gaz et de charbon disponibles).
Coût de production d’un MWh électrique selon le type de dispositif, avec les hypothèses ci-dessus (les autres hypothèses par mode sont celles évoquées plus haut sur la page).
« Charbon CCS » signifie charbon avec dispositif de capture et séquestration du CO2. En pareil cas l’investissement monte à 3500 euros par kW et le rendement chute à 30%.
On voit qu’avec des hypothèses « conventionnelles » (du type monde infini !) ce sont charbon et gaz qui apparaissent les mieux placés en Europe, qu’il s’agisse du coût complet ou de la part de l’investissement initial. Aux USA, où le prix du gaz est 2 à 3 fois inférieur à celui de l’Europe (en 2012), c’est encore plus vrai pour le gaz.
Dans les pays émergents, où le coût de construction des barrages est 3 fois inférieur, l’hydraulique devient alors le mode le moins cher, avec un coût de production du MWh de 30 euros tout compris… à condition d’avoir des fleuves ou des montagnes!
Le nucléaire ressort à un coût assez élevé (60 euros/MWh), comme… l’éolien, mais le premier est un mode pilotable, alors que le second est un mode fatal et intermittent, qui vient donc suppléer, quand il y a du vent, un autre moyen de production. L’éolien est donc avant tout une manière d’éviter du combustible « ailleurs » quand il y a du vent. La conséquence ici est qu’il faut comparer son coût complet à celui du seul combustible évité dans le moyen qu in’est pas utilisé quand le vent souffle.
Or nous voyons que, avec les hypothèses ci-dessus, le coût complet de l’éolien est bien supérieur au coût du charbon ou du gaz évité, sans parler de l’hydroélectricité – le combustible est gratuit ! – ou du nucléaire. Cela explique qu’il doive être subventionné si on veut qu’il se développe.
Une autre manière de gérer le problème est de passer par un dispositif de stockage, comme par exemple une station de pompage, espèce de barrage réversible, dont le coût de construction est de l’ordre de 5000 euros par kW si l’on part de rien (pas de barrage pré-existant). Le MWh éolien stocké-restitué par ce moyen est représenté dans la barre « STEP+éolien », et vaut environ 250 euros le MWh, soit 3 à 5 fois plus cher que les modes « normaux » (ce qui revient à dire qu’en pareil cas ce n’est plus le coût de production qui domine, mais le coût de gestion de l’intermittence).
On notera aussi que le charbon avec CCS (pour éviter d’envoyer le CO2 dans l’air) n’est absolument pas compétitif dans ces conditions.
Imaginons maintenant que nous raisonnions en monde contraint :
- actualisation à 2% (= on ne croit pas dans la poursuite de la croissance perpétuelle)
- le CO2 est mis à 100 euros (= on commence à se préoccuper sérieusement d’éviter trop de changement climatique)
- le charbon monte à 200 $/tonne (ce qui signifie entre autres que ce dernier est importé ou transporté sur de longues distances par train) et le gaz à 40 euros/MWh.
Coût de production d’un MWh électrique selon le type de dispositif, avec les hypothèses ci-dessus (les autres hypothèses par mode sont inchangées).
Changement du classement ! Le nucléaire devient le grand vainqueur, l’hydraulique pouvant être encore mieux placé si le coût de construction descend sous 2500 euros/kW installé (cas des émergents), ou si le facteur de charge double en restant au même coût par kW installé (cas du fil de l’eau).
Le coût « brut » de l’éolien devient pour sa part inférieur au coût du combustible évité (achat+CO2) dans une centrale à charbon ou à gaz, ce qui permet à l’éolien d’être rentable pour éviter du charbon ou du gaz dans un pays qui a déjà des centrales électriques fossiles, mais le coût du MWh stocké restitué (donc pilotable sans CO2) continue d’être bien au-dessus de celui du nucléaire.
Parlons un peu accidents
Les centrales électriques, comme toutes les installations industrielles, ont parfois des pépins. Le très gros pépin, c’est l’accident majeur. Ce dernier n’est pas réservé au nucléaire : il y a aussi eu des ruptures de barrage, qui ont tué des milliers de personnes dans le monde (Morvi en Inde ; Vajont en Italie ; Fréjus en France). Si elles ne sont pas « concentrées » sur des accidents spectaculaires, les nuisances du charbon ramenées au MWh produit sont encore bien supérieures.
Mais c’est de nucléaire dont nous allons parler ci-dessous, pour essayer de quantifier une externalité : le « cout possible d’un accident majeur rapporté au kWh ». Voici un exemple de ce que ce genre de calcul pourait donner :
- Depuis les débuts du nucléaire, la planète a construit 440 réacteurs nucléaires, ayant produit 72.000 TWh (un TWh = un milliard de kWh) en cumulé,
- Nous avons eu un accident significatif tous les 20 ans, qui a déplacé 100.000 personnes (130.000 à Tchernobyl, 80.000 à Fukushima).
- Nous supposons qu’un accident coûte 200 milliards d’euros de « dégâts », hors perte de l’installation industrielle, que nous aurions avec toute centrale victime d’un gros pépin (ce n’est donc pas propre au nucléaire). En fait ce montant dépend très largement de la politique d’évacuation, et surtout du degré de panique dans la population et au sein du pouvoir en place (car c’est bien plus la panique et le danger perçu qui font des dégâts, et non les conséquences matérielles et sanitaires si la population ne bouge pas et les activités sont maintenues). Parmi les éléments pouvant sembler paradoxaux, les études médicales sur Tchernobyl suggèrent qu’une bonne partie des évacuations ont plus contribué à la morbidité avec le stress du déplacement qu’ils n’ont évité de problèmes avec le surplus de radiations qui aurait été pris sur place. Mais pour la suite du calcul prenons le haut de la fourchette pour voir ce que cela donne.
- cela fait donc 400 milliards d’euros (2 fois 200 milliards) à rapporter à 72000 milliards de kWh, ou encore 72 milliards de MWh, ce qui fait de l’ordre de 5 euros par MWh. Ce n’est pas négligeable, mais dans une approche purement économique (qui est aussi celle utilisée pour convertir les morts du charbon en euros), ce n’est pas de nature à changer les ordres de grandeur ci-dessus. On peut aussi noter que c’est 10 fois moins que ce qu’il faudrait faire payer un MWh au charbon avec une taxe carbone à 50 euros la tonne de CO2. Chacun jugera donc si c’est peu ou beaucoup !
Petite halte d’étape
Que retenir de ce premier tour d’horizon ? Que la hiérarchie des coûts entre modes de production d’électricité dépend à l’évidence… des hypothèses que l’on prend. Selon que l’on croit à la croissance économique perpétuelle ou pas (pour les taux d’actualisation), que l’on pense que le CO2 doit être (ou sera) taxé ou pas, que le gaz et le charbon seront abondants ou pas, que la centrale servira en base (80% du temps ou plus) ou en pointe (20% du temps), qu’elle peut durer plus ou moins longtemps, que les modes intermittents doivent ou non supporter le coût de l’intermittence induite, etc, les résultats varient très fortement, et donc l’ordre de mérite entre les différents modes varie tout autant.
De ce fait, deux rapports sur les coûts de l’électricité peuvent donner des valeurs très différentes : il suffit d’avoir pris des hypothèses très différentes ! Et se limiter à citer un chiffre « trouvé dans la littérature » sans savoir comment il a été construit pour arguer de la supériorité de tel mode sur tel autre est donc une opération non probante, même si c’est le jeu préféré de nombre de politiques et militants. C’est bien les détails des calculs qu’il faut aller regarder de près pour comprendre le résultat, ce qui demande du temps, avec pour conséquence directe que les débats « publics » (ou « démocratiques ») sur la bonne manière de produire l’électricité ne sont jamais faciles à mettre en place.
En route vers le consommateur !
En règle générale, personne ne branche un aspirateur ou une fraiseuse directement à la sortie d’une centrale électrique. Pour aller du producteur au consommateur, il faut tirer quelques câbles et installer quelques transformateurs, qui vont de l’un à l’autre, et cela s’appelle un réseau électrique.
Schéma de principe d’un réseau électrique.
La puissance est pour l’essentiel injectée par des unités centralisées pilotables (centrales à charbon, gaz, fioul, nucléaires, barrages), qui injectent à très haute tension (400.000 volts). L’électricité correspondante est transportée à cette tension, puis à haute tension (90.000 volts ; HV pour High Voltage sur le schéma) jusque dans les bassins de consommation (villes, grosses usines, etc).
Là, le courant passe tout d’abord à 20.000 volts (MV pour Medium Voltage). Certains gros industriels (métallurgie, chimie…) seront servis en haute ou moyenne tension (car leurs équipements ont besoin de ce niveau là), et les clients « ordinaires » (bureaux, commerces et services, particuliers) en basse tension (LV pour Low Voltage).
Les unités de production marginales (éoliennes, cogénération industrielle au gaz) injectent de l’électricité à moyenne tension dans le réseau, d’autres (panneaux solaires, cogénération au biogaz) à basse tension. Dans les deux cas de figure cette injection fait monter la tension du réseau local concerné, et donc il y a une limite à l’injection possible localement sans tout déstabiliser.
La partie du réseau qui est à très haute (400.000 volts) et haute (90.000 volts) tension s’appelle le réseau de transport, avec des lignes qui sont aériennes sauf exception. Quand le courant descend à 20.000 volts il passe dans le réseau de distribution, avec de lignes aériennes ou enterrées (de plus en plus enterrées).
Il y a plusieurs acteurs distincts qui participent au fonctionnement de cet ensemble :
- le producteur est celui qui possède une unité de production (par exemple un barrage) et injecte du courant à très haute tension ou haute tension, parfois moyenne tension (éoliennes).
- le consommateur est celui qui soutire de l’électricité basse ou moyenne tension (exceptionnellement haute ou très haute tension) à l’autre extrémité du réseau,
- le transporteur est celui qui possède le réseau à très haute et haute tension, qui est en général une infrastructure nationale ou régional. Son rôle est d’assurer l’équilibre offre-demande, c’est-à-dire de faire en sorte que la puissance injectée sur le réseau par les divers producteurs raccordés (ou via des interconnexions avec d’autres réseaux de transport, par exemple à une frontière) corresponde à la puissance soutirée par les distributeurs locaux de l’autre côté. Cet opérateur a donc comme clients des opérateurs de réseau de distribution, et non des clients finaux (sauf les grandes industries qui consomment du courant à très haute tension).
- derrière le réseau de transport il y a donc des réseaux de distribution en basse tension, qui desservent les clients finaux. Physiquement il y a un réseau de distribution par poste de transformation 20.000 volts -> 220 volts (le réseau est la partie basse tension qui va « derrière » le poste de transformation). Ces réseaux sont le plus souvent possédés par des acteurs locaux (des syndicats intercommunaux) mais exploités (un peu comme une location-gérance) par ERDF.
- le distributeur est celui qui a le contact commercial avec le client final. Il achète de l’électricité à des producteurs, ou la produit lui-même s’il possède des centrales (car un producteur peut bien sûr être en même temps distributeur, c’est par exemple le cas d’EDF), paye le transport haute tension de cette électricité au transporteur (en France RTE), paye l’acheminement final à l’exploitant du réseau de distribution local (le plus souvent ERDF), ajoute les taxes et autres contributions si la réglementation le demande (par exemple le soutien à tel ou tel type de production), et facture le tout à son client.
Dans l’ensemble ci-dessus, ni le réseau de transport ni les réseaux de distribution ne permettent au courant de passer gratuitement : il se font payer ! Entre le courant produit par une centrale et le consommateur, il faut donc rajouter le coût d’acheminement, qui est typiquement de quelques dizaines d’euros par MWh (en France, de l’ordre de 40), ou quelques centimes par kWh (en France, de l’ordre de 4). Dans notre pays, ce coût d’acheminement s’appelle le TURPE, pour Tarif d’Utilisation du Réseau Public d’Électricité. Le montant, fixe par kWh quel que soit le lieu de consommation (il y a donc une péréquation tarifaire), est décidé par le gouvernement sur proposition de la Commission de Régulation de l’Electricité (ou CRE).
Il faut aussi tenir compte des pertes. En effet, dès qu’un courant circule il y a une partie de l’énergie qui est dissipée sous forme de chaleur par effet joule. Les pertes qui en découlent sont proportionnelles à l’intensité, non à la tension (c’est la raison pour laquelle, pour transporter une même puissance, on monte en tension, ce qui permet de baisser l’intensité, et donc les pertes).
En pratique, sur le réseau de transport (à très haute tension) on perd environ 2% de la puissance acheminée en faisant quelques centaines de km ou un millier de km (en théorie c’est proportionnel à la longueur de la ligne), puis de l’ordre de 5% pour les transformateurs de descente en tension et la partie basse tension. L’essentiel des pertes n’a donc pas lieu à cause de l’éloignement plus ou moins important entre la centrale et le consommateur, mais à cause des transformateurs (il en faut toujours) et de la partie distribution en basse tension. Bien entendu, si les opérateurs de réseau doivent stocker une partie de l’électricité entre la production et la consommation, les pertes dues au stockage viennent s’ajouter en plus de celles liées au transport. Avec des stations de pompage le niveau de pertes est de l’ordre de 25%, et cela peut monter à bien plus avec d’autres dispositifs (par exemple 70% avec des piles à combustible).
Ceci explique, soit dit en passant, que la production électrique doit toujours être supérieure de 8% à la consommation (et ce sera plus avec du stockage), pour tenir compte de ces inévitables pertes d’acheminement. Il faut donc faire attention aux chiffres que l’on regarde !
Parlons un peu développement durable
Désormais, dans nombre de pays les pouvoirs publics soutiennent des modes de production électrique spécifiques (pas seulement renouvelable, cela concerne aussi la cogénération à base de gaz par exemple). Le moyen le plus souvent employé n’est pas que l’état subventionne en direct le producteur concerné, mais oblige les distributeurs existants à acheter, à un prix fixé d’avance par les pouvoirs publics (appelé « tarif de rachat »), toute l’électricité produite par ces nouveaux moyens (et/ou par de nouveaux producteurs).
L’argent dépensé par le distributeur pour acheter cette électricité (qui peut l’être à un de ses concurrents, s’il est aussi producteur) est ensuite refacturé aux clients finaux, dans un ensemble qui s’appelle « Contribution au Service Public de l’Electricité » ou CSPE. En pratique cette CSPE va concerner :
- la cogénération industrielle : quand un industriel s’équipe avec une installation qui produit à la fois de la chaleur et de l’électricité (cogénération), et qu’il injecte tout ou partie de l’électricité produite sur le réseau, cette électricité lui est achetée par le distributeur – typiquement EDF – à un tarif fixé par l’état (dit « tarif de rachat ») incitatif pour l’industriel.
- la production à partir d’incinérateurs d’ordures ménagères : la chaleur issue de l’incinération des ordures (chaleur qui vient pour partie de la combustion du plastique, pas du tout renouvelable pour le coup !) peut servir à produire de l’électricité injectée sur le réseau, avec là aussi un tarif de rachat fixé par l’état,
- la production d’origine éolienne ou solaire, avec à nouveau un processus dit « tarif de rachat »,
- et encore la petite hydraulique, la géothermie, les installations de production au biogaz, et encore trois bricoles !
- enfin quelque chose qui n’est pas un soutien à un mode renouvelable : la péréquation tarifaire pour les îles. Dans les départements d’Outre-Mer, l’électricité est produite avec des combustibles fossiles, charbon et fioul. Or quand le baril est à 100 dollars, cela fait 63 dollars le MWh de pétrole, et avec une centrale à fioul ayant 33% de rendement, il est donc impossible de produire un MWh électrique à moins de 190 dollars, soit 160 euros. Difficile dans ces conditions de le vendre au même prix qu’en France ! (de 120 à 140 euros le MWh au client domestique, avec le transport et les taxes). Au nom de la continuité territoriale, l’Etat oblige le distributeur d’électricité local (en pratique EDF) à vendre le kWh au citoyen habitant en Martinique ou à la Réunion au même prix qu’en France métropolitaine, et c’est l’ensemble des consommateurs d’électricité métropolitains qui payent la différence entre prix de vente et prix de revient,
De combien d’argent parle-t-on pour les mécanismes de soutien ? En France, le périmètre des installations couvertes, le tarif de rachat par MWh ainsi que la durée garantie ont changé à plusieurs reprises depuis que ce dispositif existe. Pour citer les principaux modes, ce tarif est pour le moment de l’ordre de 80 euros par MWh pour l’éolien (garanti 10 ans après la mise en service de l’installation), et de 400 euros par MWh pour le photovoltaïque (garanti 20 ans après la mise en service de l’installation). On notera au passage que le tarif garanti pour l’éolien correspond à un taux d’actualisation plus près de 8% que de 2% (sinon le tarif garanti serait plus près de 50 euros par MWh, voir ci-dessus), et donc que l’état accepte l’idée de faire faire des profits à la norme « financière » au producteur d’électricité renouvelable ! (cela explique que ces tarifs ont permis à quelques personnes de se faire une jolie pelote, ce qui en a chagriné quelques uns et conduit à de premières révisions, qui à mon avis ne sont pas les dernières).
En pratique, cependant, ce que coûte le mécanisme au consommateur d’électricité n’est pas la totalité du tarif de rachat, mais la différence entre ce dernier et le prix de marché. En effet, pour servir son client le distributeur d’électricité doit nécessairement acheter de l’électricité sur le marché, ou la produire lui-même, à un coût qui n’est pas très éloigné du prix de marché. Si on l’oblige à acheter cette électricité à un producteur éolien ou photovoltaïque (dans notre exemple), cela va lui coûter en plus la différence entre le tarif de rachat et le prix de marché.
Pour le consommateur, la conséquence l’existence de tarifs de rachat pour éolien et photovoltaïque est donc qu’il doit payer un surcoût, qui est la différence entre le tarif de rachat en question et le prix moyen du marché. Pour donner une idée de ce que représente cette affaire de subvention de bout en bout, je vous propose ci-dessous une simulation effectuée de 1996 à 2040, en montant progressivement le parc installé à 25 GW en 2030 pour l’éolien (avec un peu moins de 7 GW installés en 2011, et 20 GW visés en 2020), et 12 GW pour le photovoltaïque (avec un peu moins de 2,7 GW installés en 2011, et 10 GW visés en 2020). Les deux courbes ci-dessous donnent les capacités totales et ajoutée dans l’année de 1996 à 2040.
Simulation du parc installé en éolien et photovoltaïque pour effectuer les calculs ci-dessous.
Capacité ajoutée chaque année pour suivre les courbes de gauche.
Pour le reste j’ai fait les hypothèses suivantes (nécessairement discutables mais qui donnent une idée !) :
- le tarif de rachat est de 82 euros/MWh pour l’éolien en 2012, et diminue ensuite de 2% par an. Il est de 400 euros/MWh pour le photovoltaïque en 2012 et il diminue pour sa part de 5% par an,
- le prix de marché reste fixe à 50 euros par MWh sur la période (il y a 45 manières de pronostiquer un prix de marché, avec des hypothèses crédibles pour que ça monte, et d’autres tout aussi crédibles pour que ça baisse – notamment en cas de récession structurelle, donc comme c’est juste un exemple je prends un truc simple),
- Quand le tarif de rachat devient égal au prix de marché, le surcoût devient nul (et pas négatif, encore qu’il y ait parfois des prix négatifs pour l’éolien dès à présent dans le nord de l’Allemagne et au Danemark!)
- les éoliennes ou panneaux photovoltaïques qui viennent remplacer des installations en fin de vie (20 ans pour les éoliennes et 25 ans pour les panneaux solaires) ne donnent pas droit à subvention,
- les éoliennes ont 2000 heures utiles et les panneaux solaires 1200 heures utiles dans l’année.
Voici alors comment évoluent les surcoûts annuels découlant des engagements pris envers les exploitants d’éoliennes et de panneaux solaires, et les versements effectifs de l’année au titre des surcoûts liés aux tarifs de rachat. Ce que décrivent ces courbes est bien ce que l’on paye en plus à cause du développement de l’éolien et du photovoltaïque, pas la totalité de ce qui est versé aux producteurs, qui est encore supérieur (le surcoût pour le consommateur est ce qui est versé aux producteurs moins la valeur de l’électricité en question sur le marché de gros).
Surcoûts engagés dans l’année (c’est-à-dire de l’argent que l’on s’engage à verser plus tard en plus du prix sur le marché) et surcoûts payés dans l’année (donc argent que l’on paye chaque année au titre des engagements passés) pour l’éolien et le photovoltaïque avec les hypothèses ci-dessus.
Avec un programme dont la décision est prise au début des années 2000, le maximum des surcoûts effectifs arriverait vers 2020. Les surcoûts cumulés du programme se montent à 95 milliards d’euros, mais le total de ce que recevront les producteurs éolien et photovoltaïque représente 135 milliards d’euros (la valeur de marché de l’électricité produite est donc de 40 milliards d’euros).
Mais quand les modes intermittents augmentent fortement, le surcoût ne se limite pas aux dispositifs de production. Il se pose alors la question de savoir s’il faut inclure dans le « coût de production du MWh subventionné » les dépenses suivantes, induites ailleurs – ou potentiellement induites ailleurs – à l’occasion :
- les coûts de raccordement au réseau des nouvelles unités (bien plus élevés avec de multiples dispositifs de quelques MW dispersés partout qu’avec peu d’unités centralisées mille fois plus puissantes), et de renforcement du réseau de transport (quand on passe de centrales pilotables tournant en permanence ou presque à des dispositifs intermittents, pour obtenir la même quantité d’électricité sur un an il faut transporter, sur des durées inférieures, des puissances bien plus élevées, et donc avoir un réseau « plus gros »).
L’exemple de l’Allemagne semble indiquer que les investissements induits dans le réseau au sens large sont équivalents à ceux effectués pour les dispositifs de production.
- le cas échéant, la construction des centrales de backup (charbon ou gaz), puis l’importation du gaz pour faire fonctionner lesdites centrales, à supposer que nous ayons accès au gaz, et sinon le « coût de la destruction du PIB parce que l’énergie n’est pas disponible« .
- le coût du CO2 si les modes de backup sont fossiles, et le coût du stockage sinon…
Pour le graphique qui suit, nous nous sommes limités à ce qui est payé aux producteurs d’électricité solaire et éolienne avec les hypothèses ci-dessus, pour le rapporter à la facture finale du consommateur.
Courbe orange, échelle de gauche : proportion de l’électricité française produite avec solaire+vent avec les hypothèses ci-dessus.
Courbe bleue, échelle de droite: Impact sur le prix du kWh – en centimes d’euro par kWh pour l’ensemble de la consommation française – des seuls surcoûts liés aux tarifs de rachat aux exploitants (courbe bleue, échelle de droite).
Pour savoir si l’argent évoqué ci-dessus est beaucoup ou peu, ça sera une question de point de vue :
- Les uns diront que quelques centimes par kWh (en ajoutant tarifs de rachat et autres bricoles sur le réseau et le stockage) ce n’est pas très cher face à un kWh qui vaut déjà 12 centimes en France, et près du double en Allemagne pour le particulier, et ce point de vue est parfaitement défendable si le service rendu est bien là,
- D’autres diront que, justement, pour le service rendu c’est hors de prix, puisque ce développement de l’éolien et du photovoltaïque dans l’Hexagone, qui ne concernerait « que » 12% de l’électricité dans le cas ci-dessus, coûterait au moins 95 milliards d’euros pour ne rien faire gagner sur le CO2, ni sur les importations d’énergie (les importations d’uranium coûtent environ 1 milliard d’euros par an, mais les exportations d’électricité nucléaire rapportent plusieurs milliards, donc globalement le nucléaire remplit nos caisses et non les vide), sans compter une dégradation supplémentaire de la balance commerciale car les éoliennes et les panneaux solaires sont importés pour une très large part, et un gain sur les emplois globaux qui se discute fortement.
Pour rire, le graphique ci-dessous donne une simulation où toute l’électricité française est devenue renouvelable, avec les hypothèses suivantes :
- le tarif de rachat de l’éolien augmente de 5% par an, à cause de la raréfaction des bons endroits, des coûts de raccordement pris en compte, etc, et pour le photovoltaïque les tarifs de rachat ne baissent pas pour inclure – de manière forfaitaire évidemment – les coûts induits,
- la production intermittente est portée à 130% de la production actuelle, pour combler les pertes de stockage (mais le coût de ce stockage n’est toujours pas pris en compte)
Courbe orange, échelle de gauche : proportion de l’électricité française produite avec solaire+vent avec les hypothèses ci-dessus.
Courbe bleue, échelle de droite : impact sur le prix du kWh – en centimes d’euro par kWh – des surcoûts liés aux tarifs de rachat aux exploitants.
Ce surcoût n’inclut toujours pas le stockage.
Alors, c’est bientôt fini ?
Nous voici donc avec un consommateur d’électricité qui doit payer :
- la production de l’électricité, qui inclut :
- l’amortissement du capital utilisé pour construire la centrale,
- l’éventuel achat du combustible
- l’éventuel « achat » du CO2 émis
- les autres coûts d’exploitation (salariés, traitement des déchets, maintenance, etc),
- des provisions pour démantèlement (qui ne concernent pas que les centrales nucléaires),
- d’éventuels fonds pour couverture des accidents (nucléaire ou… barrages).
- le transport et la distribution.
- le soutien à des filières particulières ou des péréquations tarifaires.
Est-ce tout ? Non : en plus nous allons trouver des taxes, essentiellement la TVA et des taxes locales, mais aussi… une contribution au paiement de la retraite des agents EDF, déguisée sous le vocable « contribution tarifaire d’acheminement » !
Et puis, en économie de marché, il faudra rajouter un élément : les marges des producteurs, des distributeurs, et de l’opérateur du réseau de transport, qui représentent généralement une fraction de tous les couts évoqués ci-dessus, mais peuvent représenter bien plus, car la conséquence de la mise dans le marché – pour des raisons discutables, mais c’est une autre histoire – de la production électrique a créé des effets de rente. Avant, les prix étaient convenus d’avance pour de très longues périodes, et ils étaient révisés par la puissance publique. Dans ce jeu là il y avait peu de place pour des profits nés de conjonctures imprévues, et donc les prix de revient et les prix pour le consommateur variaient à peu près de concert.
Mais désormais, une partie (pas tout) passe par des transactions de gré à gré entre distributeurs et consommateurs. A ce moment, quand un distributeur vend un kWh à un consommateur final, le prix de ce kWh ne dépend pas que du coût de production : il dépend aussi de l’envie que le consommateur a d’acheter le kWh en question. Plus cette envie est forte, plus cela pousse les prix à la hausse. Par ailleurs, comme le producteur qui doit fournir l’électricité dispose en général de plusieurs types de centrales (à gaz, à charbon, hydraulique, nucléaire, etc), il va utiliser en premier celles dont le coût de production est le plus bas, puis progressivement faire appel à celles dont les coûts de production sont de plus en plus élevés.
Dit autrement, l’électricité est un produit où le coût de production marginal augmente avec la quantité fournie, et non l’inverse. A la différence de nombre de produits où le coût de production marginal baisse quand le volume augmente, pour l’électricité c’est l’inverse ! Mais comme les kWh ne se reconnaissent pas en fonction de la centrale qui les a produit, quand le coût de production marginal du dernier kWh produit augmente, cela conduit les autres producteurs à monter aussi leur prix, puisque c’est devenu le prix de marché. La concurrence a donc pour effet… de faire monter les prix, sans compter que cette concurrence amène aussi des acteurs privés, cotés en bourse, qui veulent 12% de rendement sur capitaux investis, et pratiquent donc des prix de vente en conséquence !
Parlons un peu d’avenir
Ce petit tour en Terra Electrica montre que le « vrai coût » de l’électricité est loin d’avoir une définition simple, et encore plus loin de correspondre à une valeur unique. Tout au plus peut-on se risquer à dire que l’ordre de grandeur est le centime d’euro par kWh pour la production (de quelques centimes à quelques dizaines de centimes), le centime d’euro aussi pour l’acheminement (quelques centimes en règle générale), et encore le centime ou la dizaine de centimes pour les taxes et la CSPE.
Avec tout cela, l’exercice qui va intéresser tout le monde, à savoir deviner le prix futur, est plus ou moins facile selon la composante concernée :
- pour les modes fossiles (gaz, charbon, fioul), cela revient à faire un pronostic sur la disponibilité des combustibles et leur prix futur, ainsi que sur le coût futur du CO2
- pour les modes non fossiles (nucléaire, renouvelables) cela revient à faire un pronostic sur les futurs taux d’actualisation, les futurs taux d’utilisation et les durées de vie effectives,
- et pour l’ensemble, il faudrait imaginer ce que pourraient devenir les taxes, la contribution pour le soutien à certaines filières, et les tarifs d’acheminement, donc les investissements futurs qui seront faits ou pas dans le réseau.
Là comme ailleurs, le « juste prix » est donc une notion qui n’existait pas hier et n’existera pas plus demain. Le prix va en face d’un service (électricité garantie ou pas, demandant d’importer gaz et charbon (ou dispositifs de production) ou pas, émettant du CO2 ou pas, permettant d’exporter ou pas, etc) et c’est bien l’un en face de l’autre qu’il faut apprécier ce que cela coûte.
C’est toute la difficulté de transformer cette discussion compliquée en questions simples quand la démocratie doit passer par là…