Dans les démocraties, il y a quelques incontournables dans les promesses électorales de tout candidat aux voix. Aussi loin que je me souvienne, la baisse du chômage en fait partie, et, souvent, la hausse du pouvoir d’achat y figure en bonne place. Le pouvoir d’achat, ce n’est rien d’autre que la quantité de biens et de services que l’on peut se payer avec ses revenus, et, pour qu’il augmente, il faut soit que les prix des biens et services baissent, soit que les revenus augmentent.
C’est la raison pour laquelle le monde politique des pays démocratiques est en général favorable à la concurrence, qu’il voit comme un moyen de faire baisser les prix, et qu’il est favorable à la hausse des salaires, qui constituent le moyen « noble » d’avoir des revenus. En effet, l’autre terme des revenus est constitué de rentes (loyers, dividendes, plus-values liées aux investissements, etc), et, en général, cette partie là est moins bien vue par le pouvoir politique, quel qu’il soit !
Depuis quelques temps, on voit aussi apparaître dans les discours électoraux la question des économies d’énergie. Ca tombe bien, l’essentiel de l’énergie consommée dans le monde l’est dans des démocraties.
Consommation d’énergie primaire par pays ou zone, bois exclu.
Si l’on excepte la Chine, qui représente aujourd’hui 24% de la consommation mondiale d’énergie primaire, et divers pays de moindre importance dans l’ensemble (dont les pays du Golfe pour 6%), à peu près tout le reste de la consommation d’énergie est le fait de démocraties (même si certaines d’entre elles seront qualifiées de non démocratiques par d’autres, et vice-versa !).
Données : BP Statistical Review 2020
Le but de ce qui suit est de voir s’il est si facile que cela de promettre à l’électeur à la fois plus d’emplois, plus de pouvoir d’achat, et des économies d’énergie en pagaille. Pour cela, nous allons utiliser une arme atomique, qui s’appelle… une règle de trois !
Commençons par appeler « jobs » le nombre d’emplois existant dans un pays (ou un groupe de pays). Il est facile de dire…. que ce nombre d’emplois est égal à lui-même (accepter ce fait ne devrait pas poser trop de problèmes).
Jobs= Jobs
Puis nous allons multiplier et diviser, à droite, par le PIB, pour lequel nous allons utiliser l’acronyme anglais, Gross Domestic Product, ou GDP. Rappelons que le PIB n’est rien d’autre, pour tout pays (ou groupe de pays), que la somme des revenus de tous les acteurs économiques de la zone concernée.
Jobs= \frac{Jobs} {GDP}\times{GDP}
Le terme jobs/GDP désigne alors le nombre d’emplois qu’il est possible d’avoir par unité de revenu dans le pays en question, de telle sorte que nous venons d’écrire.
\text{\scriptsize{Emplois }}=\text{\scriptsize{Emplois par unite de PIB} }\times \text{\scriptsize{PIB}}
Quand le terme jobs/GDP augmente, cela signifie qu’il y a plus d’emplois pour la même quantité de revenus, et donc… que chaque emploi procure moins de revenu en moyenne. Si la part des salaires et des rentes n’est pas modifiée, en première approximation cela signifie donc que les gens sont moins payés. On voit alors appraître ci-dessus une manière très simple – et bien connue, puisqu’elle a été mise en oeuvre ces dernières années ou décennies par les USA, la Grande Bretagne, la Suède ou l’Allemagne – pour augmenter le nombre d’emplois à PIB donné : il suffit de moins payer les personnes au travail ! (et donc on en case plus pour une production donnée).
Notons que l’inverse de ce terme, à savoir GDP/jobs, désigne le revenu par actif, ce qui, après prélèvement des impôts, correspondra au pouvoir d’achat par personne ayant un travail.
Nous allons maintenant faire intervenir l’énergie, et multiplier et diviser le terme de droite par l’énergie consommée dans le pays en question, ce qui donne :
Jobs= \frac{Jobs} {GDP}\times \frac{GDP} {NRJ}\times{NRJ}
Le terme GDP/NRJ s’appelle l’efficacité énergétique de l’économie : il augmente quand, avec la même quantité de kWh (c’est-à-dire la même quantité de flux physiques provoqués) il est possible de créer plus d’euros de valeur ajoutée (car le PIB est aussi, par construction, la somme des valeurs ajoutées des agents productifs du pays).
Rappelons que l’économie n’est qu’une grande machine à transformer des ressources naturelles en des biens et des services qui ont plus de valeur, à nos yeux, que les ressources dont ils sont issus. La différence de valeur entre les ressources initiales et les objets ou services finaux s’appelle justement… la valeur ajoutée.
Dit autrement, à chaque fois que l’économiste verra des euros de valeur ajoutée, c’est qu’il y aura eu une transformation (celle-là même que nous appelons souvent « production »), que le physicien pourra mesurer avec des kWh d’énergie. Plus une économie engendre de valeur ajoutée avec peu d’énergie (et donc peu de flux physiques), plus elle est « efficace » en matière énergétique (et donc plus elle crée de valeur ajoutée sans trop perturber l’environnement).
Si nous utilisons des mots, nous venons donc d’écrire que :
\text{\footnotesize{Emplois }}=\text{\footnotesize{Emplois par unite de PIB} }\times \text{\footnotesize{PIB produit par unite d'energie}}\times \text{\footnotesize{energie}}
Cette simple égalité permet désormais de relier entre eux les trois termes qui ont été évoqués au début de cette page :
- le nombre d’emplois (terme de gauche),
- l’emploi par unité de PIB est l’inverse du revenu (donc du pouvoir d’achat) par personne au travail,
- l’efficacité énergétique, qui augmente quand il est possible d’utiliser moins d’énergie sans toucher au PIB,
- enfin l’approvisionnement énergétique du pays ou la zone étudiée.
Et maintenant, discutons !
Avant les chocs pétroliers : c’est magique
La première chose qui peut se déduire de l’égalité ci-dessus est que si l’énergie disponible augmente, cela augmente l’emploi, à condition que dans le même temps il n’y ait pas de dégradation de l’efficacité énergétique de l’économie, et pas d’augmentation trop rapide du revenu par personne au travail.
C’est exactement ce qui s’est passé entre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et le premier choc pétrolier :
- l’énergie disponible a augmenté de 5% par an (essentiellement dans les pays industrialisés : Amérique du Nord, Europe, Union Soviétique, Japon).
Variation annuelle de l’approvisionnement énergétique mondial depuis 1945.
La courbe orange donne la variation annuelle, la courbe bleue la moyenne pour les périodes 1945-1973 (jusqu’au premier choc pétrolier), 1974-2008 (après le premier choc et jusqu’au choc de 2008), et 2009 à nos jours.
On voit clairement que le taux de croissance a été divisé par plus de deux après le choc pétrolier de 1974.
Source Shilling et al, 1977, et BP Statistical Review, 2020
- dans le même temps le PIB par personne a augmenté d’environ 3% par an. Or, tant que le chômage reste faible, et que la fraction d’inactifs dans la population (retraités, étudiants) ne change pas, la variation du revenu par actif ou du PIB par personne est à peu près identique. En fait sur cette période la fraction d’inactifs a augmenté, donc le revenu par actif a donc pu augmenter un peu plus vite que le PIB par personne.
Evolution du PIB par personne depuis 1960 en moyenne mondiale (courbe bleue), et moyenne pour chacune des trois périodes 1945-1973 ; 1974-2008 ; 2009 à nos jours (courbe orange).
Avant le premier choc ce taux est supérieur à 3%, et il est divisé de moitié juste après.
Source: World Bank 2019 ; moyenne calculée par l’auteur.
- enfin l’efficacité énergétique de l’économie a été globalement en augmentation ou constante.
Variation de l’efficacité énergétique pour le monde dans son ensemble depuis 1960
(pas de statistiques de PIB avant !) Par convention la valeur pour 1970 qui vaut 1.
On voit clairement que cette efficacité énergétique n’augmente pas de 1960 à 1970, puis croit à raison d’un peu moins de 1% par an, avant une décennie où de nouveau il n’y a pas d’évolution.
Sources Shilling et al, 1977, BP Statistical Review, 2020, et World Bank, 2020
Sur la période analysée ici, tous les indicateurs sont donc orientés dans le bon sens : l’approvisionnement énergétique augmente de 5% par an en moyenne mondiale, l’efficacité énergétique de l’économie augmente de 1% par an en gros, et même si le revenu par actif augmente de 3% à 4% par an (et donc le terme jobs/GDP diminue de 3% par an), le nombre d’emplois a pu croître de 1% à 2% par an (c’est ce qui résulte de la composition des trois taux précédents dans notre petite équation). Magique !
Après les chocs pétroliers : Midas se fatigue
La manière classique de se souvenir des chocs pétroliers de 1974 et 1979 est que le prix du pétrole a fortement augmenté, puis fortement décru quelques années après (1985), et tout est rentré dans l’ordre. En fait ce qui s’est passé à l’époque est la traduction économique du ralentissement de la croissance de l’approvisionnement pétrolier, et comme le pétrole était (et est toujours) la première énergie primaire au monde, cela s’est traduit – et se traduit toujours – par une baisse du taux de croissance de l’énergie tout court.
Variation annuelle de l’approvisionnement énergétique des pays de l’OCDE depuis 1966.
(la série représente la variation entre une année et l’année suivante, et donc le point de 1966 représente la variation entre 1965 et 1966).
La moyenne sur la période 1966-1973 est une croissance annuelle de 5,2%, qui tombe à 0,9% sur la période 1974-2014 (et se transforme en diminution annuelle sur les dernières années).
La baisse tendancielle de ce taux de croissance est très nettement visible.
Calcul de l’auteur sur données BP Statistical Review 2020
Après 1974, l’approvisionnement énergétique de l’OCDE est donc passé de 5% à 1% de croissance annuelle moyenne. Dans le même temps, le revenu par actif a continué à augmenter presque au même rythme qu’avant (et donc le terme jobs/GDP continuait à baisser de 2% à 3% par an). Enfin, dans l’OCDE, l’efficacité énergétique de l’économie a cru de 1,5% par an sur la période.
Evolution des $ de PIB par kWh d’énergie pour l’OCDE, de 1965 à 2019.
De 1974 à 2019 cette valeur a cru de 1,5% par an en moyenne.
Source BP Statistical Review 2020 et World Bank 2020.
La composition des variations ci-dessus (NRJ augmentant de 1% par an environ, Jobs/GDP diminuant de 2% à 3% par an, et GDP/NRJ augmentant de 1,5% par an), le terme Jobs (donc le nombre total d’emplois) reste à peu près stable.
Mais…. si la population augmente (ce qui est le cas) alors que le nombre d’emplois reste stable, cela signifie que le taux d’emploi (pour le coup il s’agit des emplois ramenés à la population) baisse, sauf si la totalité de l’accroissement de population correspond à des inactif (retraités, étudiants…).
Evolution de la population de l’OCDE depuis 1950.
Source World Bank 2020.
Evidemment, il y a plusieurs manières de faire baisser ce taux d’emploi autrement que par la hausse du chômage :
- ce taux baisse quand l’entrée dans la vie active se fait plus tardivement (allongement des études), ce qui diminue la part des actifs chez les jeunes (les étudiants sont des inactifs, et ne sont pas pris en compte dans les statistiques du chômage), et par voie de conséquence diminue le nombre de personnes cherchant un travail,
- il est possible de mettre les gens à la retraite plus tôt (abaissement de l’âge de la retraite), ce qui augmente aussi les inactifs pour la fraction « âgée » de la population.
On constatera aisément que c’est ce qui s’est passé dans à peu près tous les pays de l’OCDE depuis 1974 : allongement de la durée des études, et abaissement de l’âge de la retraite. Du coup la population active n’a pas augmenté aussi vite que la population tout court, et il a donc été possible de limiter la casse sur les revenus par actif avec un PIB en faible hausse pour la population dans son ensemble.
Et demain ?
Nonobstant le tropisme des médias français pour le nucléaire ou certaines énergies renouvelables électriques (éolien, photovoltaïque), l’essentiel de l’énergie consommée dans l’OCDE reste de l’énergie fossile (à 80%).
Comme on le voit sur le graphique ci-dessus, depuis 2006 l’énergie disponible dans l’OCDE a commencé à baisser. La cause est d’abord le plafonnement de la production pétrolière mondiale, survenu en 2005, suivi du pic du pétrole conventionnel en 2008, qui laisse une humanité croissante avec un gâteau identique à partager : cela en fait mécaniquement moins pour tous.
Evolution de la production mondiale de liquides depuis 1994, en milliers de barils par jour.
Partie rouge = pétrole brut stricto sensu ainsi que les bitumes et extra-lourds
Partie orange = liquides de gaz,
Partie verte : agrocarburants
Partie bleue = « gains de raffinage » (le raffinage consistant à casser des grosses molécules pour en faire des plus légères, le volume de ce qui sort est un peu supérieur au volume de ce qui entre, alors même que le contenu énergétique a baissé de 10% à 15%). La comptabilité en volume (en barils) est donc parfois trompeuse !
On voit bien, sur ce graphique, que depuis 2005 la production de brut stricto sensu augmente très peu (la hausse vient en quasi-totalité des condensats, liquides de gaz et agrocarburants).
Source : Energy Information Agency, 2020
Par ailleurs, la hausse du gaz et du charbon concerne surtout les pays hors OCDE (et le charbon surtout la Chine).
Evolution de la consommation de gaz par zone depuis 1965, en millions de tonnes équivalent pétrole.
L’OCDE augmente, mais en proportion le reste du monde augmente bien plus vite.
Source : BP Statistical Review 2020
Evolution de la consommation mondiale de charbon par zone depuis 1965, en millions de tonnes équivalent pétrole.
L’OCDE est quasi « plat », mais la Chine connaît un accroissement spectaculaire, du à un accroissement rapide de la production électrique.
Source : BP Statistical Review 2020
Et plus tard ? La production mondiale de liquides va se mettre à baisser d’ici 5 à 15 ans, ce qui se répercutera sur les pays de l’OCDE (et l’Europe) comme partout. Le gaz va avoir du mal à prendre le relais, en particulier en Europe, parce qu’il se transporte mal et ne concerne pas les mêmes usages. Le charbon va aussi avoir du mal à compenser en Europe, parce qu’il se transporte encore plus mal que le gaz (et l’essentiel des réserves n’est pas en Europe) et est encore plus malcommode d’emploi, surtout pour les transports. Enfin le nucléaire n’a pas la cote, et ne fait donc pas l’objet d’investissements massifs, et pour finir les nouvelles renouvelables restent marginales quand on regarde les chiffres.
Il s’ensuit que, très probablement, l’OCDE va voir son approvisionnement énergétique continuer à diminuer en tendance, nonobstant le « gaz de schiste ». Si en plus les Européens se débarrassent du nucléaire cette baisse va s’accélérer.
En fait cette évolution du terme NRJ n’aurait rien de surprenant, puisque ce ne serait que la continuité de ce qui s’est observé depuis 45 ans.
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation d’énergie dans l’OCDE depuis 1965.
La tendance de fond est très claire : cette croissance est devenue de plus en plus faible (ça ne date pas d’hier) et l’évolution après 1985 ne fait que reprendre la tendance qui s’était amorcée entre 1965 et 1975.
Sur ce graphique la tendance est clairement orientée à la baisse, et les éléments ci-dessus ne permettent pas de voir comment cette tendance pourrait fortement se renverser.
Source des données primaires : BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
Cette tendance s’applique du reste à chacune des 5 principales énergies de la zone, à savoir :
- au pétrole :
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation de pétrole dans l’OCDE depuis 1965.
Le même commentaire que ci-dessus s’applique : la baisse avait commencé bien avant le premier, et surtout le deuxième choc pétrolier, et ce qui s’est passé ensuite reste au fond dans une tendance lourde de baisse de la croissance (vous suivez ?).
Source des données primaires BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
- au gaz :
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation de gaz dans l’OCDE depuis 1965.
Il est difficile de voir une « révolution du gaz de schiste » dans la variation des volumes depuis 2000 (rappelons que les USA font partie de l’OCDE !).
Source des données primaires : BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
- au charbon :
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation de charbon dans l’OCDE depuis 1965.
Malgré des ressources supposées très abondantes, la consommation n’est pas orientée à la hausse – globalement – dans cette zone.
Source des données primaires BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
- à l’hydroélectricité :
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation d’électricité hydraulique dans l’OCDE depuis 1965.
Source des données primaires: BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
- au nucléaire enfin :
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation d’électricité nucléaire dans l’OCDE depuis 1965.
La relative jeunesse de cette énergie fait qu’il est normal que les taux de croissance très forts du début diminuent ensuite, et il est plus difficile d’en tirer une conclusion définitive, toutefois en se limitant à la période des 20 dernières années la tendance est clairement à la baisse de ce taux de croissance, puis à une diminution croissante.
Source des données primaires : BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
Notons que les « nouvelles renouvelables », qui ont un taux de croissance en augmentation, ne suffisent pas à inverser la tendance pour l’ensemble du « non fossile »:
Evolution de la croissance de la consommation de « nouvelles renouvelables », dans l’OCDE depuis 1991.
On constate une augmentation de cette croissance sur la période, mais….
Source des données primaires : BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
Evolution de la croissance – ou décroissance ! – de la consommation d’énergie non fossile (hors biomasse) dans l’OCDE depuis 1965.
…cela ne suffit pas à avoir une tendance à la hausse pour l’ensemble des « énergies non fossiles » (nucléaire, et toutes renouvelables, hydro compris, sauf bois).
La diminution des sites équipables en hydroélectricité et la désaffection pour le nucléaire sont bien plus impactants que l’accélération des nouvelles renouvelables.
Source des données primaires BP Statistical Review 2020 ; traitement par votre serviteur.
Nos voici donc avec un approvisionnement énergétique parti pour baisser. Dans ce contexte, pour augmenter les emplois (ce qui permet de lutter contre le chômage, ou de ne pas l’augmenter si la population augmente) il faut que le produit des termes Jobs/GDP et GDP/NRJ augmente plus vite que le terme NRJ ne baisse. Cela signifie que nous devons augmenter:
- soit Jobs/GDP (ce qui signifie une baisse de la rémunération par actif, comme expliqué plus haut),
- soit GDP/NRJ, c’est-à-dire l’efficacité énergétique de l’économie.
Si nous cherchons à conserver au moins Jobs/GDP constant (ce qui signifie un revenu par actif constant ; quand le revenu par actif augmente – les gens sont plus payés – ce terme baisse), alors cela signifie que le terme GDP/NRJ doit fortement augmenter pour que les emplois continuent à augmenter en période de baisse de l’énergie. Pour donner un exemple, si nous voulons que l’emploi global croisse de 1% par an, avec une énergie fossile – donc une énergie tout court, en gros – qui diminue de 2% par an, et des rémunérations qui restent constantes, alors GDP/NRJ doit augmenter d’au moins 3% par an.
Jobs= \frac{Jobs} {GDP}\times \frac{GDP} {NRJ}\times{NRJ}
Deux autres conclusions majeures peut être retirée de cette petite règle de trois :
- toutes choses égales par ailleurs, l’efficacité énergétique crée des emplois (si à droite le terme GDP/NRJ augmente, alors si tous les autres termes restent égaux à gauche le terme Jobs augmente). C’est logique : augmenter ce terme revient à maximiser les flux physiques crées avec une unité d’énergie, ce qui permet ensuite d’occuper plus de monde,
- toutes choses égales par ailleurs à nouveau, la substitution d’une énergie par une autre (le terme NRJ reste le même) ne permet pas d’augmenter l’emploi global (à ce moment NRJ reste le même, Jobs/GDP et GDP/NRJ restent les mêmes, et donc Jobs reste le même). Cela signifie qu’en pareil cas il n’y a alors que des effets de transfert, et les emplois créés ici (et mis en lumière par les partisans de la nouvelle énergie) substituent des emplois détruits ailleurs (mais qui sont hors du champ visuel des partisans de la nouvelle énergie).
Pour que changer d’énergie ait un impact sur l’emploi, il faut que dans le même temps on ait au moins l’un des processus suivants :
- ce remplacement change par ailleurs l’efficacité énergétique de l’économie (par exemple on électrifie un processus, et il se trouve que ce changement permet d’augmenter le PIB par unité d’énergie).
- ce remplacement permette de payer moins cher les salariés de la nouvelle filière que ceux de l’ancienne (à ce moment on augmente le terme Jobs/GDP en même temps que NRJ reste constant en valeur, en changeant de nature).
- ce changement permet de passer d’une énergie importée dans la zone à une énergie « produite » dans la zone (à ce moment les emplois attachés à la filière énergétique se retrouvent dans la zone et non à l’extérieur, et cela change accessoirement la balance commerciale, mais cela ne change pas le reste).
Par contre, pour appeler un chat un chat, remplacer, en France, du nucléaire par des renouvelables électriques, et à la condition que les salariés des renouvelables électriques soient payés en moyenne la même chose que les salariés du nucléaire, ne modifie pas l’emploi global, mais simplement sa répartition.
En conclusion, ce que suggère cette équation, c’est que préserver à la fois l’emploi et le pouvoir d’achat en période de baisse de l’approvisionnement énergétique (plus que vraisemblable en Europe) est une affaire compliquée… et qu’il vaudrait mieux éviter de le promettre pour ne pas avoir la gueule de bois !