Du pétrole ? Pourquoi s’en faire, nous en avons pour 40 ans ! Qui n’a jamais entendu cette phrase… qui nous a mis dans un terrible malentendu, dont nous sommes déjà en train de vivre les conséquences économiques ? Est-ce à dire que nous n’aurions pas « 40 ans de pétrole » ? En fait si, mais cela ne signifie en rien… que nous avons 40 ans de tranquillité. Solution du rébus ci-dessous.
Nous avons 40 ans de pétrole… et un malentendu
Que voulaient dire ceux qui ont mis en circulation les premiers cette expression de « 40 ans de pétrole » ? Tout simplement que, à ce moment là, les réserves prouvées de pétrole étaient égales à 40 fois la production de l’année passée. Comme nous n’aimons pas trop nous creuser la cervelle sur des expressions simples, tous ceux qui voyaient passer cette expression ont fait un raccourci qui les a amenés à quelque chose d’un peu différent. L’assimilation a été la suivante :
« nous avons 40 fois la production de l’an passé »
=
« nous avons 40 ans au rythme actuel de consommation »
=
« nous avons 40 ans de pétrole »
=
« nous avons 40 ans de tranquillité ».
Et voici comment nous passons d’un volume (40 fois la production de l’année dernière) a une durée ! (nous sommes tranquilles pour 40 ans).
Cela serait vrai si tout d’un coup nous nous mettons à avoir une consommation constante, et surtout si nous ne nous soucions pas de la 41è année ! La traduction graphique de cette interprétation la plus immédiate de « 40 ans de pétrole » est donnée ci-dessous.
Signification de « 40 ans de pétrole » si la consommation reste constante.
Cela signifie que la quantité de pétrole que nous sommes certains de faire sortir du sol à l’avenir est égale à 40 fois la consommation de l’année écoulée. Si nous ne souhaitons pas augmenter notre consommation de pétrole à l’avenir, et que la production peut se maintenir au même niveau, nous sommes effectivement tranquilles pour 40 ans (et la 41ème, grosse cata !).
Sauf que… aucune courbe de production ne ressemble à ce qui figure ci-dessus : une production n’est pas constante pendant 40 ans pour passer à zéro la 41ème année ! Et au surplus notre souhait pour l’avenir est plutôt d’augmenter notre consommation, en général…
Sauf que… la consommation de pétrole n’a jamais été constante depuis que nous avons commencé à en consommer. Du coup, nous allons commettre une erreur fatale : assimiler « 40 ans à consommation constante » avec « 40 ans de croissance », puisque c’est seulement dans un contexte sans contrainte (donc avec une consommation qui peut croître) que nous sommes tranquilles. La traduction graphique de cette erreur de jugement à peu près universellement répandue (y compris au sommet de l’Etat, au sein de la plupart des rédactions, au sein de la direction de nombreux grands groupes, etc) donnée ci-dessous.
Interprétation intuitive (erronée) la plus courante de « 40 ans de pétrole ».
Comme la consommation n’a jamais été constante, nous prolongeons inconsciemment cette évolution à l’avenir et du coup être tranquilles pour 40 ans signifie que la croissance se prolonge sur cette durée. Mais alors le pétrole disponible doit être supérieur à 40 fois la consommation de l’année dernière ! La quantité de pétrole extractible de manière certaine est donc devenue supérieure à « 40 fois la production de l’année écoulée ».
Et, à nouveau, aucune courbe de production future ne ressemblera à ce qui figure ci-dessus : la production nmondiale ne va pas être croissante pendant 40 ans pour passer à zéro l’année d’après.
Dans les deux situations (fictives) qui correspondent aux deux graphiques ci-dessus, nous avons donc une relative abondance pendant 40 ans, puis… plus rien. Dans le deuxième cas, nous avons même imaginé que sortirait du sol plus de pétrole que ce qui est contenu dans les réserves prouvées annoncée par les pétroliers. Mais historiquement cela s’est toujours passé ainsi, alors pourquoi s’en faire ?
En fait, qu’il s’agisse d’un gisement ou de la planète dans son ensemble, une production est obligée de ressembler à quelque chose de pas très éloigné d’une courbe en cloche. Il y a eu une époque dans l’histoire où la production était nulle, elle a cru et va passer par un maximum, puis décroîtra derrière. Et compte tenu de la place occupé par le pétrole dans notre économie, le moment important est celui où la production va se mettre à décliner, parce que cela signifie qu’à ce moment là la consommation sera forcée de diminuer (personne ne peut consommer un pétrole qui n’est pas « produit », c’est-à-dire extrait du sol puis raffinée).
La bonne interprétation de « 40 ans de pétrole » est donc de projeter une courbe de production future en cloche, et dont le cumul (jusqu’à +∞ !) est au moins égal à 40 fois la production de l’année passée. Cette situation est illustrée graphiquement ci-dessous.
Interprétation correcte de « 40 ans de pétrole ».
Le cumul de la production future (sans limite de temps) vaut au moins 40 fois la production de l’année écoulée… mais la production annuelle passera par un maximum avant de décliner.
Et maintenant nous voyons que les « années de tranquillité » n’ont plus rien à avoir avec 40 ans ! Car le temps de la tranquillité est celui qui nous sépare du maximum de production, et ce temps peut être très inférieur à 40 ans. Nous avons bien « 40 ans de pétrole », mais pas du tout 40 ans avant les ennuis ! Et de fait c’est bien la situation dans laquelle nous sommes désormais : les réserves prouvées n’ont jamais été aussi hautes, mais le pic n’a jamais été aussi proche, et nous allons voir ci-dessous comment cet apparent paradoxe n’en est pas un.
Comment avoir plein de réserves pour plus tard et le pic pour tout de suite
Il s’avère donc que le temps qui passe nous rapproche d’un pic dont l’existence est inexorable. Comment ce dernier pourrait-il être proche alors que les réserves n’ont jamais cessé d’augmenter ? La « solution », présentée sous forme graphique ci-dessous, est pourtant toute simple, et il suffit d’y penser… sauf que prendre de la hauteur de vue est toujours un peu difficile à concilier avec les raccourcis médiatiques.
Notre petite histoire va donc commencer par le commencement : la forme générale de la production d’un champ de pétrole, qui est aussi la forme générale de la production de pétrole pour le monde dans son ensemble (et cette forme est imposée par les maths, voir début de la page sur le pic).
Aspect général d’une courbe de production issue d’un stock donné une fois pour toutes, qu’il s’agisse d’un champ de pétrole, d’une zone pétrolière plus vaste, ou de la planète dans son ensemble.
Comme nous le verrons ci-dessous il peut y avoir plusieurs bosses avant le déclin (la courbe peut donc ressembler à un dos de chameau plutôt qu’à un dos de dromadaire, voire à un dos de dragon à 5 bosses), mais un maximum absolu à un moment où à un autre puis un déclin vers zéro sont inexorables.
La quantité totale de pétrole extraite – le cumul de l’extraction – correspond à l’aire sous la courbe en rouge, et elle est au plus égale au stock extractible de départ. En langage mathématique, on utilise le terme « intégrale » pour désigner cette surface. Chez les pétroliers, cette surface va correspond aux réserves ultimes.
NB : La forme générale de cette courbe de production s’appliquera à toute ressource minière, puisque les mêmes conditions initiales (non renouvellement, quantité extractible ayant une borne supérieure connue) s’appliquent.
Comme la forme de la courbe de production future est imposée par les maths, nous allons partir de là et situer dessus différentes époques dans le passé ou le présent. Plaçons nous en 1900, en négligeant à cette époque le pétrole déjà extrait du sol. De fait, pour la totalité du 19è siècle, les hommes ont extrait 230 millions de tonnes de pétrole du sous-sol planétaire – en fait essentiellement américain – , soit moins de 10% de la production d’une seule année actuellement !
Situation approximative au début du 20è siècle.
Les pétroliers ont déjà découvert et mis en production quelques gisements, et ils publient des réserves prouvées qui correspondent au pétrole extractible de manière certaine de ces premiers champs. Le volume correspondant est l’équivalent de l’aire en rouge.
Le reste de l’aire sous la courbe correspond à du pétrole qui sera découvert plus tard (en 1900 les grandes découvertes du Moyen Orient n’ont pas encore eu lieu) et donc produit plus tard. Tant qu’il n’est pas dans un gisement en cours d’exploitation, le pétrole ne peut pas être comptabilisé dans les réserves prouvées. A ce stade, la production passée est négligeable.
Puis l’horloge tourne. La situation ci-dessous nous met fictivement en 1950.
Situation approximative au milieu du 20è siècle.
Les réserves ultimes (la quantité totale de pétrole qui finira par sortir des entrailles de la terre) n’ont pas changé (par définition).
Les réserves prouvées initiales ont bien été produites (ce qui est normal puisque leur extraction était considérée comme certaine) et elles sont désormais colorées en gris. Dans le même temps, il y a eu des découvertes mises en production, et des réévaluations sur des gisements déjà découverts.
La somme de ces deux apports aux réserves prouvées a plus augmenté ces dernières que la production ne les a fait baisser. Les réserves prouvées publiées à ce moment là, en rouge, sont alors plus importantes que quelques décennies plus tôt… et pourtant, dans le même temps, nous avons avancé vers le pic de production.
On peut bien sur exprimer ces réserves prouvées en multiple de la production de l’année de la publication.
Puis l’horloge tourne encore. La situation ci-dessous nous met fictivement en 1980.
Situation approximative « début de la fin du 20è siècle ».
Les réserves ultimes (la quantité totale de pétrole qui finira par sortir des entrailles de la terre) n’a toujours pas changé (et c’est normal : c’est tout ce qui sort du début à la fin).
Notre connaissance des réserves ultimes peut, elle, avoir changé, mais ce n’est pas la même chose !
A nouveau, les réserves prouvées de 1950 ont aussi été produites (elles sont désormais aussi en gris), et à nouveau l’augmentation des réserves prouvées – grâce à des découvertes mises en production et des réévaluations sur des gisements déjà découverts – est allée plus vite que leur production.
Les réserves prouvées publiées à ce moment, en rouge, exprimées en multiple de la production de l’année écoulée, peuvent donc avoir toujours la même valeur, être plus importantes exprimées en tonnes de pétrole… et pourtant nous sommes encore plus près du pic de production.
Et puis nous sommes… pas très loin d’aujourd’hui.
Situation approximative « début du 21è siècle ».
Les mêmes processus ont produit les mêmes effets :
- les réserves ultimes (la quantité totale de pétrole qui finira par sortir des entrailles de la terre) sont toujours les mêmes (rappelons que par définition aussi les réserves ultimes sont la somme du pétrole déjà extrait, des réserves prouvées, et de ce qui viendra des découvertes ou réévaluations futures.
- les réserves prouvées publiées en 1980 ont aussi été produites, et elles sont désormais aussi colorées en gris,
- les réserves prouvées, en rouge, ont à nouveau augmenté plus vite que la production…
… mais le pic de production n’a jamais été aussi proche !
Nous sommes désormais dans une situation où jamais nous n’avons eu autant de réserves prouvées, et jamais nous n’avons été aussi près du pic de production. Bien entendu, cette situation ne va pas perdurer indéfiniment : une fois le pic passé, les réserves prouvées vont diminuer, et elles peuvent même le faire… en restant encore pendant un temps égales à 40 fois la production de l’année passé ! Il suffit pour cela que la courbe de production ne soit pas symétrique (et elle l’est rarement, en général la production descend plus lentement passé le pic qu’elle n’est montée avant le pic).
Jusqu’à maintenant la discussion s’est tenue comme si les réserves publiées étaient dignes de foi, mais il n’est désormais plus possible d’exclure une partie de poker menteur pour une partie des pays, ce qui ne simplifie pas la visibilité sur le sujet !