NB : les graphiques proviennent presque tous de l’article « du kérogène au pétrole et au charbon : les voies et les mécanismes des transformations des matières organiques sédimentaires au cours de l’enfouissement », Bernard Durand, Mem. Soc. Geol. France, N.S., 1987, pp 77-95, que je remercie vivement.
Le pétrole « normal », ou, dans le jargon des pétroliers, « conventionnel », désigne un liquide composé principalement de molécules d’hydrocarbures (formées uniquement de carbone et d’hydrogène). Ce pétrole « normal » contient également, en proportions assez variables (15 % en moyenne), des molécules lourdes plus complexes (incluant de l’oxygène, de l’azote et du soufre) appelées résines ou asphaltènes.
Ce pétrole s’est formé à partir d’organismes vivants (algues, plancton, parfois végétaux continentaux…) qui ont vécu il y a fort longtemps. Chaque réservoir de pétrole de part le monde fournit une huile qui a ses caractéristiques propres : comme il n’y a pas deux êtres humains exactement semblables, il n’y a pas deux champs de pétrole qui fournissent exactement le même liquide.
La formation du pétrole est l’aboutissement d’un long processus de sédimentation et qui nécessite une succession de phases bien particulières :
- Sur notre planète, il y a, en permanence, des organismes qui meurent. Ces organismes (nous inclus !) sont composés pour l’essentiel de carbone, d’hydrogène, d’azote et d’oxygène. La vie a notamment pour caractéristique de maintenir ces éléments sous forme de molécules complexes (protéines par exemple), et à la mort ces délicats assemblages sont « cassés » – on parle de décomposition -, et l’essentiel est recyclé et réutilisé rapidement par la biosphère. C’est par exemple le cas du gaz carbonique issu de cette décomposition qui est réutilisé par les végétaux vivants, des matières azotées qui engraissent le sol, etc.
- Toutefois une faible fraction de cette matière morte (moins de 1% de la biomasse qui meurt) sédimente, c’est à dire qu’elle se retrouve incluse dans des roches ou couches minérales sédimentaires en formation. Le processus de sédimentation est un processus permanent au fond des océans et des lacs, qui produit certes peu d’effets à l’échelle d’une vie humaine, mais est d’une importance capitale à l’échelle des temps dits « géologiques » (quelques millions d’années à quelques milliards d’années).
- Tous les sédiments formés, s’ils sont minéraux en apparence, comportent donc une fraction de matière organique, plus ou moins forte (de l’ordre de 1% en moyenne), qui se retrouve « piégée » dans le sédiment minéral en formation. Cette fraction organique subit une première transformation par les bactéries en début de sédimentation, et conduit à la formation d’un composé solide appelé kérogène, disséminé – vu sa faible proportion – sous forme de petits filets dans la partie minérale. Cette dernière s’appellera la « roche mère ».
Masse totale du kérogène à l’échelle de la planète
Bien qu’il ne soit présent qu’en faibles proportions dans les sédiments en règle générale, le kérogène représente, à l’échelle de la planète, une masse totale de 10.000.000 de milliards de tonnes. 0,1% seulement de ce kérogène (c’est à dire un millième de la totalité de la matière organique sédimentée) forme le charbon (mais cela fait encore 10.000 milliards de tonnes !), et le gaz et le pétrole représentent chacun 0,003% du kérogène total en ordre de grandeur (mais cela fait encore quelques centaines de milliards de tonnes).
- A cause de la tectonique des plaques, c’est-à-dire des mouvements de convection très lente sous la croute terrestre, les sédiments s’enfoncent lentement dans le sol. La température ambiante augmente alors, la géothermie se chargeant de fournir le chauffage (incidemment l’énergie géothermique est le résultat de la radioactivité naturelle des roches terrestres). La vitesse d’enfouissement étant variable, la température de l’ensemble sédimentaire augmente de 0,5 à 20°C par million d’années.
- A partir de 50 à 120 °C de température ambiante (le niveau minimum dépend de l’âge de la roche mère, c’est compliqué !), le kérogène subit une décomposition d’origine thermique, la pyrolyse (sous réserve qu’il ne soit pas en contact avec de l’oxygène libre, sinon il s’oxyde). Dans un premier temps, cette décomposition expulse de l’eau et du CO2 du kérogène (en plus ou moins grande quantité selon la proportion initiale d’oxygène). Ensuite, les températures devenant croissantes avec le temps, le kérogène expulse des hydrocarbures liquides (c’est le fameux pétrole, que l’on appelle encore « huile ») et du gaz « naturel » (notons que le pétrole et le charbon sont tout aussi « naturels », puisque trouvés dans la nature !).
Plus le sédiment est allé profond, et plus la fraction de gaz est importante, car il fait plus chaud et la pyrolyse a duré plus longtemps, décomposant plus fortement le kérogène ainsi que les hydrocarbures liquides eux-mêmes. Compte tenu de la vitesse de « plongée », il faut quelques millions d’années pour que le kérogène se transforme partiellement, sous l’effet de la chaleur, en pétrole, gaz, CO2, et eau.
- Chaque petit filet de kérogène de la roche mère va donc se transformer en un mélange eau+hydrocarbures liquides+gaz+résidu solide fortement carboné (car l’essentiel de l’hydrogène est parti dans les hydrocarbures liquides et le gaz). Seules les roches mères relativement imperméables (donc à grain fin) peuvent retenir le kérogène suffisamment longtemps pour qu’il ait le temps de se transformer de manière importante, mais cette imperméabilité a pour conséquence que le résultat de la pyrolyse est dans un premier temps retenu prisonnier dans la roche de manière très dispersée.
Etape 1 de l’évolution du kérogène, au début de la pyrolyse.
Chaque petit filet de kérogène produit de l’eau qui est parfois expulsée sous l’effet de la pression des couches situées au-dessus du sédiment.
Etape 2 de l’évolution du kérogène, en cours de pyrolyse.
Chaque petit filet de kérogène commence à produire des hydrocarbures
- La formation d’hydrocarbures est donc une conséquence normale à long terme de la sédimentation dès lors qu’il y a une fraction organique dans la matière de départ, mais sans un processus permettant de « concentrer » les huiles et le gaz formés de manière très diffuse par cette décomposition, aucun gisement de pétrole ou de gaz n’existerait.
- C’est l’apparition du gaz, au fur et à mesure que le kérogène est porté à une température croissante (résultant de l’enfouissement), qui finit par mettre fin au processus de pyrolyse. La pression de gaz dans les petites poches qui contenaient le kérogène initial augmente en effet avec la profondeur (car il fait de plus en plus chaud), et lorsque cette pression devient suffisante pour vaincre « l’imperméabilité » de la roche mère (les résistances liées à la capillarité sont très fortes pour des petits pores), la fraction liquide et la fraction gazeuse sont progressivement expulsées de la roche mère.
On appelle cette expulsion la « migration primaire » dans le jargon pétrolier. L’âge de la roche mère varie de 1 million d’années à 1 milliard d’années au moment de la migration, l’âge le plus fréquent se situant aux alentours de 100 millions d’années : le pétrole est donc une énergie renouvelable….si nous pouvons attendre quelques dizaines de millions d’années avant de le brûler !
Etape 3 de l’évolution du kérogène.
Chaque petit filet de kérogène a produit à peu près tous les hydrocarbures qu’il pouvait produire (il ne reste quasiment plus d’hydrogène dans le sédiment). Sous la pression du gaz, « la migration primaire » commence.
- Après avoir été expulsés de la roche mère, les hydrocarbures et le gaz (et l’eau) entament alors ce que l’on appelle une « migration secondaire » : ils « suitent » le long des couches perméables qui jouxtent les couches de roche mère (laquelle est généralement peu perméable, comme il est expliqué ci-dessus), en se dirigeant vers la surface sous l’effet de la pression des couches de sédiment situées au-dessus.
- Si rien n’arrête cette migration vers le haut, les hydrocarbures finissent par parvenir près du sol, où ils sont dégradés par l’action des bactéries et aboutissent à la formations de bitumes. Les sables bitumineux (ou asphaltiques) de l’Athabasca, au Canada, qui constituent la plus grande accumulation connue de bitumes de cette nature au monde, correspondent à ce stade de l’évolution du « pétrole ». D’une certaine manière, nous avons là affaire à un composé « plus vieux que le pétrole ». Ces fuites de pétrole sont fréquentes, et comme elles peuvent provenir soit de roches mère, soit de réservoirs déjà formés dont l’étanchéité est rompue (voir plus bas), elles ont servi pendant longtemps de marqueurs pour trouver des gisements, au début de l’exploration pétrolière. Ces fuites portent encore le nom de « dysmigration ».
- Pour que l’on ait la formation d’un gisement exploitable d’hydrocarbures liquides, il faut donc que ces hydrocarbures se « concentrent » quelque part avant de parvenir au sol, ce qui, pratiquement, nécessite qu’ils soient arrêtés dans leur remontée vers la surface par un « piège ». En pratique, ce piège est une nouvelle couche imperméable formant le plus souvent une espèce « d’accent circonflexe » au-dessus de la roche poreuse dans laquelle le pétrole circule. Il peut s’agir d’une couche de sel, de marne, etc. A cause de leur densité respective, l’eau expulsée de la roche mère vient se loger en dessous du pétrole, et le gaz au-dessus. A ce stade, le pétrole est dit « conventionnel ». La roche qui contient le pétrole s’appelle un réservoir.
Schéma d’ensemble de la migration du pétrole.
1 – Migration primaire
2 – Migration secondaire, le long de roches poreuses, de failles, etc
3 – Dysmigration : le pétrole « s’échappe » d’un réservoir où il s’était accumulé.
- lorsque le kérogène a produit tous les hydrocarbures qu’il pouvait produire, cela signifie qu’il a perdu tout son hydrogène. Il reste un composé proche du charbon, mais pas nécessairement exploitable pour autant car il est toujours disséminé dans la roche mère à des teneurs inférieures à 1% en moyenne.
- Mais l’histoire de notre pétrole n’est pas finie ! En effet, le réservoir de pétrole est lui-même pris dans le mouvement de tectonique des plaques, et se trouve donc lui aussi entraîné inexorablement vers les profondeurs, où il fait de plus en plus chaud. De ce fait, le pétrole peut subir une nouvelle pyrolyse, qui est un peu l’équivalent d’une distillation en raffinerie. Cette pyrolyse va produire du gaz et une variété particulière de bitume (appelé pyrobitume) en quantités croissantes avec le temps et la température.
- Si le réservoir est bien étanche, cette nouvelle plongée entraîne la formation d’un gisement essentiellement gazier. Si le réservoir est insuffisamment étanche, le gaz s’échappe et il ne reste que les bitumes (ou asphaltes) dans les porosités de la roche réservoir. Ceci explique pourquoi, dans les bassins sédimentaires, les réservoirs de gaz sont généralement situés plus en profondeur que les gisements pétroliers (en fait pétro-gaziers).
- Le charbon est une variété particulière de kérogène, qui se forme à partir de débris de végétaux dits « supérieurs » (arbres, fougères…). C’est un kérogène qui présente la caractéristique d’être dominant dans le sédiment au lieu d’y être minoritaire. Le premier stade de sédimentation conduit à la tourbe. Lors de l’enfouissement, la pyrolyse conduit ensuite à du lignite, puis de la houille, puis de l’anthracite, qui est du carbone presque pur, débarrassé de l’essentiel de son hydrogène (et comme il s’agit d’un stade ultime de pyrolyse l’anthracite est généralement le plus profond des charbons). Comme les autres kérogènes, le charbon produit du pétrole et du gaz au cours de son enfouissement, bien qu’en moindres quantités en ce qui concerne le pétrole. La formation de pétrole à partir du charbon a lieu au stade houille, et le méthane formé qui sera resté adsorbé dans le charbon s’appellera….le grisou.
Schéma d’ensemble de la formation du charbon.
L’échelle de droite donne, en millions d’années, le temps qui nous sépare du présent. L’échelle de gauche donne, pour chaque graphique, la profondeur en km.
Chaque dessin représente un état de la formation du charbon, en commençant par le haut (qui représente donc le système qui donnera le charbon il y a 320 millions d’années).
La matière organique (concentrée puisque ce sont des végétaux qui sédimentent) passe par les stades suivants : tourbe – lignite mat – lignite brillant – houille – anthracite. A chaque fois la teneur en carbone augmente.
Les lettres V1 et V2 représentent une même matière organique initiale qui forme ensuite des Veines (d’où le V) de charbon. Le type de charbon que l’on trouve dans la veine (A, H, etc) est mentionné entre parenthèses avec le sigle de la veine. Les divers dessins montrent comment ces veines évoluent, et se déplacent (à cause de la tectonique), au cours du temps.
Source : B. Durand, Energie et environnement, les risques et les enjeux d’une crise annoncée. EDP Sciences, 2007
Quels hydrocarbures liquides sait-on exploiter ?
Au début de l’exploitation pétrolière, le pétrole que nous savions extraire était du pétrole « conventionnel », c’est à dire un liquide produit par la pyrolyse du kérogène, ayant été expulsé de la roche mère, puis ayant eu la bonne idée de se concentrer dans un réservoir. Exploiter ce pétrole est relativement aisé : une partie sort toute seule sous la pression du gaz généralement associé, et une autre partie se « pompe » avec des techniques diverses, qui ne cessent de se sophistiquer. Avec ce pétrole « conventionnel », l’extraction consomme, en moyenne, quelques pour-cent seulement de l’énergie qui sera disponible dans l’huile extraite.
Mais les opérateurs s’intéressent de plus en plus au pétrole « non conventionnel », qui recouvre :
- les sables bitumineux et les huiles extra-lourdes, qui correspondent aux poches où le pétrole formé a perdu ses éléments volatils. Il s’agit donc de pétrole « plus vieux » que le pétrole conventionnel, et qui s’est altéré près de la surface terrestre en s’enrichissant en molécules lourdes comme expliqué plus haut,
- les schistes bitumineux, qui désignent – à tort puisqu’il n’y a pas de bitume – un mélange de roches et de kérogène qui n’a pas subi de pyrolyse. Il s’agit donc de combustibles fossiles qui se sont arrêtés « avant le pétrole » dans la chaîne de transformation, et ces ressources devraient plutôt être comptées dans la catégorie des charbons, à l’instar de la tourbe ou de la lignite. Ils peuvent être transformés en pétrole en subissant une pyrolyse (à 500 °C pour ne pas attendre un million d’années) dans une usine, mais le bilan énergétique est très mauvais (en général le rendement est négatif, c’est à dire que l’on dépense plus d’énergie que l’on en obtiendra ensuite en brûlant le combustible obtenu).
Dans tous les cas de figure le pétrole non conventionnel correspond à des produits « pâteux », voire solides, et souvent mélangés à la roche avec une proportion minoritaire pour la partie organique. Ce sont des gisements beaucoup plus difficile à exploiter que le pétrole « classique » :
- s’il s’agit d’huiles extra-lourdes, ou de sables bitumineux, il faut par exemple y injecter de la vapeur sous pression (pour fluidifier le « pétrole » en le réchauffant, et lui permettre de sortir sous la pression de la vapeur), ce qui nécessite de consacrer à l’extraction quelques dizaines de pour cent de l’énergie qui sera fournie par le « pétrole » extrait,
- s’il s’agit de schistes bitumineux, l’extraction du combustible s’apparente à une activité minière, et le combustible peut ne représenter que quelques %, en poids, de la roche qu’il imprègne. Certains géologues préconisent même de ne pas en tenir compte dans l’inventaire des réserves.
Il est aussi possible d’exploiter les gaz qui se sont formés dans une roche mère sans avoir migré ensuite : les « gaz de schiste« .
En savoir plus sur la formation du pétrole
La page d’André Bourque, professeur à l’Université Laval (Québec)