Une centrale nucléaire (en fait un réacteur, c’est à dire une tranche ; il y a plusieurs tranches par centrale) de 1000 MW (1 MW = 1.000 kW) de puissance nominale (les tranches actuelles vont de 900 à 1400 MW) produit :
1000 x 24 x 365 = environ 8.700 GWh par an.
(1 GWh = 1.000.000 kWh)
Il faut normalement tenir compte d ‘un taux d’indisponibilité « technique » (c’est à dire pour la maintenance et les pannes) mais comme il est faible (de 5 à 10%) on le néglige pour un calcul en ordre de grandeur.
NB : le taux de disponibilité des centrales françaises est en fait plus proche de 80%. Cela n’est pas une conséquence de la technique, mais du fait que les centrales n’ont pas besoin de tourner tout le temps pour le moment.
Si on fait de l’électricité avec du gaz naturel (méthane), on émet environ 400 g de CO2 par kWh (dépend en fait du type de cycle et du rendement de l’installation).
Il s’ensuit que pour faire 8.700 GWh (soit 8.700.000.000 kWh) avec du gaz, on émet environ 3 million de tonnes de CO2, soit de 900.000 tonnes équivalent carbone. Cela veut dire que de remplacer un seul réacteur nucléaire par du gaz naturel conduit à augmenter les émissions de CO2 d’une quantité équivalente à ce qui est produit par toute l’agglomération grenobloise.
Quelques autres considérations sur le fait que de recourir massivement au gaz est une fausse bonne idée peuvent se trouver ici.
Extrapolons
Quand on produit un kWh d’électricité, cela conduit à des émissions de CO2 très variables selon l’énergie primaire (l’énergie « initiale ») qui est utilisée (les explications sur le « contenu en gaz à effet de serre » du kWh peuvent se trouver ici) :
Source d'énergie | Emissions de CO2 en g/ kWh (analyse du cycle de vie) |
---|---|
Charbon | 800 à 1050 suivant technologien |
Cycle combiné à gaz | 430 |
Nucléaire | 6 |
Hydraulique | 4 |
Biomasse bois | 1500 sans replantation |
Photovoltaïque | 60 à 150 |
Eolien | 3 à 22 |
La France a consommé environ 500 TWh (un TWh = 1.000.000.000.000 Wh, ca fait beaucoup !) d’électricité en 2005 (source : Observatoire de l’Energie), c’est à dire 500.000.000.000 kWh, dont 75% environ, soit 400 TWh, sont issus de centrales nucléaires (il s’agit d’ordres de grandeur). Par ailleurs notre pays a émis de 560 à 650 millions de tonnes équivalent CO2 de gaz à effet de serre (sans prise en compte des puits) en 2004
NB : les émissions peuvent varier selon le format d’inventaire, et notamment selon que l’on compte la combustion de la biomasse ou pas dans les émissions brutes.
Il s’ensuit que si nous faisions un remplacement total du nucléaire par une autre énergie primaire (cette hypothèse est totalement irréaliste pour le bois, l’éolien, le photovoltaïque ou l’hydraulique, mais elle serait aujourd’hui faisable pour le gaz ou le charbon), nous aurions des émissions supplémentaires représentées dans ce tableau (sans séquestration) :
Source d'énergie | g de CO2 (moyenne) par kWh produitn | millions de tonnes de CO2 supplémentaires si nous remplaçons 400 TWh nucléaires par.... | % d'augmentation des émissions brutes de gaz à effet de serre en France (en 2005) |
---|---|---|---|
Charbon | 900 | 360 | 55% à 65% |
Cycle combiné à gaz | 430 | 150n | 25% à 30% |
Nucléaire | 6 | 0 | 0% |
Hydraulique | 4 | -1 | 0% |
Biomasse bois (sans replantation) | 1 500 | 600 | 100% |
Photovoltaïque | 50 à 100 | 70 à 140 (sans stockage) | 8% à 15% |
Eolien | 10 | 20 (sans stockage) | 3% |
Emissions en cas de substitution du nucléaire par d’autres sources d’énergie.
On constate donc que de remplacer tout le nucléaire par du gaz augmenterait nos émissions (tous gaz à effet de serre confondus) de 25% environ, à supposer qu’il n’y ait pas de fuites, car le gaz naturel est un puissant gaz à effet de serre. Quelques % de fuites du puits à l’utilisation finale rendent le gaz aussi « néfaste » que le charbon.
Remplacer le nucléaire par du charbon (qui sera la dernière des ressources fossiles disponibles) augmente les émissions de plus de 50%. Notons aussi que cela engendrerait de l’ordre de 20 à 30 millions de m³ de cendres par an, soit 20.000 fois plus que le volume des déchets nucléaires, cendres qui sont aussi toxiques (elles contiennent des tas de résidus dangereux dont des matériaux radioactifs ; le charbon contient en effet des petites quantités d’uranium, de radium, etc) et dont le lessivage par la pluie, par exemple, conduit à des pollutions de nappes phréatiques.
On comprend ici que simplement en substituant du charbon par du gaz pour sa production d’électricité l’Allemagne arrive à faire baisser ses émissions de 25% environ, mais toutefois les Allemands seront encore de bien plus gros émetteurs par habitant que les Français après cette substitution : remplacer le gaz par du nucléaire leur permettrait de gagner un autre 25%.
On voit aussi que de ce point de vue le solaire ou l’éolien ne sont pas avantageux par rapport au nucléaire, par contre ils le sont par rapport au pétrole ou au gaz : il s’ensuit que de prôner la sortie du nucléaire pour les remplacer par du solaire et de l’éolien ne fait pas gagner un gramme sur les émissions de gaz à effet de serre, outre que c’est complètement irréaliste puisque ce sont des énergies intermittentes et que l’électricité ne se stocke pas.
D’une manière plus générale, remplacer le nucléaire par de l’électricité d’origine renouvelable (hydraulique notamment) conduit juste à cumuler les efforts, car il faut en même temps diviser par quatre la consommation de gaz et de pétrole de chacun d’entre nous. Sachant que les énergies renouvelables ne sont pas disponibles en quantités infinies, il faut les utiliser en priorité pour remplacer gaz, pétrole et charbon si nous voulons lutter efficacement contre le changement climatique, et non s’en servir pour remplacer le nucléaire, sur lequel bien des débats mériteraient par ailleurs de prendre un peu de hauteur de vue.
Allons dans le sens inverse
Supposons maintenant que toute la production d’électricité mondiale actuellement faite avec des combustibles fossiles soit nucléarisée, ou à peu près. Il s’agit bien sur d’un exercice académique, mais dont le résultat permet là aussi de comprendre de quoi on parle.
En 2001, la production mondiale (valant la consommation mondiale, puisque l’électricité ne se stocke pas en grandes quantités) totalisait 15.684 TWh, dont 17% provenaient de centrales nucléaires, et 17% de l’hydroélectricité, une autre source « sans carbone ». J’ai considéré comme éligibles pour une nucléarisation totale du reste tous les pays possédant déjà soit l’arme atomique (car c’est le principal argument des opposants à la généralisation du nucléaire dans le monde) soit un niveau de culture suffisant pour opérer des centrales (qui est supposé acquis quand des centrales existent déjà : on ne refait pas l’histoire !).
Voici la production électrique qui serait alors concernée.
Région | Twh produits en 2001 | Possède déjà l'arme atomique, des centrales, ou un niveau de culture compatible avec une forte nucléarisation | Consommation éligible |
---|---|---|---|
Amérique du Nord | 4 756n nn | Oui | 4.756n |
Amérique Latine & centrale | 802n nn | Essentiellement nonn | 0n |
Europe | 3 464n nn n nn | Oui | 3.464n |
Ancien URSS | 1 286n nn | Essentiellement ouin | 1.286n |
Afrique | 444 | Essentiellement nonn | 0 |
Moyen Orient | 496n nn | Essentiellement nonn | 0 |
Asie Pacifique (*) | 4 436n | Essentiellement oui | 4.436n |
Total Monde | 15 684n | - | 13.943n |
Nucléarisation maximale du parc de centrales électriques : calcul.
Il s’avère donc que, en 2001 (pour des années postérieures il suffit de refaire le calcul de la même manière), 14.000 Twh environ sur 15.684 sont produits dans des pays ayant déjà la Bombe (ce que l’on peut regretter, et que personnellement je regrette, mais encore une fois on ne refait pas l’histoire) ou déjà des centrales nucléaires, ou qui pourraient en avoir sans problème (pays non nucléarisés mais à haut niveau d’organisation et de technologie tels la Norvège, l’Australie ou l’Italie, par exemple…). Bien sur le tableau ci-dessus devrait probablement subir quelques ajustements : j’ai été sévère avec l’Amérique Latine, mais par contre il y a quelques pays d’extrême Orient – l’Afghanistan ? – où la perspective d’avoir des centrales ne m’enchanterait guère, mais disons que ces grandes masses conviennent pour un ordre de grandeur.
Un gros 65% de cette électricité est actuellement faite avec du charbon ou du gaz (le reste est constitué du nucléaire, précisément, et d’hydroélectricité, le solaire et l’éolien étant parfaitement négligeables actuellement). Prenons une émission moyenne de 700 g de CO2 par kWh (soit 190 g équivalent carbone par kWh), cote mal taillée entre les 900 à 1000 g du charbon et les 430 du gaz (sachant que la part charbon est quasiment double de celle du gaz aujourd’hui) : nucléariser tout ce qui est fossile actuellement dans les « zones éligibles » permettrait alors une économie annuelle de 1,7 gigatonnes (milliards de tonnes) équivalent carbone environ, soit 25% à 30% des émissions humaines de CO2 fossile.
En ce qui concerne les USA, qui ont produit 3.968 TWh en 2001 dont 810 étaient d’origine nucléaire et 213 d’origine hydraulique, le recours au nucléaire pour 100% de leur production électrique engendrerait une économie de l’ordre de 470 millions de tonnes équivalent carbone, soit pas loin de 30% de leurs émissions, ou encore l’équivalent des émissions totales de la Russie.
Bien sûr, à supposer que les technologies permettent d’élargir l’horizon de « durabilité » du nucléaire, et de faire passer les ressources de 1 siècle environ (pour 17% de l’électricité, soit 6% de l’énergie) à des milliers d’années (pour 80% de l’électricité) soient mises au point (c’est le programme Generation IV) un tel gain n’est pas encore suffisant pour stabiliser la perturbation du climat (une telle stabilisation signifierait une diminution de 50% des émissions au minimum), mais ce serait une contribution significative si l’objectif mondial devenait effectivement de ramener les émissions mondiales sous la barre des 3 Gt de carbone le plus vite possible.
Par contre, si notre objectif de société est de continuer notre « toujours plus » actuel, nucléariser toute la production d’électricité ne fait que décaler de 20 ans la courbe des émissions : cela ne suffit pas à éviter les ennuis à terme. C’est bien dans le contexte d’une très forte maîtrise de la consommation énergétique que le nucléaire est un des éléments de réponse appropriés au changement climatique. Sans une telle maîtrise, il fait gagner quelques petites décennies, mais c’est tout.