Voici une question qu’elle est aussi facile que pour le pétrole non conventionnel : nous allons parler ici de tout ce qui n’est pas du gaz… conventionnel ! Ce dernier désigne le gaz qui s’exploite avec des méthodes dites « conventionnelles », et en pratique il s’agit du gaz contenu dans une roche réservoir « ordinaire ». Le gaz conventionnel est donc apparu avec une trajectoire classique du point de vue géologique : il s’est formé dans une roche mère, a migré (vers le haut) dans le sous-sol et s’est accumulé dans une roche réservoir, où il est parfois associé à du pétrole, et se trouve toujours au-dessus d’une couche d’eau (et les réservoirs de gaz secs sont de plus en plus fréquents à mesure que l’on va profond sous terre). Il est exploité presque comme du pétrole : on fore des trous dans la roche réservoir, et on remonte le gaz en surface sous la pression du gaz restant dans la roche et de l’eau présente sous le gaz.
Du coup le gaz non conventionnel englobe des « objets » géologiques très variés, qui ont en commun de renfermer un gaz peu mobile et donc pas très facile à exploiter :
- du gaz qui est resté dans la roche mère où il s’est formé (shale gas ou « gas de schiste » en français),
- une variante de ce qui précède concerne le gaz qui est resté emprisonné dans le charbon qui s’est formé (coal seam methane ou coal bed methane, « gaz de charbon » en français), le charbon jouant alors le rôle de roche mère,
- du gaz qui a normalement migré dans une roche réservoir, puis cette dernière a perdu sa perméabilité à cause d’un processus géologique (tight gas, ou « gaz de réservoir compact » en français),
- du gaz présent dans des aquifères (avec beaucoup d’eau et pas de pétrole !).
Il arrive aussi que soit inclus dans cette catégorie les installations situées en régions polaires, et… les hydrates de méthane.
A la différence du pétrole, pour lequel le « non conventionnel » peut être tellement différent du conventionnel que les installations d’exploitation sont très différentes, le gaz non conventionnel actuellement exploité l’est d’une manière assez similaire au gaz conventionnel : on fore dans la roche ou la couche géologique qui le contient, et on le fait remonter. La différence majeure avec le gaz conventionnel porte sur les techniques souterraines employées (fracturation), la durée de vie des puits, leur coût, et le débit qui en sort.
Coal Bed Methane (gaz de charbon)
Le coal bed methane, qui désigne le méthane contenu dans le charbon, est connu depuis fort longtemps, très exactement depuis qu’il y a une industrie charbonnière, puisque le méthane est le constituant principal… du grisou. La présence de méthane dans le charbon est normale, et résulte du processus de formation de ce dernier. Après sa formation, une partie de ce gaz peut rester incluse dans le charbon, soit sous forme de poches (le grisou), soit adsorbé (adsorbé signifie en gros « collé à ») sur le charbon à partir duquel il s’est formé. En moyenne, une tonne de charbon contient ainsi 4 m³ de méthane (à température et pression atmosphériques).
Dans l’essentiel des cas, l’énergie pour désorber (« libérer » ou « décoller ») le méthane est le plus souvent supérieure à l’énergie de combustion, ce qui fait que ce gaz ne pourra jamais former une réserve. C’est le cas pour 90% des charbons, pour lesquels la porosité est trop faible (petits trous) et la perméabilité trop mauvaise (les trous communiquent mal entre eux) pour que le gaz circule facilement.
Mais dans certains cas, ce gaz peut se désorber de manière significative. Cette possibilité a d’abord été constatée de manière « accidentelle » aux USA, lorsque des exploitants de pétrole ont remarqué qu’il y avait des remontées de méthane assez significatives dans des puits de pétrole quand ces derniers passaient au travers d’une couche de charbon. Ils ont compris ensuite que ce charbon « acceptait » gentiment de livrer son méthane parce que la tectonique locale avait engendré de nombreuses microfracturations dans la couche en la déformant, ce qui avait grandement augmenté la perméabilité du charbon.
Cette observation géologique a donné l’idée de recréer artificiellement ce processus dans d’autres couches de charbon. Exploiter du coal bed methane, c’est donc créer des microfissures, par fracturation, dans une couche de charbon pour aider le gaz à se désorber. Cela passe par les opérations suivantes :
- un forage d’exploitation descend dans la veine de charbon,
- ce puits sert d’abord à fracturer encore plus la veine avec des ondes de choc amenée par des « coups de bélier » hydrauliques,
- ce puits sert ensuite à l’injection de micro-billes qui vont empêcher les fractures de se refermer,
- enfin il sert à remonter le méthane libéré.
Cette industrie s’est développée sur les 20 dernières années aux USA, et actuellement le coal bed methane y représente 5 à 10% de la production de gaz. Il y a eu des essais ailleurs (France, Pologne, Russie, Chine ; vraisemblablement des essais ont été faits un peu partout) mais seuls les USA sont connus pour avoir une production significative de ce type.
Les ressources en place de coal bed methane sont certes proportionnelles au charbon en place, mais l’essentiel ne sera jamais productible à cause de la barrière énergétique mentionnée ci-dessus (il faut plus d’énergie pour désorber le méthane que ce que le méthane pourrait produire en brûlant).
Cartographie des bassins charbonniers aux USA, et, en rouge, des zones où existe une exploitation de gaz de charbon (coalbed methane).
Date: 8 Avril 2009.
Source : Energy Information Agency based on data from USGS and various published studies.
A la différence d’un puits de gaz conventionnel, un puits de coal bed methane a une vie très courte : en 1 à 3 ans il parvient à son pic, suivi d’une décroissance très rapide (au bout de 5 ans il y a une division par 10 du volume initial), et d’une « queue » résiduelle, représentant le dixième de la production initiale, qui peut durer 20 ans. Cette caractéristique fait que les puits sont creusés si les volumes et les cours permettent de rentabiliser les coûts d’opération, et pour avoir une production maintenue il faut forer en permanence.
Tight gas (gaz de réservoir compact)
Le « tight gas » est assez proche d’un gaz conventionnel (il s’agit en particulier d’un gaz qui a bien effectué sa migration secondaire), la seule différence étant que la roche qui le contient est très peu perméable (les pores sont très petits, et surtout il y a eu une cimentation du réservoir sous l’effet d’actions géologiques qui a supprimé la communication entre pores ou l’a rendue très difficile). Du coup la production est limitée physiquement, et il faut parfois faire des puits assez rapprochés parce que justement la circulation interne au réservoir est très mauvaise.
Photo aérienne d’un « champ de puits » exploitant des gaz de réservoirs compacts aux USA.
Evolution de la production de gaz non conventionnel aux USA, en milliards de pieds cubes par an, selon la provenance.
On remarquera que la production de « shale gas » (gaz de roche mère) reste minoritaire malgré des ressources en place « immenses ». L’essentiel du non conventionnel est en fait du tight gas.
Source : Energy Information Agency, 2014 ; mise en forme par votre serviteur
Evolution de la production de gaz non conventionnel aux USA, en millions de milliards de cubes par an, selon la provenance, et projection d’ici à 2040.
- « nonassociated » signifie que le puits ne produit que du gaz,
- « associated with oil » signifie que le gaz est dissous dans du pétrole (et récupéré à la sortie du puits),
- « tight » renvoie à ce qui est évoqué ci-dessus.
Cette vision est très optimiste sur l’évolution du shale gas, d’autres le sont beaucoup moins.
Source : Energy Information Agency, Annual Energy Outlook, 2014
C’est également du « tight gas » (et donc pas du shale gas) qui est visé sur une partie de la Chine.
Comme l’exploitation de ce gaz se fait avec des puits qui drainent un volume limité (le volume drainé est celui qui a été fracturé, et cette fracturation ne s’étend pas au delà du puits de plus de quelques centaines de mètres), le débit d’un puits donné diminue très vite au cours du temps.
Aspect général de la production d’un puits de « tight gas » ou de shale gas.
L’ordonnée est graduée en % de la production de la première année d’exploitation, et l’axe horizontal porte les années d’exploitation.
On constate que dès la 3è année le débit est devenu une petite fraction du débit initial.
Pour maintenir une production de gaz constante – et plus encore croissante – il faut donc forer de nouveaux puits en permanence.
Shale gas (« gaz de schiste »)
Le « shale gas » est un gaz qui est resté piégé dans la roche mère (en général une argile) où il s’est formé. Pour le moment, seule l’Amérique du Nord – et surtout les USA – a été prospectée pour ce genre de ressources (toute évaluation pour une autre région du monde, France comprise, est donc hautement spéculative), et de très grosses quantités de gaz « en place » ont été trouvées. Mais… les géologues savent déjà que le taux de récupération sera très faible (le gaz est très peu mobile dans cette formation géologique).
Tout d’abord la proportion de gaz dans la roche mère dépend directement de la quantité de matière organique qui a été incluse dans le sédiment qui a formé la roche mère. Quand cette quantité initiale (de matière organique) est trop faible, la teneur en gaz de la roche mère est aussi trop faible pour envisager la moindre production. Extraire le gaz utiliserait plus d’énergie que celle contenue dans le gaz extrait !
Il peut aussi arriver que du gaz ait été créé en proportions significatives dans la roche mère, mais qu’il ait migré et ne soit plus là ! Par exemple les roches mère situées sous le bassin parisien ont très certainement contribué à la formation des réservoirs de pétrole et de gaz de la Mer du Nord, et pour extraire ces hydrocarbures ce n’est plus dans le bassin parisien qu’il faut creuser…
Pour toutes ces raisons, il est à peu près impossible de savoir quelle est la proportion de gaz dans la roche mère sans faire quelques puits d’exploration. Et même quand la proportion de gaz est significative, la très faible perméabilité des roches mère rend aussi l’exploitation de cette ressource compliquée. Les réserves récupérables (ou réserves ultimes) se calculent donc en multipliant une valeur proche de ∞ (les ressources en place) par quelque chose proche de 0 (le taux de récupération), ce qui rend difficile toute conclusion quantitative… et donc toute projection de production future.
Cartographie des roches mère contenant des hydrocarbures (pétrole ou gaz) aux USA.
Date : 9 Mai 2011.
Source : Energy Information Agency, based on date from various studies.
L’exploitation de ce gaz ressemble à celle du coal bed methane : on fore un puits qui traverse horizontalement l’argile (qui est la roche mère), puis on fracture en injectant des microbilles et des poudres de perlimpimpin diverses, puis le gaz remonte par les fractures et par le puits. Comme pour le tight gas, le profil de production du puits passe par une rapide montée en puissance, un pic qui survient très tôt (6 mois à un an), puis un déclin très rapide et une queue de production qui peut durer quelques années.
Pour avoir une production croissante – ou même simplement constante – de gaz de schiste, il faut donc :
- forer en permanence de nouveaux puits pour compenser le déclin très rapide de ceux existants, ce qui signifie que le pays doit comporter une importante industrie du forage,
- comporter des ressources gazières situées dans des zones très faiblement habitées, parce que forer un puits toutes les quelques centaines de mètres n’est pas quelque chose que l’on peut faire partout,
- avoir un réseau préexistant – et dense – de gazoducs pour évacuer le gaz produit,
- pouvoir amener en tête de puits l’eau nécessaire au forage (en général par camion),
- et enfin être dans un pays où il n’est pas nécessaire d’avoir une autorisation administrative pour chaque nouveau puits foré, sinon il n’est pas possible d’opérer à la « bonne » vitesse.
Toutes les conditions ci-dessus sont remplies aux USA, et en particulier la dernière, puisque chaque propriétaire peut forer chez lui sans demander une autorisation administrative (voir explications sur la page concernant la production de pétrole), ou concéder ce droit sans passer par l’état. Il est donc facile d’aligner les derricks, d’autant plus que le pays dispose historiquement d’une kyrielle de sociétés de forage qui sont capables de créer des milliers de puits chaque année.
Mais ailleurs dans le monde la situation n’est pas comparable. Le droit minier n’est nulle part identique à ce que l’on trouve aux USA, puisqu’un opérateur « ailleurs » doit demander une license pour toute nouvelle exploitation, même s’il possède le terrain qui héberge les installations de surface. Et la profusion de sociétés de services pétroliers n’est pas non plus comparable ailleurs dans le monde.
De ce fait, il est « risqué » d’extrapoler au reste du monde ce que pourrait être une production de gaz de schiste, sachant que les réserves sont spéculatives en dehors des US (voir plus haut), et que le mode d’exploitation américain n’est pas compatible avec le droit minier en vigueur partout ailleurs ou presque !
En combien cela fait tout ça ?
Le premier constat est que le gaz non conventionnel représente actuellement la moitié de la production de gaz aux USA (mais c’est encore une fois le tight gas qui domine), sachant que les USA assurent environ 20% de la production de gaz de la planète (c’est le premier producteur devant la Russie qui fait 17%). Le non conventionnel aux USA représente donc 10% de la production mondiale, et le gaz de schiste 3% de cette même production mondiale.
Et cela pourrait durer combien de temps ? L’ordre de grandeur qui circule actuellement pour ces ressources non conventionnelles est qu’elles permettraient de maintenir la production au niveau actuel, ou pas très loin, pendant deux ou trois décennies.
Et pour l’Hexagone ? Dans notre pays, la situation se présente comme suit :
- nous n’avons pas de réservoirs compacts (qui assurent environ 50% de la production non conventionnelle aux USA, les gaz de schiste stricto sensu étant minoritaires dans l’ensemble de la production gazière américaine),
- nous n’avons pas de veines de charbon pouvant donner du coal bed methane (environ 15% de la production non conventionnelle aux USA)
- nous avons des roches mère – des « schistes » – mais sans forage personne ne peut dire exactement combien il y a de gaz dedans : ce gaz peut être présent en forte concentration ou… en très faible concentration (auquel cas l’exploitation n’est pas possible), il peut avoir été formé et avoir migré « ailleurs » (à la surface, dans des gisements lointains déjà exploités, etc), la roche peut être tellement compacte que même avec fracturation il sort très peu de choses, etc).
En Pologne, par exemple, une estimation de l’Energy Information Agency donnait une valeur très élevée de gaz extractible (environ 5000 milliards de mètres cubes, soit 10 fois la consommation annuelle de l’Europe). En juin 2012 l’Institut de Géologie national a publié une évaluation divisée par dix, à quelques centaines de milliards de m³ de gaz extractible, soit l’ordre de grandeur de la consommation annuelle de l’Europe. La production annuelle de ce genre de gaz dépassant rarement quelques % des réserves ultimes, ces gaz de schiste en Pologne pourraient assurer au mieux de l’ordre de 20 à 30 milliards de m³ par an, soit environ 5% de la consommation européenne actuelle… ou deux années de déclin de la mer du Nord.
En France, la seule évaluation actuellement disponible a aussi été effectuée par l’Energy Information Agency, et donne une valeur proche de ce qui était utilisé pour la Pologne… avant division par 10 par l’institut polonais de géologie ! Il est donc techniquement possible que la France puisse un jour produire quelque chose de l’ordre de quelques % de la consommation européenne aussi, mais il est aussi possible que ce soit beaucoup moins.
Par ailleurs les roches mère françaises sont situées pour partie sous les Cévennes, où il n’y a pas de réseau de gazoducs pour évacuer une éventuelle production, pas le réseau de routes pour amener un camion plein d’eau tous les kilomètres, etc. La question de savoir combien de gaz pourraient sortir des formations géologiques françaises reste donc un point d’interrogation, mais en tout état de cause cela ne permettrait pas à la France d’être autosuffisante en gaz au niveau actuel de consommation, il s’en faut de beaucoup !
Dans tous les cas de figure, ce gaz ne changera pas, au premier ordre, le pic de production du gaz pour le monde dans son ensemble. Par contre, comme le gaz est encore plus une industrie à coûts fixes que le pétrole (notamment pour son transport), le surplus de production que cela a permis d’avoir aux USA a totalement changé la donne sur les prix locaux, et par contrecoup sur la rentabilité du gaz importé sous forme liquéfiée (les transports internationaux de gaz sous forme liquéfiée représentent 10% de la production mondiale de gaz en 2011).
Ordres de grandeur du coûts de transport de différentes énergies, en dollars par million de British Thermal Units (ah ces anglo-saxons !), en fonction de la longueur du trajet en km (en abscisse, attention les intervalles de distance ne sont pas constants).
Un million de BTU ≈ un gigajoule ≈ 290 kWh.
Pipe = gazoduc ;
LNG = Liquefied Natural Gas, c’est-à-dire la liquéfaction du gaz dans une installation côtière du pays de production avant embarquement sur des méthaniers et regazéification au sein d’un terminal situé dans le pays consommateur.
Il est facile de voir que le gaz est l’énergie qui coûte le plus cher à transporter sur mer dans tous les cas de figure, et sur terre pour les courtes distances (pour les longues distances c’est le charbon).
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008 & Jean Teissié, 2001
Du fait de son coût de transport élevé, un surplus de gaz produit au sein d’un continent donné (par exemple l’Australie) ne conduira pas nécessairement à une baisse du prix et une augmentation significative des volumes pour un autre continent (par exemple l’Europe).
L’apport des gaz non conventionnels est donc susceptible de changer significativement la donne en Amérique du Nord et pour quelques décennies, mais, au niveau mondial, et à l’échelle du siècle, cela ne changera probablement que peu la donne (et probablement très peu en Europe !).
Simulation de la production mondiale de gaz, en mille milliards de pieds cubes par an (ah ces anglo-saxons !!), et en discriminant conventionnel et non conventionnel.
On voit clairement l’apport du non conventionnel, qui permet d’envisager un plateau 15% au-dessus de ce que permet le gaz conventionnel, mais ce surplus concernera surtout les pays détenteurs de réservoirs compacts, veines de charbon ou roches mères riches en gaz.
Une publication de Total effectuée en 2012 donne pour sa part un maximum mondial vers 2025 (donc plus pessimiste que le graphique ci-dessus), malgré un développement continu des gaz non conventionnels.
Source : « Transport energy futures: long-term oil supply trends and projections », Australian Government, Department of Infrastructure, Transport, Regional Development and Local Government, Bureau of Infrastructure, Transport and Regional Economics (BITRE), Canberra (Australie), 2009.
Et la fracturation dans tout cela ?
Quand il est question des gaz non conventionnels dans la presse française, les inconvénients mis en avant ne sont généralement pas :
- le fait que le gaz, de schiste ou pas, fait partie des énergies fossiles dont l’usage perturbe le climat,
- l’occupation d’espace très importante pour son extraction (voir la photo ci-dessus),
- la « barrière à l’entrée » que représente la construction d’un réseau de gazoducs avec des points d’injection partout, que les USA ont construit en 150 ans mais que nous devrions construire bien plus vite – avec donc un coût bien plus élevé – si nous voulions faire de même !
Les deux points qui reviennent le plus souvent sont :
- le risque de contamination des nappes phréatiques, avec le gaz – ou des produits utilisés pour la fracturation – pouvant « s’échapper » du forage pour se répandre dans l’eau,
- le fait qu’il faille fracturer, sans que du reste il soit toujours facile de savoir ce qui était visé exactement (le risque d’effondrement de terrain ? celui de « pollution », et alors de quoi par quoi ? la consommation d’eau ?),
Le profane serait donc tenté de penser que le principal problème lié à l’exploitation des « gaz de schiste » vient de la fracturation, et qui si on « fracture propre » tout va bien ou presque (à condition que cette « propreté » puisse être définie, ce qui n’est pas complètement certain). De ce point de vue Hollande est un profane « ordinaire », puisque c’est bien la fracturation qu’il met en avant dans les raisons essentielles de ne pas recourir au gaz de schiste. Or, comme rien n’est jamais simple, il se trouve que c’est précisément là que le problème n’existe pas, ou quasiment pas !
Pour commencer par le commencement, qu’est-ce qu’une fracturation ? Une opération qui passe par les étapes suivantes :
- un forage effectué à partir d’une plate-forme en surface, d’abord essentiellement vertical (avec cependant un déport plus ou moins marqué), qui le fait passer à travers quelques centaines à quelques milliers de mètres de roche, avant qu’il devienne franchement horizontal, le long de la veine de roche mère qui contient le gaz,
- Ensuite, ce puits sert à une « fracturation », qui est la création de fissures dans la roche mère avec un « bélier hydraulique », c’est-à-dire de l’eau mise sous très forte pression depuis la surface, pour produire (puisque l’eau est incompressible) des « coups de boutoir » dans la roche mère.
Représentation graphique des effets de la fracturation en coupe longitudinale.
Le puits est représenté par le trait rouge gras.
Les endroits où la roche s’est fissurée sont représentés par des petits ronds, détectés par des méthodes sismiques depuis la surface (le « craquement » engendre des ondes sonores).
Cette fracturation intervient dans des roches relativement « molles » (des marnes et des argiles), raison pour laquelle leur extension verticale reste limitée.
On remarque que la partie fracturée s’éloigne de 200 pieds (soit environ 60 mètres) du forage horizontal, lequel est alors situé 6000 pieds (soit 2000 mètres) sous la surface. Ces distances sont représentatives (la roche mère est toujours située, sauf exception, à quelques milliers de mètres de profondeur, car il faut descendre bas pour que la cuisson géothermique permettant l’apparition du gaz ait lieu).
On remarque également que les fracturations successives ont une extension verticale bien plus marquée que leur extension horizontale, ce qui est normal puisque les « coups de bélier » sont effectués au travers de trous dans le tuyau de forage, et rayonnent donc autour du puits.
Source : Yves Mathieu, les Entretiens de Combloux, janvier 2013, d’après Zoback et al., 2010.
Ce qui figure ci-dessus montre que la fracturation, qui survient quelques milliers de mètres sous la surface, ne peut pas avoir d’effets directs sur la nappe phréatique, située pour sa part quelques dizaines de mètres sous la surface.
Après, on peut imaginer que le gaz, ou l’eau utilisée pour la fracturation, passent dans la nappe à cause de fuites qui interviendraient dans le puits de forage. Mais… on ne voit pas pourquoi ce risque serait limité aux forages de gaz non conventionnels : à peu près tous les forages pétroliers et gaziers du monde passent à travers une nappe phréatique ! En effet, il y a de telles nappes dans tous les bassins sédimentaires, qui sont aussi les bassins où se trouvent pétrole et gaz.
Or, rien qu’aux USA il se fore des dizaines de milliers de puits chaque année pour l’exploitation des hydrocarbures (conventionnels ou pas), avec un parc de puits en fonctionnement qui avoisine le demi-million. Dans le monde dans son ensemble, c’est quelques millions de puits qui sont actuellement en service (et plus d’une centaine de milliers de nouveaux forages par an), et si une fuite dans une nappe était un à-côté fréquent des forages pétroliers et gaziers nous n’aurions pas attendu les gaz non conventionnels pour en entendre parler.
En pratique, tous les puits d’exploitation d’hydrocarbures sont « étanchéifiés » (on dit « chemisés ») pour éviter les fuites lors de la remontée du gaz ou du pétrole vers la surface, et cela vaut pour les hydrocarbures conventionnels comme pour les gaz de roche mère. Il y a probablement des accidents de temps en temps, mais il n’y a aucune raison qu’ils soient propres aux « gaz de schiste ».
Hydratons-nous
Comme son nom l’indique, la fracturation hydraulique a du mal à être effectuée… sans eau. Et il en faut plus qu’un verre à dents, puisque de l’ordre de 1.000 m3 sont nécessaires par fracturation (il y en a généralement plusieurs par puits, ce qui amène l’eau nécessaire à environ 10.000 m³ par puits). Si ce volume ne pose pas nécessairement de gros problèmes là où il y a de l’eau en abondance (cela fait 2 secondes de débit de la Seine à l’aval de Paris), il en va autrement là où il y a peu d’eau. A ce moment il faut amener l’eau par camion, et à raison de 25 m³ par camion ça fait une petite noria par fracturation !
Rappelons que l’extraction des combustibles fossiles consomme toujours de l’eau, car il en faut pour le forage du puits (gaz et pétrole), pour l’extraction assistée du pétrole, ou, quand il s’agit de charbon, pour laver ce dernier. Ramenée à l’unité d’énergie extraite, la consommation d’eau pour les gaz non conventionnels est « dans la moyenne » de ce qui se fait pour le pétrole, à l’exception notable des sables bitumineux qui sont 20 à 30 fois plus consommateurs d’eau que les autres hydrocarbures.
Dernier point souvent évoqué : les additifs mis dans l’eau. En pratique, il s’agit de substances « courantes », à savoir :
- du sable (quelques % en volume), pour que les microfissures ne se referment pas,
- et, pour environ 0,15% en volume, des additifs divers destinés à favoriser l’écoulement du gaz jusqu’en sortie de puits : des détergents (comme ceux pour la vaisselle !) et des antibactériens.
Si l’eau utilisée pour la fracturation est ressortie du puits, ce qui est en général le cas pour partie, il vaut mieux éviter de la rejeter telle quelle dans l’environnement, mais le traitement de cette eau n’est pas particulier comparée à celui de n’importe quel rejet industriel. Et pour la fraction qui reste dans le puits, comme il a été évoqué plus haut, elle ne communiquera pas avec l’eau que nous utilisons pour nos besoins agricoles et domestiques.
Si on se résume, la fracturation des roches-mère, pratiquée depuis plus d’un siècle, engendre des inconvénients de deuxième ordre face aux inconvénients de premier ordre que sont les émissions de gaz à effet de serre – parce que le gaz est une énergie fossile – et l’occupation d’espace en surface, avec les infrastructures associées. Mais ce n’est pas cette hiérarchie que les médias français ont choisi de respecter !