MEADOWS Donella, MEADOWS Dennis, RANDERS Jørgen, BEHRENS William W., The limits to growth, Universe books, 1972
(205 pages)
NB : le livre est librement accessible en ligne.
L’année 1968 est fréquemment associée, du moins pour nous Français, à un joyeux remue-ménage étudiant et ouvrier, qui est censé avoir marqué d’une pierre blanche un tournant décisif dans notre manière de voir le monde. Incidemment, avec 30 ans de recul, on peut en douter : bon nombre de ceux qui criaient le plus fort à l’époque contre la société de consommation et le respect de l’ordre établi en sont devenus d’ardents protagonistes depuis !
Mais il est aussi possible d’associer cette année là à la création d’un organisme qui fera beaucoup parler de lui quelques années plus tard, même si sa naissance n’a pas fait tant de bruit : le Club de Rome. Au moment de sa création, il regroupait une poignée d’hommes, occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs (un recteur d’université allemande, un directeur de l’OCDE, un vice-président d’Olivetti, un conseiller du gouvernement japonais…), et qui souhaitaient que la recherche s’empare du problème de l’évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance.
Ce n’est toutefois pas en 1968 que paraît le fameux « rapport », mais quelques années plus tard, en 1972, et ce ne sont pas les membres du Club de Rome qui l’ont rédigé, mais une équipe de chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (ou MIT) qui fut constituée pour l’occasion, suite à la demande du Club de Rome. Il serait donc plus juste d’appeler le document couramment désigné sous le nom de « Rapport du Club de Rome » par son vrai nom : le rapport Meadows & al. (le nom du directeur de l’équipe de recherche était Dennis Meadows), qui se compose d’un document de synthèse, présentant les principaux résultats du travail qui fut effectué, dont je tente de faire un commentaire de lecture plus bas, et d’annexes diverses.
Commentaire
Le rapport Meadows & al. fait probablement partie, comme le rapport du GIEC sur le changement climatique aujourd’hui, de ces documents que 99% des personnes qui le citent n’ont pas lu, vu la quantité de conclusions que l’on attribue à ce papier dont on ne trouve pas trace lecture faite. Ainsi, il est fréquent d’entendre que le Club de Rome (en fait l’équipe Meadows) aurait « prédit » la fin du pétrole pour l’an 2000, ce qui n’est pas arrivé, et donc qu’il y a urgence à ne tenir aucun compte de ce travail prospectif, qui ne peut être qu’une oeuvre fantaisiste de quelques farfelus terrorisés par l’avenir. Mais il n’y a nulle trace d’une telle prévision sur la pénurie de pétrole en l’an 2000 dans ce rapport Meadows !
Par contre, à la page 174 de la traduction française, on trouve un tableau indiquant que les réserves connues de pétrole, en 1970, représentent 30 années de consommation (sans intégrer d’augmentation annuelle). Mais il ne s’agit en rien d’une « prévision » indiquant que le pétrole sera définitivement épuisé en 2000, juste d’un rappel des connaissances du moment concernant les ressources naturelles ! Peut-on dire aujourd’hui que les pétroliers « prédisent » la fin du pétrole pour 2040, au motif que les réserves qu’ils déclarent représentent 40 fois la consommation de l’an 2002 ?
En fait, non seulement ce rapport n’a pas « prédit » la fin du pétrole en 2000, mais il n’a pas plus prédit quoi que ce soit d’autre de manière précise. Sa seule conclusion forte est que la croissance matérielle perpétuelle conduira tôt ou tard à un « effondrement » du monde qui nous entoure, et que, même en étant très optimiste sur les capacités technologiques à venir, l’aptitude à recycler ou à économiser les matières premières que nous consommons, le contrôle de la pollution, ou encore le niveau des ressources naturelles (le haut de la fourchette pris par les chercheurs est une multiplication par 5 des réserves connues en 1970, ce qui, pour le pétrole, amène à des réserves en 2000 supérieures à celles aujourd’hui connues malgré la consommation effectuée entre-temps ; j’ai fait le calcul), l’effondrement se produit avant 2100.
Par « effondrement » il ne faut pas entendre la fin de l’humanité, mais la diminution brutale de la population accompagnée d’une dégradation significative des conditions de vie (baisse importante du produit industriel par tête, du quota alimentaire par tête, etc) de la fraction survivante. Tous ceux qui sont désireux d’invoquer le « rapport du Club de Rome » pour justifier le manque de flair de ses auteurs devront donc patienter jusqu’en 2100 avant de pouvoir le faire !
Pour parvenir à cette conclusion d’un « effondrement » probable, qui certes n’est pas anodine, les chercheurs ont fait ce qui se pratique dans bien des domaines : ils ont réalisé un modèle mathématique, outil désormais incontournable dès lors que l’on veut tenter de cerner l’évolution future d’un système complexe. Des modèles informatiques sont aujourd’hui utilisés par les astrophysiciens, les océanographes, les agronomes, les médecins, les biologistes, les démographes, les climatologues bien sûr, et plus largement à peu près toutes les spécialités de la physique, de la chimie, et de la biologie, sans parler des sciences de l’ingénieur… En fait il n’y a plus une seule discipline scientifique, aujourd’hui, qui n’utilise pas l’informatique – donc un modèle – comme outil principal ou auxiliaire pour ses recherches.
Le système complexe qui a été modélisé par l’équipe du MIT, ici, n’est autre que l’humanité, et les variables qui le caractérisent, au nombre de quelques dizaines, s’appellent population globale, superficie cultivable par individu, ressources naturelles restantes, quota alimentaire par personne, production industrielle par tête, capital industriel global, niveau de pollution, etc.
Plusieurs dizaines de relations, ou « boucles », lient les évolutions de ces variables entre elles. Par exemple la croissance de la pollution influe de manière négative sur l’espérance de vie, et donc sur la taille de la population, ce qui en retour agit dans le sens d’une pollution moins importante ; la croissance du produit industriel par tête contribue à la croissance du capital industriel, qui lui-même engendre une augmentation de la production agricole, mais aussi la croissance de la pollution, etc. La description qualitative de quelques « boucles » liant quelques variables est donnée dessous à titre d’exemple :
Description des interaction décrites dans le modèle entre population, capital, services et ressources.
Ces « boucles », qui s’appellent des « rétroactions » dans le jargon des modélisateurs, peuvent être régies par des relations linéaires (c’est-à-dire que l’effet est proportionnel à la cause) ou non linéaires, s’exercer ou non de manière différée, être sujettes ou non à des effets de seuil, etc. La liste complète des lois qui gouvernent ces boucles est fournie en annexe au rapport de synthèse, lequel précise que chacune des lois et valeurs prises a été validée par des experts du domaine concerné. N’ayant pas lu les annexes, je n’ai pas d’opinion sur les lois d’évolution et valeurs retenues, toutefois les quelques exemples présentés dans le corps du rapport n’incitent pas à penser que les chercheurs ont été totalement en-dehors des clous dans leurs choix.
Si j’en juge par l’exemple des hydrocarbures, pour lesquels les valeurs retenues sont mentionnées dans le document principal à titre d’exemple, ils ont probablement été un peu « sévères » dans leurs hypothèses concernant la croissance annuelle de la consommation dans le scénario « tendanciel pur » (ils n’avaient pas explicitement prévu les chocs pétroliers de 1974 et 1991 et les récessions associées !), mais la croissance que nous avons connue reste supérieure à ce qu’elle est dans un scénario plus optimiste avec des ressources économisées à 75%.
Energie | Augmentation annuelle moyenne de la consommation de 1900 à 1970 (constatée) | Augmentation annuelle moyenne constatée de 1970 à 2000 | Fourchette retenue par le rapport Meadows dans le scénario de "base" | Fourchette retenue par le rapport Meadows dans le scénario "économie" |
---|---|---|---|---|
Charbon | 1,7% | 1,6% | 4%±1% | 1%±0,25% |
Pétrole | 6,9% | 1,4% | 4%±1% | 1%±0,25% |
Gaz naturel | 7,5% | 3% | 4,7%±0,7% | 1,2%±0,2% |
Si cette modélisation n’a donc pas de valeur prédictive, ce que les auteurs soulignent explicitement, puisqu’elle ne prend pas en compte toutes les hypothèses possibles, ni toutes les variables qui caractérisent le monde, toutes les précautions ont quand même été prises – et notamment une large variété d’hypothèses, comme on le verra plus bas – pour que les indications données soient qualitativement le plus sérieuses possibles.
En résumé, ce « fameux » rapport, que d’aucuns aujourd’hui accusent volontiers de toutes les tares parce qu’aucun désastre n’est encore arrivé (!), n’est donc rien d’autre qu’un papier scientifique un peu long, présentant le travail de recherche qui a été mené pour construire un modèle et le faire « tourner » ensuite, ainsi que les résultats obtenus.
Quels résultats donne le modèle ?
1. Ressources naturelles équivalentes aux ressources connues en 1970 (« baseline »)
La première courbe montrée présente le comportement du modèle global avec les réserves ultimes évaluées en 1970 et des lois d’évolution qui ne connaissent pas une inflexion volontaire. Avec ces hypothèses (discutées plus bas puisque nous avons maintenant plus de 30 ans de recul), les ennuis arrivent pas très loin après le début du XXIè siècle.
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources naturelles équivalentes aux ressources connues en 1970.
Bien sûr, de 1900 à 1970 le modèle reproduit l’évolution constatée des variables en question.
La perpétuation de la « croissance » conduit à un effondrement du niveau de vie (quota alimentaire par tête et produit industriel par tête) au début du XXIè siècle, avec retour en 2100 à des valeurs bien plus basses que celles en vigueur en 1900. L’élément déclencheur est ici la baisse des ressources naturelles non renouvelables.
2. Ressources naturelles « illimitées »
Mais, disent les chercheurs, nous avons peut-être été pessimistes sur les hypothèses de départ. Supposons donc que les ressources naturelles non renouvelables sont quasi « illimitées », ce qui signifie par exemple qu’elles sont recyclables en quasi-totalité, et que la disponibilité de l’énergie n’est plus un problème (et là nous sommes bien plus optimistes que ce qui s’est vraiment passé). Les « boucles » correspondantes sont modifiées en conséquence, et certaines valeurs initiales changées. Que se passe-t-il ?
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources naturelles « illimitées ».
Ce n’est plus la pénurie de ressources naturelles qui provoque l’effondrement, mais l’explosion de la pollution. Cette dernière conduit alors à une diminution de la production agricole, qui régule alors la population. Notons que la traduction en français « ordinaire » d’une diminution de la population qui suit une diminution du quota alimentaire par tête s’appelle une régulation par la famine.
3. Ressources naturelles « illimitées » et contrôle de la pollution
Puisque la pollution est LE problème dans cette simulation, disent nos chercheurs, nous allons supposer que nous pouvons la contrôler, c’est-à-dire la diviser par 4, tout en gardant nos hypothèses optimistes sur les ressources. Notons que ce contrôle de la pollution, dans le rapport du Club de Rome, passe par un recours généralisé à l’énergie nucléaire. Les partisans de cette forme d’énergie y verront le fait que le côté « écologique » de l’énergie nucléaire est accepté sans problème par les mêmes qui s’interrogent sur l’impact de nos activités sur le devenir de notre espèce, et ses adversaires y verront le fait que ce recours à l’énergie nucléaire, « toutes choses égales par ailleurs » (et notamment sans remise en cause du « dogme de la croissance »), n’empêche pas l’issue finale, ce que l’on constate ci-dessous. Les deux ont raison, de mon point de vue aussi !
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources naturelles « illimitées » et contrôle de la pollution.
L’effondrement est seulement différé de quelques décennies.
La population, plus importante car moins limitée par la pollution, conduit à une production agricole plus intensive, qui finit par dégrader les sols. Il s’ensuit une baisse du quota alimentaire par tête qui provoque la décroissance. Nous retrouvons in fine une régulation par la famine (le quota alimentaire par tête est identique à ce que nous avions dans le scénario « baseline »), mais les valeurs en 2100 pour la population et le produit industriel par tête sont bien plus élevées ici que pour le scénario « baseline » présenté plus haut.
4. Ressources naturelles « illimitées », contrôle de la pollution et productivité agricole accrue
Poursuivant leurs investigations, les chercheurs supposent maintenant que la productivité agricole s’accroît, ce qui atténue le problème de la disponibilité finie des terres cultivables. Que devient notre espèce ?
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources naturelles « illimitées », contrôle de la pollution et productivité agricole accrue.
La population passant moins de temps à l’obtention de nourriture, elle peut accroître sa production industrielle (puisque les ressources naturelles ne sont pas limitantes) et, malgré un contrôle de la pollution, cette dernière explose.
Le modèle simule alors que les terres arables finissent par devenir impropres à l’alimentation, et nous retrouvons aussi une régulation par la famine, mais avec une mortalité accrue par la pollution, et donc une population en 2100 inférieure à ce qu’elle est dans le scénario précédent, alors même que la productivité agricole est supposée plus élevée au départ. C’est le miracle des boucles de rétroaction !
5. Ressources naturelles « illimitées », contrôle de la pollution et productivité agricole accrue et contrôle « parfait » des naissances
Supposons maintenant un contrôle parfait des naissances, disent nos chercheurs, avec une stabilisation de la population pour éviter l’explosion de la production industrielle globale engendrée par l’expansion démographique. Que se passe-t-il ?
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources naturelles « illimitées », contrôle de la pollution, productivité agricole accrue et contrôle « parfait » des naissances.
L’hypothèse de contrôle « parfait » des naissances stabilise la population pendant un temps.
L’évolution reproduit plus ou moins, après une phase transitoire, celle du jeu d’hypothèses précédent : c’est l’explosion de la pollution, gouvernée par une explosion du produit industriel, qui finit par rendre les terres impropres à la culture, causant une famine qui régule la population. Ces hypothèses très favorables ne diffèrent la « chute » ultime que de quelques décennies. Par contre le produit industriel par tête reste relativement élevé pour la population résiduelle.
Les conclusions des chercheurs sont donc simples : tant que le modèle global comporte certaines boucles « positives », notamment la recherche de la croissance annuelle du fameux PIB (ce qui est le projet de tout pays aujourd’hui), l’effondrement est inévitable avant 2100 quel que soit l’optimisme prévalant sur les autres hypothèses. La seule possibilité pour éviter cet effondrement est de limiter de nous-mêmes cette production industrielle (et un certain nombre d’autres grandeurs physiques prises en compte dans le modèle) à un niveau compatible avec les possibilités de notre planète : c’est la remise en cause de la « croissance économique » qui se dessine, puisque depuis la révolution industrielle la croissance économique est allée de pair avec la croissance de la production industrielle.
Etait-il légitime de remettre en cause la « croissance » ?
Dès lors que les chercheurs constatent que la croissance provoque l’effondrement avec le modèle utilisé, alors que celui-ci reproduit de manière à peu près satisfaisante les évolutions constatées de 1900 à 1970 pour les variables prises en compte, la question de savoir s’il faut limiter ou stopper la croissance pour éviter l’issue finale se pose de manière légitime : point d’idéologie là-dedans, mais une interrogation qui serait probablement venue à l’esprit de n’importe quel modélisateur mis dans une situation identique.
De toute façon, les mathématiques nous disent que, dans un monde fini, toute consommation de ressources non renouvelables tendra (en moyenne) vers zéro avec le temps, que cela nous plaise ou non ! Il n’y a pas non plus d’idéologie dans cette conclusion, simplement l’application d’un théorème simple, qui indique que si une fonction est positive et intégrable, et que son intégrale de -∞ à +∞ est bornée, alors sa valeur moyenne sur tout intervalle non nul ne peut que tendre vers zéro à l’infini (ce théorème se démontre facilement par l’absurde).
Toute consommation de ressources non renouvelables satisfait aux hypothèses : la consommation est une fonction positive (nous ne pouvons pas restituer du pétrole à la terre, ou faire apparaître du minerai de cuivre d’un coup de baguette magique !), et la consommation cumulée (c’est-à-dire son intégrale) est bornée (sa valeur maximale est celle du stock initial). Dès lors, la moyenne sur une année d’une telle consommation ne peut que tendre vers zéro à l’infini. En d’autres termes, pour toute consommation de ressources non renouvelables, nous n’avons le choix qu’entre provoquer nous-mêmes la décroissance pour disposer, certes à un niveau réduit, de la ressource le plus longtemps possible, ou attendre que la décroissance survienne toute seule, dans des conditions que nous ne maîtriserons pas.
La seule ambition du rapport Meadows, finalement, a été de tenter de comprendre quel pourrait être l’enchaînement des événements qui se produirait si nous ne prenions aucune mesure préventive, à quel horizon de temps ces événements pourraient survenir, et si des choix donnés au niveau mondial permettaient de se prémunir de la chute finale ou de la repousser très loin. Cette « prévention » revenant à arrêter l’expansion avant qu’elle n’engendre sa propre fin, il s’ensuit que cela avait un sens de voir à quelles conditions il était possible d’arrêter la croissance tout en maintenant une consommation par tête et une espérance de vie considérées comme « satisfaisantes » (sachant qu’il n’y a aucune vérité scientifique sur le niveau satisfaisant de consommation par individu). Cette question se pose encore plus aujourd’hui, soit dit en passant.
5. Stabilisation de toutes les variables (population, produit industriel par personne, etc)
Les auteurs ont donc « forcé » le modèle pour le conduire à la stabilisation de toutes les variables de sortie (population, produit industriel par tête, quota alimentaire par tête, etc) et ont regardé ce que cela signifiait au niveau des hypothèses. Diverses combinaisons sont bien sur possibles, mais à titre d’exemple les auteurs ont donné la liste ci-dessous :
- la population est stabilisée à partir de 1975 (dans la réalité, cela n’a pas vraiment été le cas !)
Evolution démographique depuis le néolithique.
La planète a gagné 5 milliards d’habitants entre 1950 et 2016.
- le capital industriel mondial est stabilisé à partir de 1990, en équilibrant taux de dépréciation et taux d’investissement (cela n’a pas vraiment été le cas non plus : ce capital augmente sans cesse)
- la consommation de ressources naturelles non renouvelables par unité de produit industriel est divisée par 4 dès 1975 (il y a peut-être de rares exceptions, mais globalement ce n’est pas le cas ; pour l’énergie par exemple – à 85% d’origine non renouvelable dans le monde – la baisse depuis 1970 est bien moindre)
Quantité d’énergie consommée par million d’euros de PIB en France, base 100 en 1970
(attention les ordonnées ne partent pas du zéro !).
Source : Observatoire de l’Energie
- la proportion de l’économie qui se compose de « services » augmente (pas de valeur quantitative indiquée, mais cette évolution est bien en cours, toutefois on peut légitimement se demander si ce n’est pas essentiellement un artefact de nomenclature au lieu d’une vraie baisse de la pression sur l’environnement),
- le niveau de pollution par unité de produit industriel ou agricole est divisée par 4 dès 1975 par rapport à 1970 (nous en sommes très loin pour l’essentiel des polluants, dont les émissions de gaz à effet de serre par exemple, pour lesquelles la baisse par unité de production n’a été que de 15% de 1970 à 2000 dans l’OCDE)
- le capital industriel est affecté en priorité à la production agricole, et au sein de cette catégorie d’investissements, à la conservation des sols (contre l’érosion). Je doute que cela soit actuellement la tendance suivie, mais je suis peut-être mal informé.
- pour préserver les ressources non renouvelables, la durée de vie du capital industriel augmente : durée de vie accrue des outils de production (aujourd’hui on va plutôt dans l’autre sens, les investissements devant être fréquemment renouvelés pour cause d’obsolescence, et cette obsolescence étant même recherchée, puisqu’elle fait « tourner l’économie »), et accroissement des possibilités de réparation et de rénovation (je ne suis pas sur non plus que ce soit une tendance lourde !).
Avec ce jeu d’hypothèses, le modèle stabilise le produit industriel par tête et le quota alimentaire par tête à 3 fois la valeur moyenne de 1970, tout en évitant un emballement de la pollution.
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec les hypothèses ci-dessus.
Toutefois, on notera que les ressources naturelles non renouvelables continuent de diminuer : il est fort possible que la « stabilisation » ne dure en fait que quelques siècles (les auteurs ne précisent pas ce que donne le modèle sur plusieurs siècles).
6. Mesures de stabilisation prises en 2000 (au lieu de 1975)
En effet, si les mesures de stabilisation ne sont prises qu’en 2000, et non en 1975, c’est-à-dire à un moment ou les ressources naturelles résiduelles ont beaucoup baissé, et la capacité d’épuration du monde un peu diminué, le modèle permet aussi d’atteindre un état d’équilibre, mais ce dernier ne dure que quelques décennies avant d’amorcer « l’effondrement » présent dans toutes les simulations sans tentatives de stabilisation (graphique ci-dessous).
Evolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec les hypothèses du graphique précédent , mais dont la mise en oeuvre est décalée de 25 ans.
Mais, malgré les résultats des simulations, qui sont clairement troublantes, les auteurs du rapport se gardent bien de préconiser l’arrêt de la croissance comme projet de société, renvoyant les discussions sur ce sujet au débat public, un tel choix d’arrêt de la croissance relevant du domaine politique et non de la science. Aussi tous ceux qui citent ce rapport comme préconisant la privation généralisée du peuple, contre sa volonté mais pour son propre salut, ne l’ont probablement pas lu non plus : les auteurs indiquent clairement qu’il ne fait pas partie de leurs prérogatives de préconiser la décroissance ou d’indiquer les moyens d’y parvenir.
Finalement, quelle était la fiabilité des « prévisions » ?
A l’époque de sa parution, ce rapport avait fait grand bruit, et puis il est peu à peu tombé dans l’oubli. Bon nombre d’observateurs l’ont notamment enterré sur la base d’une erreur d’interprétation, largement propagée de manière délibérée par les économistes classiques (ceux qui ne savent pas mettre des ressources naturelles dans leurs équations autrement qu’à travers de la valeur que leur accorde leur propriétaire humain du moment) et tous ceux que les conclusions dérangeaient, qui est que l’équipe Meadows avait prédit la « fin du monde » (et en particulier la fin du pétrole) pour l’an 2000. En fait ce rapport a subi le même sort que le rapport du GIEC, sauf que pour le GIEC il y a des milliers de scientifiques derrière qui passent une partie significative de leur temps à récuser auprès des journalistes les âneries propagées par les mêmes journalistes peu de temps auparavant (c’est hélas une dure loi du genre), alors que l’équipe Meadows c’était une petite dizaine de personnes, qui ne faisait pas le poids face aux économistes classiques qui se comptaient par dizaines de milliers.
Mais il suffit de lire ce document (ce qu’en général aucun des détracteurs n’a fait, ou alors il n’a pas eu envie d’en tenir compte !) pour se rendre compte que l’équipe Meadows n’avait pas prédit quoi que ce soit de manière datée, et surtout que les conclusions que l’on prêtait à ce rapport ne figuraient nulle part dans le document en question. Par contre il y avait incontestablement des évolutions générales de prédites, et il se pose alors légitimement la question, avec le recul que nous avons maintenant, de savoir ce qu’elles valaient pour la période que nous venons de vivre entre 1972 et 2000.
En 2008 un chercheur australien a donc eu l’idée, parfaitement saugrenue évidemment, de confronter les données historiques de 1970 à 2000 avec 3 évolutions simulées par le modèle en 1970 (« A comparison of the limits to growth with thirty years of reality », Graham Turner, CSIRO, juin 2008 ; tous les graphiques présentés dans ce paragraphe sont issus de cette publication téléchargeable ici) :
- l’évolution « baseline », la 1ère présentée ci-dessus,
- l’évolution « technologie étendue », la 4ème présentée ci-dessus (ressources naturelles « éternellement recyclables », contrôle de la pollution, et productivité agricole accrue),
- l’évolution « stabilisation », la 5ème présentée ci-dessus.
La première comparaison intéressante est évidemment celle de l’évolution de la population, présentée ci-dessous.
Comparaison normalisée pour la population de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
Deux choses sautent aux yeux sur ce graphique :
- d’une part l’évolution 1970-2000 est assez en ligne avec les 2 simulations que nous pourrions qualifier de « tentative de monde infini » (« baseline » et « technologie étendue »)
- d’autre part nous ne prenons pas le chemin d’un monde stabilisé en ce qui concerne la population, mais, si les boucles de rétroaction du modèle sont les bonnes, celui d’un monde en croissance qui sera suivi par un monde en contraction
Comme cette variable était représentée dans le modèle Meadows, une deuxième comparaison intéressante porte sur les taux de natalité, ci-dessous.
Comparaison normalisée pour le taux de natalité de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
Là encore nous retrouvons deux conclusions :
- l’évolution 1970-2000 est assez en ligne avec les 2 simulations « baseline » et « technologie étendue » de Meadows
- ce taux de natalité est resté très supérieur à ce qu’il aurait fallu avoir pour viser une stabilisation en 2000
Ensuite, nous pouvons passer à une première sortie caractéristique du « niveau de vie », la production agricole par tête, ci-dessous.
Comparaison normalisée pour la production agricole par tête de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
Ce qui s’est vraiment passé se situe près de la simulation « baseline« , et significativement en dessous des évolutions des autres simulations.
Cela est logique : les simulations « monde stabilisé » et « technologie étendue » supposaient des efforts importants de préservation des sols et d’augmentation de la productivité « naturelle » des cultures (en utilisant par exemple les plantes qui exploitent au mieux les nutriments du sol, qui utilisent l’azote de l’air, etc), et ces efforts sont peu répandus aujourd’hui.
Une deuxième sortie caractéristique du « niveau de vie » est la production industrielle par tête, ci-dessous.
Comparaison normalisée pour la production industrielle par tête de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
L’évolution est quasiment celle du scénario « baseline« , avec une petite oscillation probablement due aux conséquences du choc pétrolier de 1974 et 1979.
Après l’industrie, les services ! Voici le résultat des courses pour cette partie de l’économie.
Comparaison normalisée pour les services par personne de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
Comme il y a énormément de services possibles, très disparates entre eux, et avec une très grande hétérogénéité d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, il est quasiment impossible de définir une série historique sans faire un agrégat difficilement compréhensible. Cet obstacle n’existait pas dans la simulation de l’équipe Meadows, car les services représentaient de manière globale la production humaine non agricole et non industrielle, et les lois reliant cette production de services aux autres données (voir ci-dessus) n’avaient pas besoin d’une définition plus précise.
De ce fait, pour une confrontation, il vaut mieux choisir des séries précises, ce qu’a fait l’auteur de la publication dont sont issus ces graphiques. Les trois courbes avec des disques mauves représentent respectivement, de bas en haut :
- le % de jeunes alphabétisés,
- le % d’adultes alphabétisés,
- le % de gens ayant accès à l’électricité.
A nouveau, on constate que le scénario « baseline » est celui qui est le plus proche de ce que nous avons réellement vécu sur la période.
Nous approchons maintenant de l’heure de vérité : la confrontation des simulations Meadows avec « la réalité » en ce qui concerne l’état des stocks naturels qui servent à faire tourner l’économie, et en particulier avec le stock résiduel de combustibles fossiles, ci-dessous.
Comparaison pour le stock restant de ressources non renouvelables de :
- l’évolution réelle,
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
Les disques mauves sont obtenus avec les hypothèses suivantes :
- les minerais métalliques ne créeront pas les premières situations de pénurie globale, la substitution entre métaux – par exemple entre cuivre et aluminium pour faire des câbles électriques – pouvant être assez large (et les stocks de minerai de fer sont très abondants)
- c’est donc les combustibles fossiles qui constituent le premier facteur limitant pour les ressources non renouvelables, et c’est l’évolution du stock récupérable restant qui est illustré par les disques mauves
- dans ce contexte la courbe mauve du bas représente la fraction restante du stock initial (0,7 = 70%) si le stock extractible total de combustibles fossiles est dans le bas de la fourchette des estimations existantes, soit 1400 milliards de tonnes équivalent pétrole (Gtep), sachant qu’à ce jour, nous en avons consommé environ 400,
- la courbe mauve du haut représente la même chose si le stock initial est de 3500 Gtep (il resterait alors 3000 Gtep de combustibles fossiles extractibles, essentiellement du charbon ; nombre de géologues considèrent que c’est un haut de fourchette qui se plaide).
A nouveau nous constatons que l’évolution historique se situe « quelque part » entre la simulation « baseline » et la simulation « technologie rapidement déployée » (laquelle permet d’augmenter un peu le stock extractible, ou de s’attaquer à des stocks de moins bonne qualité, comme cela est expliqué dans la page sur les réserves).
Enfin la dernière série pour laquelle il est intéressant de confronter l’évolution historique avec les simulations est la « pollution », ci-dessous.
Comparaison normalisée pour la concentration atmosphérique en CO2 (considérée comme représentative de la totalité des pollutions rémanentes) de :
- l’évolution réelle (la valeur représentée est le supplément par rapport à la concentration de 1900),
- la simulation « baseline »,
- la simulation « technologie étendue »,
- la simulation « stabilisation ».
A nouveau l’évolution constatée est proche de celle suggérée par la simulation « baseline« .
Le Club de Rome, encore plus fort que le GIEC et Total réunis ?
Sans fournir la preuve absolue que l’effondrement « prédit » par l’équipe Meadows se réalisera au cours du 21è siècle, cette confrontation des simulations à ce qui s’est vraiment passé depuis la publication du travail de Meadows est à tout le moins troublante. Sur les aspects « énergie-climat », elle est même très troublante, parce que les hypothèses de Meadows et les caractéristiques des stocks de combustibles fossiles ou des émissions de gaz à effet de serre sont vraiment très proches :
- la « pollution » globale due au surplus des 3 principaux gaz à effet de serre dans l’atmosphère évolue de manière exponentielle, parallèlement à la production agricole (pour le méthane puis le N2O) ou industrielle (pour le CO2), exactement comme la variable « pollution » dans le modèle du rapport Meadows :
- Cette « pollution » due à l’effet de serre anthropique est globale, exactement comme celle figurant dans le modèle,
- Le changement climatique dérivé de cette « pollution » sera susceptible d’affaiblir la production agricole, ou de diminuer l’espérance de vie des hommes (via des maladies qui apparaissent là où elles n’existaient pas, des sécheresses aggravées, des destructions d’infrastructures essentielles, des conflits, et encore des risques divers), exactement comme la pollution du modèle du MIT était censée avoir ces effets,
- les premiers « gros ennuis » éventuels, c’est-à-dire des transitions brutales (par exemple un changement du régime des courants marins dans l’Atlantique Nord, ou le déstockage de carbone des puits actuels) sont à l’horizon d’un demi-siècle à un siècle, c’est-à-dire à des échéances du même ordre de grandeur que ce qui ressortait des simulations de l’équipe du MIT,
- plus nous desserrons la contrainte sur les réserves de combustibles fossiles (c’est-à-dire plus il y en a) et plus nous augmentons la pression liée au changement climatique, exactement comme ce que suggère le modèle lorsque des ressources naturelles non limitantes ont pour conséquence une explosion de la pollution,
- etc…
La confrontation des simulations de 1972 avec ce qui s’est vraiment passé sur les 30 ans qui ont suivi semble donc indiquer que ce travail avait une valeur prédictive « indicative » bien supérieure à celle des modèles purement économiques. En particulier, depuis quelques décennies ce ne sont pas les ressources non renouvelables qui ont augmenté, mais simplement leur connaissance et l’aptitude à les mobiliser que nous en avons, et ce ne sont pas plus les limites du monde qui auraient reculé, nous permettant de polluer sans retenue, mais juste le fait que nous ne les avons pas encore atteintes.
Le taux de croissance de la consommation de ressources naturelles s’est un peu ralenti – par rapport à la simulation « baseline » – à cause des chocs pétroliers de 1974 et 1991, et plus récemment de 2008, ce qui diffère un peu les échéances, mais ne change pas la nature du problème : dans le cas des réserves fossiles, par exemple, le fait de passer de 3 à 1,8% de taux de croissance de la consommation ne diffère la date du pic que de 15 à 20 ans environ.
Plus généralement, dire que ces chercheurs se sont trompés parce que pour le moment « tout va bien » n’est pas une preuve : imaginons un homme qui se jetterait du haut de la tour Eiffel, et qui parvenu au niveau du 1er étage, dirait : « j’ai eu bien raison de ne pas écouter les prophètes de malheur qui me disaient de ne pas sauter, vous voyez, j’ai sauté, et non seulement je ne suis pas mort, mais en plus j’ai acquis une vitesse et un vent dans les cheveux que je n’avais pas avant, donc j’ai eu raison de le faire ». Que penserions nous de quelqu’un qui tiendrait un tel raisonnement ?
Des résultats rudimentaires par nature….mais qui le seraient beaucoup moins dans le cas du changement climatique ?
Bien entendu, le modèle utilisé est rudimentaire : la pollution est représentée par une seule variable, alors qu’il y a une pollution par polluant ; il n’y a pas de différentiation régionale de la démographie ou des ressources localisées telles que les terres arables ; les ressources naturelles non renouvelables sont toutes fongibles, assimilant minerai de manganèse et charbon, ce qui peut se discuter (!) ; les conséquences ne sont pas régionalisées ; etc. La limitation des moyens informatiques explique probablement une partie de cet aspect simplificateur du modèle : en 1970, la puissance de calcul disponible n’était pas celle d’aujourd’hui !
Toutefois, si nous appliquons le modèle au cas du dossier « énergético-climatique », où il n’est pas totalement absurde d’avoir une seule variable pour la pollution (ce serait alors les émissions de gaz à effet de serre, pollution globale par nature), ni une seule variable pour les ressources naturelles non renouvelables (qui sont alors les réserves de combustibles fossiles), comment ne pas devenir très songeur devant les résultats ?
En outre, ce modèle a beau être rudimentaire, il reste considérablement plus sophistiqué que ceux qui sont utilisés pour les « prévisions » diverses qui servent de base aux politiques publiques, lesquelles prévisions sont assises sur des prolongations tendancielles de variables économiques – donc purement conventionnelles – sans aucune boucle de rétroaction explicite. C’est notamment le cas pour les « prévisions » concernant l’énergie, dont personne ne suppose que leur usage sans cesse croissant puisse avoir des conséquences limitantes sur la consommation future tant que cela est compatible avec les réserves. En d’autres termes, les « prévisions » sont généralement faites sans qu’il soit envisagé un quelconque effet perturbateur résultant de l’évolution prévue qui viendrait en changer le cours.
Il serait intéressant de savoir s’il y a eu d’autres tentatives de modélisation de l’évolution du monde qui nous entoure depuis, qui auraient pu être réalisées avec une puissance informatique accrue, et, partant, un plus grand nombre de variables et une régionalisation des évolutions, des connaissances améliorées sur les ressources naturelles, et une visibilité augmentée sur les tendances du passé. Si oui, qu’ont-elles donné ? Si non, pourquoi personne n’a-t-il refait l’expérience, vu son intérêt ?
Quelques regrets sur la traduction française … et un souhait
Le document de synthèse de ce rapport Meadows sera traduit en français au sein d’un livre paru sous le titre « Halte à la croissance ? », alors que le titre original du rapport Meadows & al. n’est pas « Halt to growth ?« , ou « Should we halt the growth ?« , comme le titre français pourrait le laisser penser, mais plus simplement « The limits to growth« , ce qui donnerait, en Français, « Les limites à la croissance ». Aucun point d’exclamation ou d’interrogation dans le titre anglais, qui est sobre et factuel, à l’image du document lui-même. Après la traduction surprenante de « sustainable development » en « développement durable« , il se confirme que nous n’avons pas toujours le don de faire des traductions fidèles d’anglais en français !
Ce livre intitulé « Halte à la croissance ? » (avec un point d’interrogation, et non un point d’exclamation comme les personnes qui le citent font trop souvent l’erreur) comportait également une « enquête » sur le Club de Rome, signée d’une Madame Jeanine Delaunay.
A cause de cette « enquête », qui consiste pour une large part à chanter les louanges des fondateurs du Club de Rome, et du titre du livre, plus « engagé » que celui qui avait été choisi pour le papier des chercheurs du MIT, l’édition française a probablement desservi de manière significative la portée du rapport Meadows chez les francophones.
En effet, pourrait-on penser, si l’on a besoin de tant s’apesantir sur le sens de l’humour de l’un, l’intelligence d’un autre, ou l’humanisme d’un troisième des fondateurs du Club de Rome, ou s’il est nécessaire de recourir à un titre « choc » pour alerter sur les inconvénients de la croissance, n’est-ce pas parce que le travail de recherche lui-même est soit critiquable, soit inefficace pour parvenir au même objectif ? En outre, comment éviter ensuite un amalgame fâcheux entre le rapport lui-même et les propos annexes tenus par Mme Delaunay dans son ouvrage ? On notera avec intérêt que le titre du document de référence sur le changement climatique est simplement – et sobrement – « climate change » (en français : le changement climatique). Les auteurs n’ont pas jugé utile d’affubler un dossier fort inquiétant d’un titre choc ou de la description de la poignée de main chaleureuse des scientifiques ayant travaillé sur le dossier, ni de se livrer à des considérations autres que purement scientifiques.
A cause des inconvénients liés à cette première édition, et surtout à cause du fait qu’il est assez difficile de se procurer ce rapport (épuisé en librairie, et que je n’ai jamais réussi à trouver sur Internet), il serait à mon sens fort utile que la traduction française du rapport Meadows soit rééditée aujourd’hui, sans commentaires ni appendice. Une telle réédition pourrait opportunément servir à inclure l’étude de ce document dans le programme de bon nombre d’établissements formant nos futures élites. Faire toucher du doigt que le monde est fini, à travers la lecture d’un texte assez bien adapté à cette fin, malgré ses inévitables faiblesses, ne serait-il pas salutaire pour tout HEC qui va œuvrer à l’expansion de son entreprise, pour tout polytechnicien qui travaillera à accroître la puissance industrielle de l’homme, et pour tout énarque chargé de réfléchir aux voies pour l’avenir ?