Peut-on vouloir tout et son contraire ?
Comme tout bon lycéen ayant retenu la leçon du professeur de philosophie, je vais tenter d’ouvrir cette question par la définition des termes « environnement » et « démocratie ».
Concernant l’environnement, Hachette nous propose cette réponse :
Environnement n. m. Ensemble des éléments constitutifs du milieu d’un être vivant. Ensemble des éléments constitutifs du paysage naturel ou du paysage artificiellement créé par l’homme. L’aménagement rationnel du territoire, la préservation des sites, la production de la flore et de la faune, la lutte contre la pollution sont les grands traits d’une politique moderne de l’environnement.
Et pour la démocratie, nous avons, selon la même source :
Démocratie : Régime politique où la souveraineté (autorité suprême) est exercée par le peuple.
Traduisons la question du titre : notre régime actuel permet-il effectivement au peuple d’exercer une autorité suprême sur le monde qui l’entoure et sur son évolution ?
A mon sens, non. L’une des composantes de cette réponse négative est que les avancées des sciences et techniques, ou l’action de quelques acteurs économiques, qui façonnent notre monde plus profondément que les hommes politiques, ne sont en rien le résultat d’un processus de choix démocratique.
Pour s’en tenir à quelques problèmes, et à l’Hexagone, on n’a soumis à référendum ou à consultation explicite :
- ni les recherches sur le clonage ou le décryptage du génome (qui seront aussi utilisées pour des applications diaboliques, comme toute avancée technologique jusqu’à présent a toujours servi à la fois pour le pire et le meilleur),
- ni les efforts pour produire des ordinateurs plus intelligents que nous et des machines qui se reproduisent toutes seules (Le directeur de la recherche de Sun a publié un article inquiétant sur ce sujet dans Libération du 24 août dernier),
- ni ce que devrait être notre niveau de consommation énergétique,
- ni l’encadrement de l’utilisation des antibiotiques,
toutes choses qui sont déterminantes pour notre avenir à long terme, bien plus que les éléments de campagne des candidats aux diverses élections qui eux ne concernent que le court terme (un peu plus ou un peu moins d’impôts n’est rien en comparaison des enjeux ci-dessus).
Le long terme doit-il primer sur le court terme ?
Dans notre vie quotidienne, c’est parfois le cas, particulièrement pour l’éducation des enfants : c’est en conséquence de cette hiérarchie que nos enfants font leurs devoirs (qui servent à préparer l’avenir) avant d’aller jouer (qui est la satisfaction d’un besoin à court terme), que nous nous échinons à les éduquer du mieux que nous pouvons (pour qu’ils ne soient pas mis « hors jeu » plus tard) avant de les emmener en vacances…
C’est aussi vrai pour nous : nous choisissons notre lieu d’habitation en fonction de ce que nous allons mener comme vie pendant quelques années et non parce que c’est proche de l’endroit où nous allons au restaurant la semaine prochaine, nous payons des cotisations retraite plutôt que de tout dépenser au casino, etc.
Nous voilà donc dans un système où la hiérarchie qui prime souvent chez les individus se trouve inversée dans le système lui-même. Toutefois le mal ne date pas d’hier : une lecture ou relecture de l’oeuvre de Tocqueville rend sceptique sur le fait qu’il puisse en être un jour autrement : selon lui, la démocratie est impuissante à rendre les peuples prévoyants pour les dangers de long terme (ce qu’il appelle les « grands périls« ).
La démocratie directe et Internet
La conséquence logique que l’on peut tirer de ce qui précède est que la démocratie telle qu’elle est actuellement pratiquée n’a pas d’emprise sur nombre d’évolutions importantes pour notre avenir.
On peut opportunément rappeler que la démocratie parlementaire est un système qui date de 2 siècles, c’est à dire d’une époque où :
- la transmission de l’information était lente,
- les déplacements de personnes également,
- l’expertise était très concentrée (peu de gens avaient accès au savoir).
A cette époque, elle représentait donc un optimum, et en tout état de cause la démocratie directe, forme « parfaite » de la démocratie, n’était à l’évidence pas un outil de gestion adapté aux moyens : le temps qu’il aurait fallu pour organiser une consultation préalable à chaque décision, précédée de l’indispensable débat qui permet de s’informer et de se forger une opinion, aurait été démesuré.
Il n’en est plus de même actuellement. Une forme de démocratie qui serait adaptée à la gestion des enjeux de long terme pourrait comprendre :
- un système référendaire pour la fixation des objectifs majeurs,
- l’élection de gestionnaires sans programme précis pour leur mise en application.
De fait c’est un peu ce qui est en train de se passer, mais sans dire son nom et de manière peu structurée : la fixation des objectifs pour les gens au gouvernement se fait par sondage, avatar réducteur et détestable de la démocratie directe, et le programme des hommes politiques est facilement oublié sitôt l’élection gagnée (c’est parfois un mal, mais aussi parfois un bien !). Nous aurions tout à gagner à remplacer ce système rempli de non-dits par des consultations explicites en bonne et due forme. De même, nous pourrions donner quitus aux élus non point a priori, au vu de leur programme, mais a posteriori, au vu des actes.
Internet, en permettant l’organisation de telles consultations, offre de ce point de vue des perspectives majeures. Bien plus que l’opportunité de pouvoir acheter quelque chose 10% moins cher et en gagnant un jour de délai, Internet, en permettant l’accès au savoir au plus grand nombre, et en permettant en retour des débats et des votes compatibles avec les contraintes de temps, pourrait permettre de franchir un pas décisif pour la gestion de notre avenir.
Par ailleurs, l’ignorance et la gestion des enjeux de long terme ne sont pas compatibles : comment se prémunir d’un danger que l’on ignore ? Internet permet aussi, par sa puissance et sa rapidité, de mieux éclairer les débats, et donc de rendre meilleures les possibilités de prévalence de la sagesse.
Notons au passage que la volonté clairement exprimée des peuples étant la seule barrière encore à peu près respectée par les acteurs de la « mondialisation » en temps de paix, le résultat à un référendum sur un sujet donné serait vraisemblablement pris comme un contrainte intangible par tous (bien plus que les décisions gouvernementales ou les lois) et permettrait de clore temporairement des débats qui s’éternisent sans que des solutions satisfaisantes ne soient apportées.
Pour prendre un exemple (qui ne reflète pas nécessairement ma propre opinion), si le peuple français, par un vote, dit non aux OGM, les industriels n’essaieront pas de passer outre (car le peuple est in fine le consommateur), alors qu’une loi ou un règlement défavorables aux OGM feront l’objet de multiples tentatives de contournement quand bien même ils seront portés à la connaissance des acteurs.
Certes, le système démocratique est bourré de faiblesses structurelles, que Tocqueville a remarquablement mises en évidence, mais ne devrions nous pas quand même essayer de l’amender si la technologie nous en offre la possibilité ?