Le système de production électrique de la France est basé sur trois types de centrales :
- des centrales nucléaires, qui fournissent environ 75% à 80% du courant,
- des centrales hydrauliques, qui fournissent environ 15% du courant ; ces centrales sont divisées entre les barrages de montagne, utilisables à volonté, et les centrales de fleuve, qui tournent en permanence,
- des centrales dites « thermiques à flamme », c’est à dire que la chaleur utilisée pour produire de la vapeur (qui elle-même servira à faire tourner un alternateur) est produit à partir de la combustion d’un combustible (charbon, pétrole, gaz, exceptionnellement bois).
Qu’est-ce qu’une centrale « thermique » ?
Les centrales thermiques désignent, au sens large, toutes celles qui fonctionnent à partir d’une source chaude, qui sert à créer de la vapeur qui actionnera un alternateur, lequel créera du courant électrique. La source chaude peut être fournie par une combustion (gaz, pétrole, charbon), par le soleil (solaire à concentration), ou par la fission d’atomes. Pour fonctionner une telle centrale a aussi besoin d’une source froide (la faute à Carnot !), qui peut être de l’eau (rivière ou bord de mer), ou simplement l’air ambiant (mais le rendement est alors moins bon).
Lorsque l’on utilise de l’eau, cette dernière peut être simplement réchauffée puis rejetée sous forme liquide mais un peu plus chaude, ou bien évaporée dans des aéroréfrigérants (des grandes tours d’où s’échappent de la vapeur)
Contrairement à ce qui a été souvent rapporté par bien des journaux à la suite de l’été 2003, dont la seule source (pas froide, mais d’information !) a du être les opposants au nucléaire, les centrales thermiques à charbon et à gaz sont aussi susceptibles de rejeter de l’eau chaude dans les rivières. Le « réchauffage » de l’environnement ambiant est avant tout une fonction de la puissance électrique installée et du dispositif de refroidissement choisi, non de l’énergie primaire utilisée.
Bien entendu, la consommation électrique n’est pas constante au cours d’une journée (elle est plus importante le jour que la nuit, par exemple ; les tarifs « rouges » d’EDF sont plus ou moins censés représenter les moments de la journée où la consommation est la plus forte), et elle n’est pas constante au long de l’année (elle est plus importante l’hiver que l’été). Comme l’électricité ne se stocke pas facilement, il faut donc adapter la fourniture de courant à la demande. Lorsque cette dernière augmente, les producteurs mettent en marchent des moyens de production supplémentaires, qui sont, dans l’ordre :
les centrales hydroélectriques de barrage et les turbines à combustion (à gaz), capables de démarrer en quelques minutes, pour faire face à une hausse « brusque » de la consommation,
les centrales thermiques à flamme et les centrales nucléaires, qui prennent ensuite le relais (les centrales hydroélectriques sont capables de délivrer des puissances très importantes, mais sur des durées courtes, et il faut « autre chose » pour prendre le relais ensuite). En ce qui concerne les variations saisonnières, l’augmentation de la demande est donc satisfaite avec un surplus de production des centrales nucléaires, et un surplus de production des centrales thermiques, plutôt à charbon qu’à gaz. Mentionnons toutefois que ces dernières fonctionnement toute l’année, même en l’absence de chauffage électrique, comme en atteste le fait que le « contenu en CO2 » des kWh produits par EDF n’est pas nul en été (ce qui se vérifie facilement car cette donnée est publiée sur le site d’EDF).
Bon nombre d’individus reprochent alors au chauffage électrique d’être à l’origine de la mise en route des centrales à charbon l’hiver et de contribuer ainsi à des émissions significatives de gaz à effet de serre. Ce type de chauffage devrait alors être évité à tout prix à cause de cette caractéristique.
Peut-on considérer cette affirmation comme valable ?
En 1997 (dernière année pour laquelle j’ai des statistiques de consommation !), les centrales utilisant des combustibles fossiles, dites centrales thermiques, ont produit, en France, environ 40 TWh (1 TWh vaut un milliard de kWh) sur un total de 410 consommés.
Répartition de la production électrique par mode depuis 1973.
Solde des échanges représente les importations (positif) ou les exportations (négatif ; c’est le cas depuis 1985 sur le graphique ci-dessus).
Source : Observatoire de l’énergie
Mais, comme on le voit ci-dessus, entre la production et la consommation, il y a aussi les importations ou exportations (solde des échanges) et les pertes en ligne. Je ne sais pas si les exportations correspondent très exactement aux capacités non utilisées en France des centrales nucléaires ou pas. Sinon, une partie de la production des centrales thermiques est nécessairement affectée à cet usage.
Ensuite les centrales dites thermiques, qui sont les seules à pouvoir être mises en route et arrêtées à bref délai (quelques minutes pour les turbines à gaz, quelques heures pour les autres modes), servent aussi à rééquilibrer le réseau lors de variations journalières de la demande. Celles ci sont plus marquées en hiver, mais elles ne sont pas inexistantes en été. Notons incidemment que si le pays devait massivement recourir à l’éolien, il faudrait augmenter le nombre de centrales thermiques pour pallier les brusques diminutions de production des éoliennes lorsque le vent tombe.
Enfin toute la production thermique n’est pas faite à base de charbon.
Energies primaires utilisées pour la production d’électricité thermique depuis 1973.
1 : 1 TWh = un milliard de kWh
2 : fioul lourd, fioul domestique et coke de pétrole
3 : gaz de haut fourneau, de raffinerie, déchets, bois, etc.
Source : Observatoire de l’énergie
Cela étant, question nuisances environnementales, le fioul lourd n’est pas mieux que le charbon, et le gaz est un peu mieux mais, comme son usage engendre encore des émissions de gaz à effet de serre, il ne constitue pas une solution durable.
Regardons maintenant la consommation. Il est exact que le chauffage électrique des ménages a consommé, toujours en 1997, une quantité voisine d’énergie de celle produite par les centrales thermiques : 43 TWh environ.
Poste | Consommations (TWh) |
---|---|
RESIDENTIEL | |
Eclairage | 10,5 |
Appareils ménagers | 32,5 |
Divers | 19,3 |
Chauffage | 42,6 |
Eau chaude sanitaire | 17,8 |
Cuisson | 9,2 |
TOTAL RESIDENTIEL | 131,8 |
TERTIAIRE | |
Chauffage | 21,8 |
Eau chaude sanitaire | 6,0 |
Air conditionné | 6,6 |
Autres | 47,4 |
TOTAL TERTIAIRE | 81,8 |
TOTAL RESIDENTIEL + TERTIAIRE | 213,6 |
Consommations en TWh en 1997 en France, en Résidentiel et Tertiaire.
Sources : EDF & Eurostat
Mais il n’y a pas que les ménages qui se chauffent à l’électricité : les bureaux aussi y recourent. L’addition de ces deux postes représente 64 TWh, soit 50% de plus que la production des centrales thermiques.
Ensuite le chauffage n’est pas la seule utilisation de l’électricité qui se renforce l’hiver : l’éclairage aussi (les jours sont plus courts en hiver), probablement la cuisson (le pot au feu – 3h de cuisson avec une bonne recette – n’est pas un plat d’été !), probablement l’eau chaude sanitaire (on est mieux dans un bain chaud au cœur de l’hiver). Dès lors, peut-on imputer aux seuls radiateurs les émissions des centrales thermiques ? Si nous admettons que la consommation d’éclairage, celle de cuisson, et celle d’eau chaude se répartissent en 40% été/60% hiver, alors nous avons une consommation supplémentaire de 20% de chacun de ces postes l’hiver.
En ce qui concerne le tertiaire (bureaux, hôtels, locaux d’enseignement, etc.) là aussi les consommations électriques sont supérieures l’hiver, tout simplement parce que l’été une bonne partie des employés de bureau ou des élèves sont en vacances !
Avec cette approximation grossière la surconsommation hivernale se présente alors comme suit.
Poste | Consommations (TWh) |
---|---|
RESIDENTIEL | |
20% éclairage | 2 |
20% des appareils ménagers | 6,5 |
20% de divers | 4 |
Chauffage | 42,6 |
20% de cuisson | 2 |
TOTAL RESIDENTIEL | 57,1 |
TERTIAIRE | |
Chauffage | 21,8 |
20% autres | 9 |
TOTAL TERTIAIRE | 30,8 |
TOTAL RESIDENTIEL + TERTIAIRE | 87,9 |
Consommation excédentaire d’électricité l’hiver.
Nous n’en avons pas encore fini : une consommation finale de 88 TWh correspond à la production d’un peu plus, car il y a des pertes en ligne. Il a probablement fallu produire pas loin de 95 TWh, dont, par la force des choses, au plus 40 à 45 sont thermiques. En fait, comme une partie des centrales à charbon sont aussi utilisées l’été, soit pour réguler le réseau, soit, de plus en plus avec le développement de la climatisation, pour faire face à la pointe estivale, on peut à bon droit considérer qu’il n’y a pas plus des 2/3 du total de l’électricité au charbon qui va dans la pointe hivernale, soit environ 30 TWh (sur 45).
Il y a un élément dont je n’ai pas tenu compte : une partie du chauffage hivernal est faite avec des radiateurs à accumulation, qui consomment essentiellement la nuit, donc tirent proportionnellement moins sur les centrales thermiques, essentiellement mises en route pendant la journée.
Nous voyons donc que le « chauffage » électrique des maisons représente au grand maximum la moitié de la surconsommation hivernale. Il en résulte que chacun des 90 TWh appelé l’hiver par ces usages supplémentaires contient au grand maximum 30% d’électricité « au fossile ».
Une autre manière d’aborder le problème est la suivante : le chauffage électrique représentait en 1995 un quart de l’énergie de chauffage des maisons. Mais ces mêmes maisons utilisent des appareils électroménagers, des lampes, etc., qui sont autant de petits radiateurs électriques (tout usage de l’électricité finit en chaleur !) qui concourent au chauffage en hiver. Pourquoi séparer le kWh directement injecté dans le radiateur de celui qui chauffe en étant passé par la case « lampe » ou « lave-vaisselle » ? Or tenir compte de ces kWh conduit aussi à rajouter quelques dizaines de TWh (on peut épiloguer à l’infini sur la méthode…) au total « chauffage » stricto sensu.
Allons maintenant jusqu’à la mesure. Un kWh électrique consommé par un radiateur, provenant donc à 30% de centrales à charbon (cas le plus défavorable), et à 70% du reste (qui ne fait pas de gaz à effet de serre : nucléaire, hydraulique) correspond à l’émission de 80 grammes équivalent carbone de gaz à effet de serre.
Un kWh émis par un radiateur de chauffage central au fioul, avec une installation de chauffage possédant un rendement de 60% environ (les chaudières vendues aujourd’hui ont un rendement nominal de 80% minimum, mais ce rendement n’est pas atteint dans les situations courantes d’utilisation, le parc contient encore des chaudières anciennes, une partie de la chaleur part dans la tuyauterie en cave, etc.) « contient » environ 140 grammes équivalent carbone, soit quelque chose de bien supérieur. Si le rendement de l’installation de chauffage n’est que de 50% (donnée courante aux dires des énergéticiens du bâtiment) nous atteignons 160 grammes équivalent carbone. Avec une chaudière à gaz la fourchette va de 100 à 125 grammes équivalent carbone par kWh utile dans les radiateurs, ce qui reste encore supérieur aux 80 grammes équivalent carbone du chauffage électrique, qui constitue en outre une hypothèse haute.
Nous voyons donc que si le chauffage électrique n’est pas exempt d’émissions de gaz à effet de serre, il est loin d’être – en France – une horreur écologique comparé aux autres modes de chauffage.
Chauffer pollue, quel qu’en soit le mode. Rappelons qu’en France, en 2000, les chaudières de maison (à gaz et à fuel) engendrent des émissions de gaz à effet de serre supérieures à celles des voitures !